Dans la capitale serbe, les murs, panneaux et lampadaires témoignent de l’histoire politique du pays. Depuis des mois de manifestations, artistes de rue et activistes y posent graffitis, autocollants et messages de contestation, transformant l’espace urbain en support de lutte.
« Plus rien ne pourra diviser ces enfants… il faut mettre de côté notre passé. » D’un ton solennel, un vétéran en treillis de l’armée serbe prend la parole sur le parvis de l’université de Novi Pazar face aux jeunes Bosniaques qui l’occupent. Personne n’aurait pu imaginer cette scène il y a sept mois. Pourtant, en ce vendredi pluvieux, l’ancien combattant Goran Samardžić a fait le trajet depuis Belgrade pour échanger le drapeau de sa ville avec celui de Novi Pazar, municipalité du sud-ouest de la Serbie à majorité musulmane.
Trente-trois ans plus tôt, il était envoyé à Sarajevo, à moins de 300 kilomètres de là, pour participer au siège de la capitale de Bosnie-Herzégovine. Considéré comme le plus long de l’Europe moderne, il a fait plus de 10 000 victimes civiles, en grande partie des musulmans, appelés Bosniaques dans cette région des Balkans. Sa présence et son discours sont des symboles forts pour la vingtaine d’étudiants et étudiantes de Novi Pazar. « Quand j’entends ça, j’ai l’impression d’enfin appartenir à ce pays », se réjouit Dina Mehović, habitante de Novi Pazar. Émue, l’étudiante en licence d’Anglais aux cheveux sombres peine à trouver ses mots. Aujourd’hui, la mobilisation étudiante a réussi à réunir les Bosniaques et le reste de la Serbie contre un ennemi commun : le gouvernement d’Aleksandar Vučić.
« On nous avait préparé une table avec de la viande halal »
Le 26 janvier, en bloquant à leur tour leur université, les jeunes de cette ville située à proximité des frontières du Kosovo, du Monténégro et de la Bosnie-Herzégovine, ont rejoint pour la première fois, depuis la fin de la guerre, un mouvement national serbe. Une vingtaine de leurs salles de classe se sont transformées en dortoir – les filles d’un côté, les garçons de l’autre. « D’un coup on s’est retrouvés à vivre dans ce bâtiment 24 heures sur 24, sept jours sur sept, à devoir prendre des décisions avec 100 personnes… », se remémore Ahmed Konicanin, 23 ans, qui fait des études pour devenir éducateur spécialisé.
La veille de la venue du vétéran, lui et une petite dizaine d’étudiantes et étudiants discutent à l’entrée de la faculté. Ils ont investi le parvis avec les chaises de l’université. Les cendriers improvisés se remplissent, témoins des longues heures passées à bloquer le bâtiment. Ce sont les manifestations organisées aux quatre coins de la Serbie auxquelles ils se rendent qui permettent de briser cette monotonie. « Quarante d’entre nous sont allés à la manifestation de Belgrade le 15 mars. Le mois suivant, on est partis à vélo jusqu’à Kraljevo où se tenait une grande manifestation », raconte le jeune Bosniaque, chargé de la logistique du voyage.
Mobilisés contre la corruption, les Bosniaques de Serbie participent à un mouvement de mobilisation nationale pour la première fois. L'occasion pour cette minorité musulmane, victime de stéréotypes, de renouer avec le reste du pays.