Titre reportage

/ Florian Bouhot

Situées en ville, au plus près des consommateurs, des fermes d'un nouveau type se développent sans réel soutien européen.

« Les fermes urbaines fournissent des services à la collectivité »

Depuis quelques années, de plus en plus de fermes s’installent en ville. S’il n’existe aucun chiffre précis sur l’étendue de ce phénomène en France, la surface cultivée en zone urbaine ou périurbaine s’élève à 73 hectares en Île-de-France. L’association française d’agriculture urbaine professionnelle tente de fédérer ces initiatives. Entretien avec son président, Grégoire Bleu.

Grégoire Bleu / DR

  • L’agriculture urbaine a-t-elle la capacité de nourrir la population ?
  • En France, l’agriculture intra-urbaine n’a pas grand intérêt si on considère seulement sa valeur productive. Ce type d’agriculture sert surtout à créer un lien pédagogique entre le monde agricole et les citadins. Par exemple, il est essentiel que les urbains sachent comment on fait pousser une tomate, pour qu’ils ne s’alimentent pas n’importe comment. De plus, l’agriculture en ville est souvent un levier d’insertion sociale. Elle permet de créer des emplois et redonner vie à des quartiers.
  • Certaines fermes urbaines pourraient-elles devenir aussi productives que les fermes rurales ?
  • Certaines fermes urbaines pourraient devenir productives, mais je ne pense pas qu’elles combleraient significativement les besoins alimentaires d’une ville. Pour une ferme urbaine, il est absolument impossible d’atteindre des prix de revient comparables à ceux d’une ferme située en périphérie. En ville, les coûts liés au travail, aux déplacements, à l’investissement et à la gestion juridique sont bien plus élevés qu’en milieu rural. Par exemple, si vous souhaitez installer une serre au sixième étage d’une tour, il va falloir une grue performante, du personnel spécialement formé, des matériaux spécifiques, respecter des normes de sécurité. Tout cela augmente le prix de la serre.
  • Comment assurer l’équilibre économique d’une ferme urbaine ?
  • Tout d’abord, on peut ouvrir un magasin pour vendre sa production et compléter son offre en faisant venir des marchandises produites ailleurs, en périphérie de la ville. De plus, les fermes urbaines fournissent un grand nombre de services, qu’on peut appeler « services écosystémiques ». Par exemple, elles peuvent aider à recycler les déchets organiques, capter les eaux de pluie en installant des réservoirs, capter certains polluants urbains. Elles proposent aussi des ateliers pédagogiques pour les adultes et les enfants. En contrepartie, ces fermes peuvent être rémunérées par la ville. Cela peut aider à équilibrer financièrement le projet.
  • Pourquoi continuer de développer des fermes urbaines si elles ne sont pas rentables financièrement ?
  • Dans l’agriculture conventionnelle, il existe déjà certaines productions qui ne sont pas rentables mais on continue quand même de les maintenir par des subventions car on y voit un intérêt. L’agriculture urbaine, c’est la même chose. Les municipalités et les bailleurs sociaux qui souhaitent accueillir ces fermes sont de plus en plus nombreux. Prenez par exemple une fraise produite en ville. Si l’on s’attache seulement au prix de production de cette fraise, on peut considérer qu’il est insensé de la produire. Mais si on regarde la totalité des services écosystémiques rendus par la ferme, la perception est différente : si la production de cette fraise sert aussi à capter les eaux de pluies ou à faire de l’éducation alimentaire, alors ce système paraît vraiment intelligent et rationnel.
  • Les fermes urbaines doivent-elles être davantage prises en compte par la PAC ?
  • Pour moi, la question n’est pas de savoir s’il faut des règles favorables ou défavorables à l’agriculture urbaine dans la PAC. Il s’agirait plutôt de se demander si la PAC doit rémunérer ou non les fermes qui rendent des services à l’environnement, au territoire ou à la collectivité. Si on veut un système agricole plus durable, alors il faut davantage rémunérer les exploitations qui rendent ces services. Ensuite, que ces exploitations soient urbaines ou pas, peu importe.

Recueilli par Coralie Haenel

Bienvenue dans la plus grande ferme urbaine d'Europe

/ Cédric Pueyo et Florian Bouhot

1000 m² de serres en pleine ville

En Seine-Saint-Denis, la commune de Romainville accueillera bientôt les premières tours maraichères de France. En plus de produire des fruits et légumes, elles ont vocation à jouer un rôle pédagogique.

La plus haute des tours comptera 24 étages. L’architecture a été étudiée pour permettre un apport suffisant en lumière et favoriser le rendement des cultures. / Ilimelgo et Secousses architectes / Poltred perspectiviste

1000 m² de serres, dans deux tours entièrement consacrées à l’agriculture urbaine. À 15 minutes du périphérique parisien, ces bâtiments devraient s’élever dès l’année prochaine à Romainville, en Seine-Saint-Denis, dans le quartier Marcel Cachin en cours de rénovation urbaine. L’ensemble permettra de produire chaque année douze tonnes de nourriture : des fruits, des légumes ou bien encore des champignons. De quoi nourrir jusqu’à 200 familles dans cette ville de presque 26 000 habitants.

Le modèle économique de cette exploitation reposera principalement sur trois piliers. Tout d’abord, la production et la vente alimentaire. Un espace de restauration sera également aménagé. Par ailleurs, la ferme jouera un rôle pédagogique. « Il y aura des salles pour accueillir des groupes et des visites scolaires. On pourra faire des ateliers ou séminaires et proposer des formations techniques à l’agriculture urbaine », détaille Cyril Antheaume, le chef de cabinet de la maire de Romainville.

Initialement, le principal but de cette ferme était de nourrir les habitants du quartier Marcel Cachin en cours de rénovation urbaine. D’après Christine Aubry, ingérieure à l’INRA et AgroParisTech, la ville a progressivement dû revoir ses ambitions. « Nous les accompagnons depuis 2013, explique-t-elle. Nous avons expliqué à la mairie qu’il ne serait pas possible de produire en grande quantité en faisant moins cher et de meilleure qualité, en comparaison avec les circuits d’approvisionnement actuels des Romainvillois. » En conséquence, l’accent a été mis sur l’aspect pédagogique du projet.

Après la pose de la première pierre en septembre dernier, la fin du chantier est prévue pour 2019. Un appel d’offre sera lancé pour désigner le futur exploitant. Douze emplois pourraient être créés.

Coralie Haenel, à Romainville

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