Photo Loana Berbedj / Cuej

Le tatoueur Bop John, originaire de Bourges (Cher), officie depuis 35 ans. Engagé pour la structuration de la profession et la formation au métier, il s’attache aussi à éduquer sa clientèle. Depuis deux ans, il choisit scrupuleusement ses clients.

Porter les traces de son immaturité

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Photo Loana Berbedj / Cuej

Le tatoueur Bop John, originaire de Bourges (Cher), officie depuis 35 ans. Engagé pour la structuration de la profession et la formation au métier, il s’attache aussi à éduquer sa clientèle. Depuis deux ans, il choisit scrupuleusement ses clients.

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Le tatouage a ses raisons

une decoration

Déborah, Joséphine, Adèle et Vincent ont moins de 30 ans. Tous ont encré leur corps. Confiés à la technique d’un ou plusieurs tatoueurs. Ils accordent à cet acte indélébile des motifs divers : acceptation de soi, accomplissement personnel, militantisme ou immortalisation du souvenir.

Déborah

Photo Loana Berbedj / Cuej

Le tatouage s’est fait une place capitale dans la vie de Déborah. Et surtout sur son corps dont seuls le visage, les mains, le bas du ventre et les côtes demeurent immaculés. “Au début c’était censé être un unique tatouage et ça s’arrêtait là. Je n’imaginais pas finir comme je suis aujourd’hui”, se rappelle la jeune femme de 24 ans qui, adolescente, se prenait de passion, au moyen d’un livre, pour l’histoire de la calligraphie des corps.

Elle franchit le cap à la majorité. Sa cuisse s’initie la première à l’aiguille, à la douleur et au rituel. Une souffrance nécessaire pour honorer, à vie, la mémoire de son père. Pour signifier cette perte et “[lui] permettre d’avancer”, elle fait inscrire une ancre, utilisée à l’origine par les matelots pour figurer le lien qui les unit à leurs proches.

Puis, ses jambes se parent progressivement de multiples ornements et deviennent un lieu d’expression de sa personnalité, mais aussi d’étapes de sa vie. “J’ai beaucoup de choses à dire et le tatouage est une forme de thérapie”, confie-t-elle. Cette couverture, Déborah la complète, en moyenne tous les deux mois, pour mieux s’aimer : “Ça m’aide à accepter le fait de ne pas avoir un corps parfait, mais j’ai encore du mal avec mes bras parce qu’ils ne sont pas entièrement tatoués.” Il lui faut remplir les infimes zones, vierges d’encre, qu’elle supporte difficilement.

“Je me fais piquer les jambes depuis six ans, ça représente une partie de ma vie qui est sur le point de prendre fin. J’ai peur que ça se termine mais j’essaye de ne pas y penser”, explique la laborantine qui, pour l’instant, peut encore dissimuler ses tatouages au travail. “Dans quelques mois, je vais attaquer les mains et là, ça sera autre chose.”

Joséphine

Photo Loana Berbedj / Cuej

En moins de six mois, Joséphine s’est fait inscrire 17 tatouages. “Faire les choses à fond, c’est moi, ma personnalité”, résume-t-elle. D’abord “Art”, puis “Elikia” et “Kímyá”, espoir et paix en lingala, référence à ses origines congolaises : “Ils n’ont pas de signification profonde mais renvoient à des valeurs positives qui me définissent aujourd’hui.”

À 22 ans, Joséphine a radicalement changé de vie. Après des études en pâtisserie dans lesquelles elle ne s’épanouissait pas, elle vient d’intégrer une formation en musique avec le rêve de devenir productrice. La fille effacée, timide, qui avait la peur constante de déranger, a aujourd’hui laissé place à une jeune femme qui s’affirme “forte” et “prête à s’imposer au monde”.

“Lorsque j’entreprends quelque chose, je veux que ça aille vite, je n’aime pas réfléchir trop longtemps. Sur un coup de tête, je suis partie chez le tatoueur. Je n’avais pas d’idée précise, je voulais juste une grosse pièce et je suis ressortie avec des fleurs sur toute la cuisse”, s’amuse la jeune femme.

“Le tatouage me permet de m’accomplir, de prendre ma revanche sur celle que j’étais avant, indique-t-elle. C’est une mode, oui. Et alors ? Aujourd’hui tout le monde est tatoué. Alors cette mode, je me l’approprie et je veux le montrer à tous parce que, pour moi, un tatouage est fait pour être exposé.”

Les dates de naissance de ses parents habillent ses coudes. Celles de ses frères occupent ses omoplates. Un dragon recouvre la partie latérale de sa cuisse. Des fleurs s’imposent sur son flanc droit. “La prochaine étape ? Les mains, le dos puis la face”, reprend Joséphine qui, “pour signifier [son] ouverture d’esprit”, veut marquer son visage. “J’attends d’être plus intégrée, professionnellement, dans l’univers musical, puis, je passerai à l’acte.”

Adèle

Photo Marie Pannetrat / Cuej

Adèle a commencé à pratiquer le roller derby à 21 ans, “un sport militant et féministe où les nanas sont toutes percées, tatouées et leurs cheveux colorés”, explique-t-elle. En côtoyant ces personnages au physique démonstratif, elle a, elle aussi, voulu adopter cette esthétique singulière et identitaire : “Le tatouage me permet de montrer mon appartenance à cette communauté.”

Deux motifs désignent l’attachement d’Adèle pour le roller derby. Une culotte et une soucoupe volante inscrites sur sa peau lors d’un tournoi. “C’est une ancienne joueuse qui m’a tatouée pendant que je regardais un match.” Lors d’un festival féministe, elle passe à nouveau sous l’aiguille pour exprimer son engagement et ses valeurs. “Je me bats contre les systèmes d’oppression et notamment le sexisme auquel je me sens confrontée. J’ai donc décidé que mes tatouages seraient essentiellement militants”, défend-elle, dévoilant sous son biceps droit deux petits dessins aux connotations féministes : une vulve et une seconde culotte, tachée de sang. Sur l’autre face, un œil et une larme surmontés du lettrage “Boys do cry” [“les garçons pleurent aussi”].

Son autre bras révèle trois tomates cerises rouges qui renvoient au véganisme et à sa résolution d’embrasser ce mode de vie. À 27 ans, la jeune femme arbore une dizaine de motifs, suggestifs d’idées fortes, parfois “touchy”. Ceux-là, Adèle préfère les taire à certains et choisir à qui les révéler.

Vincent

Photo Loana Berbedj / Cuej

Son premier tatouage, Vincent l’a fait réaliser par son père, tatoueur, alors qu’il n’avait que 14 ans. “C’était pour marquer le coup, un symbole pour ancrer ma décision de devenir, moi aussi, tatoueur”, se remémore-t-il. Aujourd’hui, à 27 ans, il recense sur son corps, à la manière d’un marque-page, les souvenirs de moments-clés : “J’ai vécu l’aspect passionnel et uniquement symbolique du tatouage, mais j’ai aussi été victime du star system en me faisant piquer par des tatoueurs que j’idolâtrais.”

Certains des motifs qui ornent sa peau, purement “esthétiques et consuméristes”, Vincent ne les regrette pas. “Je les aime parce qu’ils ont de la gueule, mais je me rends compte maintenant que c’était vraiment du pur produit. Humainement, je n’ai pas passé un bon moment, il a fait son boulot et ça s’est arrêté là”, explique celui qui recherche désormais un certain rapport avec le tatoueur : une connivence, une bonne énergie, pour sceller le souvenir sur sa peau.

“Tout mon symbolisme, il est là”, déclare Vincent en désignant sa cuisse gauche, jambe “crash-test” où se mêlent différentes anecdotes inscrites par ses amis, tout sauf maîtres dans la manipulation du dermographe. L’encre diffuse laisse difficilement apercevoir le nom de sa rue, celui du gang qu’ils formaient, à deux, avec son meilleur ami, une carte à jouer, l’acronyme “SWED” pour smoke weed everyday : “Même s’ils ne ressemblent à rien, ces tatouages ont de l’importance pour moi. Ces symboles sont, pour la plupart de mes potes, leur premier et sûrement le seul qu’ils auront réalisé.”

Loana Berbedj