15 mars 2012
Alors que l'Union européenne récupère la coprésidence de l'Union pour la Méditerrannée, Martin Schulz, président de la délégation à l'Assemblée parlementaire de l'UpM souhaite impulser une nouvelle dynamique aux relations euroméditerranéennes. En tirant les leçons de quatre années d'échecs successifs et des erreurs de conceptions de 2008.
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"Depuis plusieurs années, l'Union européenne rate des occasions historiques et je ne veux pas que l'on connaisse cela à nouveau. Le Parlement européen l'a compris, au contraire d'une partie de l'Union." La pique est signée Martin Schulz (S&D), l'homme fort du Parlement et tout nouveau président de la délégation à l'Assemblée parlementaire de l'Union pour la Méditerranée (UpM), qui se réunissait hier après-midi à Strasbourg.
"Nous allons travailler dur"
Pour son premier discours devant la délégation, Martin Schulz a affirmé son ambition de relancer l'initiative euro-méditerranéenne. "J'ai l'intention de développer le rôle du Parlement européen pour forger des dialogues et par ce biais lancer de nombreux projets, a-t-il détaillé. Hôpitaux, rues, universités, infrastructures, agriculture durable... Ces pays en ont besoin." Le partenariat économique est donc au cœur du projet. Pour financer ces futurs investissements, l'idée d'une nouvelle banque d'investissement euro-méditerranéenne, propre à l'UpM est débattue. Elle recueille l'approbation de nombreux eurodéputés. Autres projets évoqués : l'encouragement du micro-crédit et le développement de l'université Euro-Méditerranéenne (EMUNI). La députée Tokia Saïfi (PPE), très impliquée dans la délégation de l'UpM, a par ailleurs tenu à ce que la diplomatie ne soit pas la grande oubliée. L'élue française réclame une "déclaration extrêmement forte à l'encontre du régime syrien. Il faudra aussi pousser nos voisins du Sud à être plus vigoureux face à cet assassinat." Toutes ces questions seront débattues dans deux semaines, à Rabat. La délégation parlementaire de l'UpM s'y réunira pour sa huitième session, les 24 et 25 mars. "Nous allons travailler dur", assure Martin Schulz.
Quelle crédibilité pour l'UpM?
Au cours de cette réunion, les eurodéputés se sont montrés particulièrement critiques à l'encontre de la diplomatie européenne. "Ca fait des années que nous tirons la sonnette d'alarme", s'est désolée Tokia Saïfi. "Avons-nous vraiment aidé les foules qui descendaient dans la rue? Avons-nous apporté les bonnes réponses à ces gens?", a renchéri Pier Antonio Panzeri (S&D). Pour le député italien, la discrétion de l'UE – en particulier celle de Catherine Ashton - durant les révoltes arabes pose le problème de la "crédibilité" de l'UpM. Après avoir soutenu et reçu les despotes déchus Moubarak, Kadhafi ou encore Ben Ali, elle doit regagner la confiance de ses partenaires du sud de la Méditerranée. Martin Schulz partage cette analyse - "j'avoue, notre soutien a été ambigu" – mais estime que l'incertitude planant sur l'avenir de nos voisins sud-méditerranéens nécessite de tirer un trait sur le passé. Pour le président du Parlement, "si les gens lient la démocratie à moins de sécurité, moins de perspective économique, ils risquent de retourner vers les anciens régimes ou chez les fondamentalistes." Face aux échecs successifs de l'UpM, les eurodéputés espèrent que la bonne volonté témoignée hier sera enfin suivie de faits.
Pour l’eurodéputé espagnol Raimon Obiols (S&D), l’Union pour la Méditerranée paye aujourd’hui ses erreurs passées et une conception bancale. Membre de la délégation à l’Assemblée parlementaire de l’Union pour la Méditerranée, il n’hésite pas à faire la critique de cette institution qui n’a pas avancé.
L’Union pour la Méditerranée a-t-elle encore un avenir ?
Avec le changement de coprésidence, l’Union pour la Méditerranée peut prendre un profil pragmatique. Ce qui est bien en dessous du projet initial. Il n’y aura plus vraiment de géopolitique comme le voulait Nicolas Sarkozy en 2008. On va avoir une approche beaucoup plus réaliste aujourd’hui.
Pourquoi l’UpM a été incapable de remplir ses objectifs ?
L’UpM a été mal conçue dès le départ. Elle a été très liée à la politique française via la campagne présidentielle de 2007. Il y a eu les beaux discours d’un côté. Le manque de réalisme et de précision d’un autre. En fait l’intendance n’a pas suivi les paroles. L’union a été conçue de manière bien trop politisée, pas assez pragmatique. Cela manquait aussi d’argent, ce qui a provoqué l’échec de plusieurs projets.
L'UpM a été mal conçue dès le départ (...) Il y a eu les beaux discours d'un côté, le manque de réalisme et de précision de l'autre. (Raimon Obiols, DR)
Le changement de coprésidence de la France à l’UE est-il le résultat de la victoire de l’Allemagne ?
On peut faire cette lecture là, mais je pense que c’est erroné. C’était très pertinent de prévoir cette union seulement pour les riverains de la Méditerranée. Mais dès le départ il y a eu un manque de concertation avec l’UE, et rien de précis concernant les liens avec l’UE. L’Allemagne a donc eu une réaction logique en voulant être intégrée au processus.
La réussite de l’UpM ne dépend elle pas toujours de l’évolution du conflit Israëlo-palestinien ?
L’UpM peut exister malgré ce conflit si on fait preuve de pragmatisme et qu’on met les moyens pour mener à bien les projets. L’Assemblée parlementaire de l’UpM reste la seule instance ou des représentants arabes et israéliens sont assis côte à côte. On peut réaliser une politique méditerranéenne ambitieuse avec des changements importants dans le processus de dialogue.
Quel est l’impact du printemps arabe sur l’UpM ?
Les révoltes dans le monde arabe ont posé un problème politique majeur pour nous. En politique, les symboles sont très importants. La présence de Moubarak, Kadhafi et consorts à Paris est un symbole dont il sera difficile de se défaire. Encore une fois, l’Union pour la Méditerranée a mal commencé. Aujourd’hui il lui faut retrouver une légitimité dans le monde arabe.
C'était l'un des engagements de campagne du candidat Sarkozy. Le 7 février 2007, lors d'un meeting à Toulon, Nicolas Sarkozy évoque pour la première fois l'idée d'une "Union Méditerranée." L'objectif: établir un partenariat égalitaire entre les pays bordés par la Méditerranée - et uniquement ceux-ci. Un projet auquel ne goûte pas l'Allemagne, qui s'insurge contre cette volonté de couper l'Union européenne en deux. Après d'âpres négociations, un compromis est trouvé entre Paris et Berlin. L'"Union pour la Méditerranée" regroupera finalement tous les pays membres de l'UE. L'institution imaginée par Nicolas Sarkozy est morte-née.
La démocratie oubliée
Qu'importe. L'UpM est lancée en grande pompe à Paris, en juillet 2008, en même temps que le début de la présidence française au Conseil de l'Union. Le tapis rouge élyséen est foulé par les leaders les plus controversés de la région – Kadhafi excepté. Au premier rang d'entre eux : l'Egyptien Hosni Moubarak et le Syrien Bachar al-Assad. Quatre ans plus tard, le premier est jugé par la justice de son pays et encourt une condamnation à mort, le second massacre son peuple...
Le Sommet de Paris est l'occasion d'annoncer une feuille de route pour l'avenir. Des grands projets d'investissement sont annoncés dans les transports, l'éducation et l'environnement. Silence total sur les questions des droits de l'homme ou de démocratie. L'UpM ne poursuit donc qu'un objectif de partenariat économique. L'apparition de la crise financière, qui provoque une diminution des échanges commerciaux Nord-Sud, plombe le projet français.
Paralysée par le conflit israélo-palestinien
Aux difficultés économiques s'ajoute le charbon ardent israélien. Contre les conseils du quai d'Orsay, Nicolas Sarkozy fait tout pour intégrer Israël à l'Union pour la Méditerranée. Malgré l'opposition farouche de la plupart des pays arabes, le président de la République y parvient. Mais le 27 décembre 2008, l'Etat hébreu lance par surprise l'opération "Plomb durci". Trois semaines de bombardements et une offensive terrestre dans la bande de Gaza provoquent un tollé international. Les rares pays du sud de la Méditerranée entretenant des relations diplomatiques avec Israël coupent tout contact. Seulement six mois après le lancement de l'UpM, il devient donc impossible de la faire fonctionner. Exemple de cette inertie: son site internet non mis à jour, et inaccessible aux arabophones et francophones.
Silence coupable
Malgré ce contexte géopolitique délétère, la France annonce par surprise, en mai 2010, la création d'Inframed, un fonds d'investissement qui doit financer les chantiers de l'Union pour la Méditerranée. L'enveloppe allouée s'élève à 385 millions d'euros, Paris visant à terme le milliard d'euros. Cette nouvelle dynamique s'avère n'être qu'un feu de paille, stoppée net par les révoltes arabes. Tout au long du "Printemps arabe", l'UpM brillera par son absence et surtout son silence. Mais que dire lorsque l'on s'est prêté à des concessions récurrentes vis-à-vis des régimes dictatoriaux syrien, égyptien, libyen ou encore tunisien? Comble de l'absurde: la soif démocratique des peuples sud-méditerranéens s'oppose aux intérêts de l'UpM.
Raphaël Badache et Thibaud Métais
L'UpM en trois questions
> Combien de membres au sein de l'UpM ?
L'UpM regroupe 43 pays : les 27 de l'Union européenne, la Turquie, Israël et les pays arabes riverains de la Méditerranée. Soit un total de 800 millions de personnes.
> Qui est son secrétaire général ?
Il s'agit de Fathallah Sijilmassi. Marocain, il a succédé à l'un de ses compatriotes, Youssef Amrani. Elu mi-février, il est le troisième secrétaire général de l'UpM en l'espace de deux ans.
> Qui pour succéder à l'Egypte à la coprésidence ?
Le Maroc est la Jordanie sont pressentis pour prendre la tête de la rive sud de l'UpM. Amman tient toutefois la corde, bien qu'elle ne soit pas riveraine de la Méditerranée.
Au sommet de Paris en 2008, Nicolas Sarkozy avec Bachar Al-Assad et Hosni Moubarak (DR)