14 mars 2018
Découragés par les prix trop élevés, les consommateurs européens renoncent fréquemment aux achats en ligne hors de leur pays. Le Parlement a adopté une loi renforçant la transparence du marché des livraisons pour dynamiser le commerce en ligne.
La députée britannique Lucy Anderson a porté le projet pendant deux ans. © Phoebé Humbertjean
« Envoyer un colis de Bruxelles à Aix-la-Chapelle, ça coûte quatre fois plus cher que de Munich à Berlin, alors que c’est quatre fois plus près », s’est indigné le député allemand Markus Ferber (PPE, droite), lundi 12 mars dans l’hémicycle du Parlement européen. Selon les députés, ces prix exorbitants pourraient diminuer en améliorant la transparence du marché des livraisons transfrontières. C’est le sens du texte voté au Parlement européen mardi 13 mars sur les nouvelles mesures de livraison de colis. Un vote marqué par une large majorité d’avis favorables, avec 604 voix pour et 80 contre.
Le manque de transparence ne permettait pas jusque-là de développer sur ce marché une concurrence suffisante. Pour y remédier, la Commission européenne va créer dans les prochains mois un site internet dédié aux tarifs de livraison en Europe. Les consommateurs pourront ainsi mieux les comparer. « Le but est de donner plus de pouvoir au consommateur », explique Markus Ferber. Toutes les entreprises de livraison seront tenues de fournir des informations relatives à leur activité et à leurs tarifs. À charge des autorités nationales de vérifier leur honnêteté.
« Aujourd’hui, il est clair que le marché ne fonctionne pas correctement, déplore Pavel Telicka, député tchèque (ADLE, libéraux). Ce sont les grosses entreprises qui régissent le marché. » Une allusion claire à Amazon, le géant américain qui domine actuellement le secteur. Le libéral démocrate entend défendre les intérêts des consommateurs et des petites entreprises : « Il est important de leur donner une chance. »
Un pas de plus vers le marché numérique unique
D’après les députés européens, l’ouverture du marché des livraisons transfrontières dopera les ventes en ligne en Europe. « Petit à petit, nous créons un marché unique numérique », se réjouit Andrus Ansip, vice-président de la Commission.
Ce projet est construit patiemment par l’Union européenne depuis mai 2016 autour de trois grands textes. Adopté en février, le premier vise à supprimer les discriminations lors des achats en ligne. Autrement dit, les commerçants ne seront plus autorisés à appliquer des conditions de paiement différentes selon la nationalité ou le lieu de résidence des clients. Le deuxième, voté le 12 mars, cherche à renforcer la transparence et marque un pas de plus vers la voie du marché unique numérique. Prochaine et dernière étape, une ultime loi sur la coopération entre États membres en matière de protection des consommateurs en ligne.
« Le rapport sur les livraisons transfrontières est un élément important du marché numérique unique en matière de soutien à la croissance du e-commerce », explique la députée britannique Lucy Anderson (S&D, sociaux-démocrates) qui a porté le projet en tant que rapporteure.
L’enjeu est de taille : le secteur du commerce en ligne pourrait générer jusqu’à 115 milliards d’euros dans l’économie européenne. L’an dernier, 68% des internautes européens ont acheté en ligne, mais seuls 33% l’ont fait dans un autre État membre. Les délais de livraison et les tarifs élevés découragent les consommateurs en ligne. Selon une étude réalisée en 2015 par la Commission, deux tiers d’entre eux avaient finalement renoncé à leurs achats en ligne au moment de payer les frais de livraison.
L’extrême-droite monte au front
Parmi les rares opposants au texte, le groupe de l’Europe des Nations et des Libertés (ENF, extrême-droite) est le plus virulent. « Diminuer à tout prix le coût de livraison se fera au détriment des conditions de travail des salariés, déjà largement victimes du travail dissimulé », estime la députée française du Front National Marie-Christine Arnautu. Autre argument avancé, l’écologie : « On ne peut justifier l’intensification des livraisons, aggravant les émissions polluantes », a-t-elle ajouté. Son collègue autrichien à l’ENF, Georg Mayer (FPÖ), s’inquiète aussi de l’ingérence de l’Union européenne dans le marché des livraisons : « Il s’agit de ne pas interférer avec la liberté d’entreprendre et de réguler un certain coût en termes administratifs ».
Lors de la rédaction du projet, l’association E-Commerce Europe a également montré quelques réticences. Représentante des intérêts de 75 000 marchands européens en ligne, elle s’est élevée contre la charge administrative imposée aux entreprises de livraison et a obtenu de la Commission qu’elle adapte les conditions de la régulation pendant deux ans. Cette longue réflexion a permis de trouver un compromis entre les groupes européens et de parvenir à un vote marqué par une écrasante majorité.
Les Etats doivent désormais valider ces nouvelles mesures avant leur entrée en vigueur dans quelques mois. En 2019, la Commission mènera une évaluation de ces nouvelles mesures, puis une autre tous les quatre ans.
Phoebé Humbertjean et Juliette Mariage