Mascara, lubrifiant et antalgique
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Les prostituées et actrices porno ont plusieurs rapports sexuels par jour. Elles doivent se protéger de nombreuses atteintes pour rester sur le marché.
Dans les vestiaires, les prostituées attendent les clients en pyjama. Photo Emma Conquet/Cuej
Actrices de films pornographiques et prostituées suscitent désirs et fantasmes. Sous les robes courtes et les décolletés plongeants, se cachent parfois les séquelles du métier.
Mascara, lubrifiant et antalgique
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Dans les vestiaires, les prostituées attendent les clients en pyjama.Photo Emma Conquet/Cuej
Actrices de films pornographiques et prostituées suscitent désirs et fantasmes. Sous les robes courtes et le décolletés plongeants, se cachent parfois les séquelles du métier.
Mascara, lubrifiant et antalgique
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Irina, jeune Tchèque de 24 ans, se prostitue à Strasbourg depuis six ans. Elle se présente comme indépendante et travaille tous les soirs, sur les sièges d’une voiture ou contre un arbre, exposée à tous les dangers.
Sur le parking d'un restaurant, dans la zone industrielle du sud de Strasbourg, une berline noire s’arrête. Il est 23 heures, il fait 0°C, l’endroit est quasi-désert. Irina*, talons hauts et tenue légère, descend de la voiture. Elle traverse la chaussée, cachée sous sa capuche en fourrure et jette à la poubelle un préservatif tout juste consommé. “Je viens sur ce trottoir tous les soirs de 20 heures à 1h30, depuis six ans.” La jeune femme de 24 ans vit à Kehl (Allemagne) et fait l’aller-retour en taxi, “pour ne pas qu'on me reconnaisse”. Son accent prononcé révèle ses origines tchèques. “J’ai appris le français avec les clients.” Elle tire sa mini-jupe moulante jusqu'à mi-cuisses, en prenant soin de ne pas effiler son collant couleur chair avec ses faux ongles. “Je fais ça pour aider ma famille”, glisse-t-elle.
“Des clients essaient d’enlever le préservatif, mais je les en empêche”
Cette travailleuse du sexe monnaye en moyenne cinq rapports sexuels par jour. Elle va parfois jusqu'à douze. Une activité éreintante, qui n’est pas sans conséquences. Un soir, Irina a dû travailler avec des hommes au très gros sexe. Des douleurs persistantes aux ovaires l’ont alors poussée à consulter un médecin. “Je n’étais pas habituée, j’avais peur d’être cassée”, témoigne-t-elle, un peu mal à l’aise. Chaque mois, elle s'astreint à un dépistage d’infections sexuellement transmissibles ou du VIH. Irina met un point d’honneur à toujours utiliser des préservatifs. “Des clients essaient de l’enlever, mais je les en empêche”, affirme la jeune femme, qui va jusqu’à Offenbourg (Allemagne) pour acheter des protections en latex de bonne qualité. Elle en profite pour se procurer le nécessaire pour sa toilette sauvage. Lingettes intimes et gel hydro-alcoolique de rigueur entre chaque client. Mais lorsque sa nuit est terminée, elle se précipite sous la douche. “Je me lave, pyjama et au lit.”
À sa famille et aux gens qu’elle rencontre, Irina se présente comme serveuse dans un bar. Photo Emma Conquet / CuejAfin de limiter la fatigue corporelle, Irina sait comment se contorsionner dans l’espace clos d’une voiture, “pour ne pas avoir mal pendant les rapports sexuels”. “Mais quand le garçon est trop grand, on doit le faire dehors, il fait froid, ça me fait très mal dans le dos, se plaint-elle en relevant la fermeture éclair de sa doudoune. Quand je rentre, j’ai le corps gelé et tout rouge.” La travailleuse de nuit ne prend en moyenne que deux jours de repos mensuel, quand elle a enchaîné plus de dix clients la veille ou lorsque ses règles sont très douloureuses. Même pendant cette période, elle continue d’assurer les prestations buccales pour sa clientèle.
“Un jour, parce qu’il n’éjacule pas, un homme me menace à l’arme blanche”
La prostituée ne s’adonne qu’à deux pratiques sexuelles : la fellation et la pénétration vaginale. Elle appelle cet acte “l'amour”, bien qu'il soit dénué de tout sentiment. Irina insiste, elle n’a jamais pris aucun plaisir lors de ses rapports tarifés. “La première fois que je suis arrivée, j’ai pleuré. Ils sont tous laids.” À deux reprises, son corps a trahi son dégoût. “En bas, ça ne s’ouvrait plus.” Une forme de vaginisme, durant lequel la muqueuse vaginale se contracte, rendant la pénétration impossible. Dès qu’elle le peut, elle évite le coït. La travailleuse du sexe reproduit une astuce - qui ne fonctionne qu'en levrette et avec des hommes “un peu retardés” - que lui a conseillée une consœur. Elle place des préservatifs sur deux paires de doigts de sa main, laissant échapper le pouce. À quatre pattes, la femme positionne sa main à l’envers sous sa vulve, pour former un “V”. L’homme derrière elle glisse alors son pénis dans ce qu’il pense être son vagin. En position du missionnaire, il suffit à Irina de serrer les cuisses. Avec le gel, les va-et-vient donnent l’impression d’une pénétration classique.
“Je sens la lame contre ma gorge”
Dans la rue, Irina ne peut se fier qu'à sa collègue et amie, qui se prostitue à quelques mètres d'elle. Il y a quatre mois, la jeune Tchèque a été victime d’une agression. “Une voiture arrive. Je monte. L’homme me touche directement la poitrine. Il se retourne vers la banquette arrière pour récupérer ce que je pense être sa veste. Puis il sort un couteau. Je sens la lame contre ma gorge. J’essaie de sortir mais c’est verrouillé. Je lui propose de me laisser partir, et en échange, je fais l’amour gratuitement. Il refuse. Je pleure beaucoup. Il me tape, me déchire le pantalon. Je serre les jambes. Ma copine vient voir si tout se passe bien, car je mets du temps à revenir. Je veux crier, mais lui pose sa main devant ma bouche. Je parviens à taper à la fenêtre. Elle comprend et hurle. L’homme démarre et fait une marche arrière. Heureusement, le client de mon amie arrive et se pose devant le véhicule. Il est grand, il fait 2 m. Il veut se bagarrer. Mon client m’éjecte hors de la voiture et part. Je n’arrive plus à parler.”
Irina n’a aucun moyen de prévenir ces violences. “Avant, j’avais une bombe au poivre, mais j’ai eu peur que les agresseurs l’utilisent contre moi.” Menaces de mort, coups de taser, tabassages, abus sexuels, elle a subi de lourdes agressions physiques. “Une fois, un homme sort de sa voiture, m’attrape et me retire mes collants à l'extérieur. Il s’allonge sur moi, contre le bitume. Il fait au moins 100 kg. Je sens les cailloux s'enfoncer dans ma peau. Ma main est bloquée derrière mon dos. J’ai eu le poignet enflé.” Elle marque un silence. “Un jour, parce qu’il n’éjacule pas, un homme me menace à l’arme blanche.” La jeune femme énumère des épisodes traumatisants, dans un flot en apparence sans fin.
Emma Conquet et Julie Gasco
* Le prénom a été modifié