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Un séisme de forte magnitude secoue le paysage politique allemand depuis que le candidat du parti libéral (FDP), Thomas Kemmerich, a décroché, mercredi 5 février, le poste de président de la région Thuringe en Allemagne, grâce notamment aux voix de députés régionaux du parti d’extrême-droite Alternative pour l’Allemagne (AfD).

Dans la foulée, des voix de tous les bords politiques se sont élevées pour protester contre une faute jugée impardonnable. Des citoyens sont descendus dans la rue pour crier leur mécontentement. Face à la pression, Thomas Kemmerich a été contraint d’annoncer sa démission, moins de vingt-quatre heures après son élection.

Montée de l’extrême-droite

La secousse a été brève mais assez forte pour laisser des traces indélébiles. C’est en effet la première fois qu’un parti de la droite allemande accepte l’aide de l’AfD pour arriver au pouvoir. Jusqu’ici le parti était plutôt persona non grata sur la scène politique outre-Rhin. Libéraux comme conservateurs (la CDU d’Angela Merkel) ont toujours clamé qu’ils refusaient quelconque alliance.

Mais le parti nationaliste, populiste et europhobe continue de faire son trou et gagne des voix à chaque nouvelle élection régionale. En Thuringe, justement, il est arrivé deuxième des législatives régionales en octobre dernier, avec 23 % des votes, juste derrière Die Linke, le parti de gauche radicale actuellement en place au gouvernement régional, le seul qu’il copilotait jusqu’ici.

La CDU d’Angela Merkel est arrivée troisième mais affaiblie lors de ces mêmes élections, perdant onze points par rapport aux précédentes élections, en 2014. Parallèlement, l’AfD en a gagné douze. Face à cet échec, ils étaient quelques-uns au sein du parti à réclamer un débat sur un éventuel rapprochement avec la force d’extrême-droite.

Un “tabou brisé”

Mais cette solution a plutôt fait l’unanimité contre elle au sein du parti conservateur. Pour preuve, la chancelière Angela Merkel a jugé que l’élection de Thomas Kemmerich était un « jour noir pour la démocratie ». Dans un pays qui a connu le nazisme, faire alliance avec un parti d’extrême-droite est perçu comme une vraie trahison envers les valeurs républicaines.

Bodo Ramelow, président sortant de Thuringe (Die Linke), est allé jusqu’à comparer son rival libéral à Hitler sur son compte Twitter, photo à l’appui. Il a même cité l'ancien chancelier, dont le parti avait remporté les élections en Thuringe en 1930 : « Nous avons rencontré notre plus grand succès en Thuringe. C'est là que nous sommes réellement un parti décisif. Les partis de Thuring, qui formaient jusqu'ici le gouvernement, ne peuvent plus construire de majorité sans notre concours. »

Son collègue Bernd Riexinger (Die Linke) a déploré un « tabou brisé » : « Jusqu’où sommes-nous allés, pour que la FDP laisse un président régional être élu grâce aux voix de l’AfD fasciste ? »

Cette élection est d’autant plus choquante que tout le monde s’attendait à voir réélu Bodo Ramelow (Die Linke). Son parti était arrivé en tête des élections d’octobre, sans pour autant réussir à atteindre la majorité.

L’idée était alors de former un gouvernement minoritaire en coalition avec les sociaux-démocrates (SPD) et les Verts (Bündnis 90 - Die Grünen). Alors qu’il avait perdu les deux premiers tour de l’élection - le président de région est élu par les députés du Parlement régional - Bodo Ramelow pariait sur ce troisième tour, à la majorité relative, pour renouveler son mandat. C’était sans compter sur la stratégie du parti libéral.

Conséquences électorales et politiques

Ce rapprochement avec l’AfD est d’autant plus inquiétant qu’il se déroule dans un contexte de forte montée de l’extrême droite dans les Länder de l’ex-RDA. Avant les législatives de Thuringe, le parti avait déjà opéré une percée remarquée au Brandebourg et dans la Saxe (Land voisin de Thuringe).

Et ce n’est pas sans conséquence sur l’ensemble du pays, où la politique nationale est régie par un système fédéral. Les gouvernements régionaux sont tous membres du Conseil fédéral, chargé d’approuver les lois nationales et européennes votées en Allemagne. D’autant plus que l’AfD possède déjà 91 sièges au Bundestag, le Parlement allemand, depuis les élections législatives 2017, déjà vécues comme un séisme.

Les élections régionales ont aussi des répercussions sur les élections de niveau fédéral et sont, pour cela, scrutées de près par les partis politiques. Ainsi, le président du parti libéral Christian Lindner a-t-il demandé, jeudi 6 février dans l’après-midi, un vote de confiance au conseil d’administration de son parti. L’avenir politique qui se dessine en Allemagne est de plus en plus flou. Qui sait ce qui peut arriver d’ici les prochaines élections législatives, prévues en 2021.

Sarah Chopin

La défense européenne minée par les divergences nationales

06 février 2020

Florence Parly, ici au centre de commandement de l'OTAN à Bruxelles, appelle à davantage de coopération pour une défense européenne.                                  Photo U.S. Secretary of Defense / CC BY 2.0

L'Allemagne craint de devenir le principal contributeur financier d'une défense européenne, sans pouvoir en prendre la tête. Photo wmfawmfa / Public Domain

Chacun campe sur ses positions

Pourtant les gouvernements français et allemand ne semblent pas encore prêts à faire évoluer leurs positions sur la politique de défense européenne. Mercredi 5 février, Florence Parly, ministre de la Défense française, et Annegret Kramp-Karrenbauer, ministre fédérale de la Défense allemande, étaient à Strasbourg pour répondre aux questions de l'assemblée parlementaire franco-allemande qui réunit une centaine de députés des deux pays.

Les ministres ont notamment évoqué le programme européen SCAF qui prévoit une coopération franco-germano-espagnole pour développer un nouvel avion de combat. Une coopération pour l'instant dans l'impasse tant que le Bundestag, le parlement allemand, n'aura pas voté d'allocation allemande dans le budget du projet. Une situation que Florence Parly a tenu à rappeler : « Le sort [de la coopération] est maintenant entre les mains du Bundestag. »

« Il n'y a aucun doute que, ensemble, l'Allemagne et la France, nous souhaitons que le SCAF soit réalisé rapidement, efficacement et de façon équitable pour les deux parties », a répondu la ministre allemande. Pour mener à bien ce projet, le groupe aéronautique français Safran a pris les rênes de la coopération pour développer le nouvel avion de combat, au détriment de son homologue allemand MUL. Une situation critiquée par Berlin qui aimerait revoir la position des industriels.

Même si la ministre allemande s'est montrée optimiste sur le déblocage des fonds pour le projet SCAF, l'Allemagne craint de devenir le principal contributeur financier de la coopération sans pour autant pouvoir en prendre la tête. De son côté, si la France milite pour une politique européenne de la défense, elle n'entend pas, pour l'instant, perdre sa souveraineté dans le domaine militaire.

Aurélien Gerbeault

Depuis le temps qu'il en parlait, Emmanuel Macron a enfin obtenu une réaction allemande sur un de ses sujets de prédilection : la politique de défense européenne. Mais pas sûr que le chef de l'État ait apprécié, et encore moins approuvé, cette proposition venue d'Outre-Rhin.

Johann Wadephul est vice-président du groupe parlementaire de la CDU, le parti conservateur d'Angela Merkel, au Bundestag. Dans une interview publiée par le quotidien berlinois Tagesspiegel le 3 février, il a reconnu que son pays « devrait être prêt à participer à la force de dissuasion nucléaire avec ses propres capacités et moyens ». Avant de préciser : « La France devrait être prête à placer [son arsenal nucléaire] sous un commandement commun de l'Union européenne ou de l'OTAN ». En clair : l'Allemagne pourrait participer au développement d'une défense européenne, à condition que la France renonce à contrôler seule son arsenal atomique.

Mais le député n'a pas obtenu le soutien de ses collègues. Ni même celui du gouvernement allemand. « Il s'agit d'un parlementaire isolé, qui a été critiqué, explique Jean-Pierre Maulny, directeur de recherche à l'Institut de relations internationales et stratégiques (IRIS), à CUEJ Info. Cette question n'est pas à l'ordre du jour à Berlin. »

Une idée mise sur la table en 2018

Si le président français pousse depuis un an et demi pour une coopération renforcée entre États européens sur le plan de la défense, il n'a jamais été question pour lui de laisser à l'Union européenne (UE) les codes nucléaires français. En novembre 2018, dans une interview accordée à l'hebdomadaire britannique The Economist, Emmanuel Macron disait pourtant : « On ne protégera pas les Européens si on ne décide pas d'avoir une vraie armée européenne. On doit avoir une Europe qui se défend davantage seule, sans dépendre seulement des États-Unis. »

Une armée européenne donc, mais dans laquelle la France occuperait le premier rôle, puisqu'il ne serait pas question de doter cette nouvelle force de l'arsenal français. Pour Emmanuel Macron, la question de la défense européenne apparaît d'autant plus importante que depuis le 1er février et la sortie du Royaume-Uni de l'UE, la France reste la seule puissance nucléaire au sein des 27.

Le contexte politique mondial fait aussi dire au chef de l'État que la situation devient pressante : « La France, l'Allemagne et les autres pays européens sont maintenant menacés par de nouveaux missiles russes », déclarait-il en décembre dernier. Ce discours faisait référence à la suspension de l'accord entre les États-Unis et la Russie visant à interdire les missiles terrestres de portée intermédiaire.

Un sujet toujours sensible en Allemagne

Du côté allemand, ces appels n'avaient jusque là pas suscité beaucoup de réactions. La politique de défense et le renforcement de l'armée restent des sujets sensibles pour Berlin. Depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, l'Allemagne a adopté une position pacifiste et intervient surtout pour des missions de maintien de paix et de sécurité. Ainsi, en décembre 2019, Berlin avait annoncé vouloir renforcer sa présence au Sahel, où l'armée allemande vient déjà en soutien logistique à l'armée française dans la lutte contre la menace djihadiste.

Sa politique de défense se range aussi derrière l'OTAN. Les propos tenus par Emmanuel Macron en novembre 2019 sur l'état de « mort cérébrale » de l'organisation avaient été plutôt mal accueillis. La chancelière Angela Merkel avait même pris ses distances avec ce discours et soutenu devant les députés du Bundestag : « L'Europe ne peut pas se défendre seule pour le moment, nous dépendons de l'Alliance transatlantique. » Pourtant, Donald Trump avait fortement critiqué l'engagement allemand au sein de l'Alliance. Surtout sa participation financière, qu'il juge trop faible. En 2018, les dépenses allemandes en défense représentaient 1,24 % de son PIB, contre 2 % exigés par les Américains.

37 milliards d'euros de prévus pour l'arsenal nucléaire français

Mais Jean-Pierre Maulny explique cette position par le passé de l'Allemagne : « Le Tribunal constitutionnel de Karlsruhe a autorisé l'armée allemande à participer à des opérations extérieures en dehors des zones militaires de l'OTAN qu'à partir de 1974. »

En visite en Pologne en début de semaine, Emmanuel Macron a remis sur la table l'idée d'une défense européenne renforcée. Il a aussi précisé qu'il tiendra, vendredi 7 février, un discours sur sa vision de la dissuasion nucléaire française. Une question sensible pour Paris, pour qui cet arsenal garantit la souveraineté militaire de la France. Le chef de l'État a plusieurs fois manifesté son attachement à l'armement nucléaire et sa volonté de le moderniser. La France a aussi déjà prévu d'investir 37 milliards d'euros jusqu'en 2025 dans ce but.

Cependant, le président a déjà annoncé qu'il voulait « prendre en compte les intérêts des partenaires européens » dans les stratégies françaises de dissuasion nucléaire.

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