Un problème, des échéances

La dépendance, une vieille histoire

En décembre 2015, la loi relative à l’adaptation de la société au vieillissement voit le jour. Elle donne “la priorité à l’accompagnement à domicile afin que les personnes âgées puissent vieillir chez elles dans de bonnes conditions.” Déjà en 1962, le rapport Laroque affirme cette priorité du “maintien à domicile” et aborde la vieillesse comme un “troisième âge actif, autonome et participant”. L’une des raisons qui explique l’arrivée plus tardive des personnes âgées en établissement spécialisé, âge passé de 84 et 2 mois à 85 et 8 mois entre 2007 et 2015.

Un million de dépendants de plus en 2050

Dans les trente prochaines années, le nombre de dépendants atteindra plus de deux millions de personnes selon le scénario central des prévisions de la Drees que nous avons révisées.

Comment l'argent va manquer

Même s'il augmente, le taux d'encadrement d’un résident en établissement est de seulement 0,57 agent pour 1. À partir de ce taux actuel, nous avons projeté jusqu’en 2050 le personnel nécessaire et la masse salariale à laquelle cela correspondrait (scénario 1).

Nous avons aussi modélisé ce que représenterait, aujourd'hui et en 2050, un taux d'encadrement « idéal » de 1 agent pour 1 résident, objectif manqué par le plan Solidarité grand-âge de 2006 (scénario 2).

Un budget de 40 à 50 milliards d'euros en 2050


Le scénario 1 représente le taux d'encadrement actuel, le scénario 2 le taux d'encadrement idéal (1 personnel pour 1 résident)

En 2050, le compte “dépendance” coûterait 40 milliards d'euros, c'est-à-dire plus que ce que dépense actuellement l’État pour la défense (34,2 milliards d'euros).

Augmentant à près de 2 points de PIB, le budget consacré à la dépendance deviendrait le premier poste de dépenses des collectivités territoriales, et le troisième poste de dépenses tous acteurs confondus.

Agrégé à un taux d'encadrement de 1 pour 1, le budget « dépendance » dépasserait les 50 milliards d'euros.

Plus d'Ehpad à taille humaine

La construction d’Ehpad supplémentaires est absente des scénarios que nous avons modélisés. Près d’une personne dépendante sur deux vit dans des Ehpad déjà saturés (98% d’occupation). Entre 2015 et 2018, il s'en est construit 147 en France, soit 2 % d'établissements supplémentaires.

Valentine Trépied est doctorante à l'EHESS.

Or, selon Valentine Trépied, sociologue et spécialiste des Ehpad, les établissements sont actuellement trop grands pour permettre une bonne prise en charge des personnes dépendantes. Elle prend pour modèle les MARPA (Maison d’accueil rural pour personnes âgées), qui accueillent en moyenne une vingtaine de résidents par établissement, alors que la moyenne nationale est de 71. En réduisant la proportion à 60 résidents, il faudrait construire 1500 nouveaux Ehpad tout de suite. Un établissement coûtant plusieurs millions d'euros, des dizaines de milliards d'euros se révéleraient nécessaires pour financer ces constructions.

La France est va au devant d'un grand problème de financement de l'autonomie des personnes âgées. Après 2050, « les besoins de financement du risque dépendance seront, selon toute vraisemblance, supérieurs à ceux du risque retraite », constatait déjà l’Insee dans une étude de 2014.

La solution économe

L'État a pour l'instant retenu la solution du maintien à domicile le plus longtemps possible pour les personnes âgées, en mettant l'accent sur la nécessité sociale qu'est la conservation de l'autonomie. Cette politique suit également le désir des personnes âgées d'après Valentine Trépied. Economiquement, elle s'avère plus intéressante compte tenu des coûts de construction des établissement et de l'encadrement.

Cette politique n’est pourtant possible qu’à condition d’avoir un nombre suffisant de personnes qui accompagnent leurs proches dépendants. C’est pourquoi l'État a accordé un nouveau statut aux proches aidants, inclus dans la loi adaptée relative à l’adaptation de la société au vieillissement : depuis le 1er janvier 2017, le « congé (sans solde) de proche aidant » remplace le congé de soutien familial. Cette mesure permet de cesser temporairement son activité professionnelle pour s’occuper d’une personne faisant l’objet d’une perte d’autonomie. Aujourd'hui 4,3 millions d’aidants s’occupent de leurs parents en France, ce qui représente 1 actif sur 6.

Maintien à domicile versus Ehpad

Un hébergement à l’Ehpad conserve un coût pour la famille du résident : en moyenne, le budget s'élève 1857 € par mois en France. Mais cette politique a des conséquences : pour Valentine Trépied, elle creuse les inégalités genrées. On observe par exemple qu’en 2017, 57% des aidants sont des femmes.

Manifestation du 15 mars 2018 réclamant la mise en place d'un personnel pour un résident.

Pourtant, les pathologies des patients nécessitent parfois une attention médicale particulière, uniquement possible dans des structures spécialisées. Mais les Ehpad restent « le “parent pauvre” de la politique publique d’accompagnement des personnes âgées, et ce depuis longtemps », selon Valentine Trépied. « Le revers de la médaille d’avoir valorisé le maintien à domicile, c’est la dévalorisation constante des autres structures. En France, nous sommes encore dans des représentations sociales très négatives de l’Ehpad, qui est toujours considéré comme un lieu d’abandon. » Pour casser ce portrait proche de l’hospice des années 80, il faudrait selon la sociologue revaloriser l’accompagnement et le travail du personnel. Une des mesures défendues par le dernier rapport en date, porté par les députés Monique Iborra (LREM) et Caroline Fiat (LFI).

Les efforts financiers fournis par l’État semblent actuellement insuffisants pour pallier tous les problèmes de fond des Ehpad et de la dépendance plus globalement. Outre le financement, c'est le logiciel de pensée qu'il faudra réviser dans les années à venir.