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Mines et gigafactories s’apprêtent à ouvrir sur le territoire européen. Déforestation, stress hydrique, pollution… Le coût environnemental d’un lithium local reste élevé. 

Lithium vert : un projet miné

Pour assurer une transition énergétique fondée sur l’électromobilité, l’Europe s’apprête à creuser des mines et construire des gigafactories sur son territoire. Au prix d’impacts environnementaux considérables. 

L'enquête de Cuej.info montre que l'exploitation de lithium, nécessaire à la transition énergétique, n'est pas aussi verte qu'elle le prétend. De l’extraction à son incorporation dans une batterie pour véhicule électrique, l'impact environnemental est énorme : de la déforestation à la pollution de l’air et de l’eau, en passant par une coûteuse consommation d’eau.

Sur les 33 projets de mines de lithium en Europe que nous avons recensés, un peu plus du tiers seront à ciel ouvert, soit le type d’extraction le plus polluant, en raison de la déforestation qu’il occasionne, des ressources en eau qu’il consomme et des déchets toxiques qu’il rejette. Pire : nous avons dénombré cinq projets à proximité d’une zone protégée. Deux en France et trois à l’étranger. Or, “les recherches scientifiques montrent que l'impact sur l'environnement d'un site minier s'étend sur 50 à 100 km, alerte Tobias Kind-Rieper, responsable Mine et Métaux de l’ONG WWF. Même si l'exploitation n’a pas lieu sur une zone protégée mais à proximité, elle aura un impact sur les animaux et les espèces”

Des zones protégées menacées

En Guyane, les recherches de Sudmine sur le site Voltaire jouxtent les massifs montagneux de Lucifer et Dékou, protégés au titre de réserve biologique intégrale. Contactée pour confirmer cette information, l'entreprise Sudmine n'a pas repondu à notre demande. 

En plus de ces explorations existantes, la France a lancé un appel à projet national pour développer la production des métaux critiques. D'autres sites comme Richemont (Moselle), Montebras (Creuse), Le Brunet (Alpes-de-Haute-Provence), et Tréguennec (Finistère)  pourraient être concernés, car ils ont été identifiés par le BRGM, le service géologique national, comme des gisements importants. Le site breton est classé zone Natura 2000, et suscite l'inquiétude des associations de protection de l'environnement. Lors de son déplacement dans le Finistère le 9 février dernier, Bérangère Abba, secrétaire d’Etat à la biodiversité, n’a pas rassuré la population en déclarant que Tréguennec était "un site exceptionnel mais les besoins sont importants. La pression géostratégique est forte sur ce type de métaux. Il faut mesurer plus précisément avec des scientifiques l’ampleur de ce gisement". Au vu des manifestations, le ministère de la Transition écologique a tenté de calmer le jeu quelques jours plus tard en répondant à Ouest-France que cette zone humide bénéficiait "de nombreux outils de protection et il n’est pas question de revenir là-dessus".

Au Portugal aussi, la contestation bat son plein face à la politique du gouvernement. Impatient d’exploiter ses réserves de lithium — les plus importantes de l’UE —, il a multiplié les autorisations de prospection. Notamment, dans la plus grande zone protégée du pays, la Serra da Estrela. Cette chaîne de montagnes est désormais encerclée par les projets d’exploration. L’exploitation du site d’Argemela ne pourra débuter qu’après une étude d’impact environnemental favorable, mais les opposants craignent que celle-ci ne soit biaisée, car le contrat de concession d’exploitation a déjà été signé. Au Parlement européen, le député José Ignacio Faria (PPE) interrogeait dès 2019 la tendance portugaise à empiéter sur des zones protégées. En réponse, la Commission européenne a renvoyé vers sa réglementation. Dans un long document, elle laisse tout de même une brèche ouverte “dans des cas exceptionnels” pour que des activités ayant un impact négatif sur des zones Natura 2000 puissent se poursuivre. “Sous certaines conditions, lorsque les garanties procédurales prévues par les deux directives sur la nature sont respectées”, précise-t-elle.

L’or blanc a soif d’or bleu

Si des Portugais s’inquiètent autant de l’installation de mines de lithium sur leur territoire, c’est aussi en raison des besoins en eau qu’une telle industrie réclame. Et ils ont de quoi : le seul site de Romano, situé à Montalegre, au nord du pays, nécessitera chaque jour 10 000 m3 d’eau, soit l’équivalent d’un bassin de parc aquatique. La moitié sera recyclée, mais cette nouvelle mine ajoutera de la tension à un territoire déjà sensible aux sécheresses. Le cas de Romano n’est pas isolé. D’après l’Institut de la mer et de l’atmosphère portugais (IPMA), en ce mois de février 2022 particulièrement critique, une grande partie du pays est en état de sécheresse, à cause du manque de renouvellement des réserves hydriques. Or deux des onze projets miniers en exploration se trouvent dans des zones définies en sécheresse modérée et cinq dans des territoires en état de sécheresse sévère, dans l’est du Portugal. Contactée par Cuej.info pour des explications, l'entreprise Lusorecursos n'a pas donnée suite à notre demande.

À l’autre bout de la chaîne, la fabrication des batteries lithium-ion. Les usines qui fleurissent à travers l’Europe publient parfois leurs estimations de consommation d’eau. Par exemple, l’entreprise française Automotive Cells Company (ACC) qui ouvrira les portes de sa fabrique à Douvrin fin 2023, prévoit d’utiliser 300 000 m3 d’eau par an pour les procédés industriels selon la Mission régionale d’autorité environnementale. D’après le même rapport, cette estimation pourrait être amenée à tripler avec l’augmentation de la production, pour atteindre 900 000 m3/an pour une production maximale de 150 000 batteries. En comparaison, l’usine Renault de Douai consomme 1,6 million de m3/an pour la fabrication de 470 000 véhicules thermiques, selon un arrêté préfectoral. D’après ces chiffres et nos calculs, une voiture sortant de l’usine Renault demanderait 3 m3 d’eau, contre 6 m3 pour une batterie sortant de l’usine ACC. Le double, sans compter l’assemblage du véhicule qui suit. Contactée à propos de ces chiffres, l'entreprise ACC n'a pas donnée suite à notre demande. 

Ces estimations sont corroborées par des projets similaires, à l’instar de l’allemand Svolt à Überherrn (Allemagne), qui estime que son usine consommera un peu plus d’un million de mètres cubes d’eau par an pour une production maximale similaire. Les constructeurs assurent que ces quantités sont relativement peu élevées par rapport à d’autres domaines de l’industrie. Mais force est de constater que beaucoup d’usines arrivent à faire nettement mieux. Avec l’augmentation des épisodes de sécheresse, la consommation d’eau des industries est logiquement de plus en plus scrutée. Tesla a d’ailleurs été épinglée par des associations environnementales pour avoir augmenté les volumes d’eau pompée dans sa gigafactory à proximité de Berlin. Un comportement qui a inquiété alors que la région avait des problèmes d’approvisionnement en eau. Lorsqu’une journaliste lui fait part des inquiétudes citoyennes autour de la question de l’eau, son PDG Elon Musk répond en riant : “Il y a de l'eau partout ici. Est-ce que tu trouves que cet endroit ressemble à un désert ? C'est ridicule. Il pleut tellement."

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