Quand l’auteur se dit victime

Certaines victimes deviennent auteurs d'agressions sexuelles, comme cette jeune femme, condamnée à 20 ans de réclusion criminelle pour viols et agressions sexuelles sur son garçon, dont nous publions une lettre de défense. Pourtant, selon les experts, il n'y a aucun déterminisme dans le passage à l'acte d'une victime.

Le 25 septembre 2013, la cour d’assises du Bas-Rhin reconnaît coupable une jeune femme de 25 ans pour de multiples viols et agressions sexuelles sur son garçon et lui inflige la peine maximale pour ce type de crimes. Une partie des faits se sont déroulés au sein du parloir d’une prison où elle rendait visite à son compagnon. Dans cet endroit, la mère a livré son enfant à son partenaire. La justice a aussi accès à des vidéos, dans lesquelles elle se met en scène en train d’abuser sexuellement son garçon. L’auteure a ensuite transmis ces images à son compagnon emprisonné.

Avant le début du procès, l’accusée choisit de rédiger une lettre dans laquelle elle tente d’expliquer comment elle en est arrivée à commettre l’impensable. Ses avocats se sont notamment appuyés sur ce document pour sa défense. Ils ont mis en avant l’emprise exercée par son concubin sur elle et la peur dont elle ne se serait jamais détachée, même lorsqu’il était incarcéré.  

Cette lettre a la particularité d’être une parole d’auteur. Même si ce document est à considérer dans son contexte, celui d’une femme qu’on accuse de faits d’une extrême gravité, il permet d’avoir son point de vue. Pour ses avocats, il est rare d’avoir des personnes poursuivies pour un crime sexuel présentant les faits avec autant de limpidité. La mère décrit avec minutie des scènes de violences sexuelles et des menaces psychiques.

Viol de son fils dans des conditions insoutenables

Dans toute la première partie de la lettre, la femme fait le choix de présenter des scènes d’une violence effroyable qu’elle aurait vécues avec son ex-partenaire. Elle le dépeint comme un pervers narcissique. Dans ses écrits, elle dit avoir toujours agi sous la contrainte, tout en reconnaissant sa responsabilité.

Sa lettre a eu peu d’impact sur les experts psychiatres ayant examiné le couple. Lors de l’audience, l’un d’entre eux a même déclaré qu’il était difficile de dire lequel, de son compagnon ou d’elle, avait le plus utilisé l’autre.

La justice n’a jamais considéré l’accusée comme une victime sous emprise. Elle a été condamnée à la même peine que son ex-partenaire. Elle est apparue comme une mère qui a violé son fils dans des conditions insoutenables. Aujourd’hui dans sa troisième année de prison, la jeune mère n’a pour l’instant pas demandé d’aménagement de peine. À ses avocats, elle a indiqué ne jamais vouloir le faire.

*Le nom de l’auteure n’est pas donné dans le cadre de la loi sur la protection des victimes mineures

Lettre envoyée au tribunal de grande instance de Strasbourg, le 2 novembre 2012.

François Biringer est psychologue dans un centre de ressources pour auteurs de violences sexuelles. Dans le cadre de son travail, il reçoit des auteurs qui ont été condamnés et qui ont une obligation de suivi socio-judiciaire, ainsi que des victimes au cours d’expertises judiciaires.

Quelles sont les conséquences d’une agression sexuelle subie pendant l’enfance ?

Lors de son éducation, l’enfant va se construire des barrières qui vont définir les principaux interdits. La barrière la plus connue est celle de l’inceste. Si lors de l’éducation, ces barrières sont fragilisées par un traumatisme, sexuel notamment, l’évolution de l’enfant peut-être très compliquée, surtout lors de l’adolescence où le jeune homme va remettre tous les interdits en cause. Si les barrières n’ont pas été correctement mises en place, elles peuvent être levées et la victime peut éventuellement passer à l’acte.

Pourquoi à un moment précis la victime va, dans certains cas, passer à l’acte et devenir auteur ?

Le passage de la victime à l’auteur relève d’un mécanisme qu’en psychanalyse on appelle le mécanisme de répétition. Lorsqu’elle subit un trauma, la victime développe un certain nombre d’affects, de sentiments qu’elle va souvent refouler inconsciemment car elle ne sait pas comment les gérer. Lorsque ces affects vont ressortir, la victime peut ressentir des pulsions qu’elle va chercher à calmer. C’est à ce moment qu’elle peut chercher à passer à l’acte et à son tour braver l’interdit et abuser sexuellement d’une autre personne. Souvent, les auteurs d’agressions sexuelles ne parlent pas de plaisir, mais d’apaisement.

Mais une victime ne vas pas forcément passer à l’acte ?

Non, il n’y a pas de fatalité. C’est un des points les plus importants. On ne peut en aucun cas déduire que, automatiquement, les gens qui ont été victimes vont passer à l’acte. Ce qui joue dans cette envie de passage à l’acte pour la victime, c’est la perception et la gestion qu’aura la victime de ses affects. Le langage est un élément très important pour la gestion d’un tel trauma. Il faut faire le deuil du traumatisme et le langage aide énormément. Lorsque l’on perd un être cher, on en parle, on fait un enterrement. Pour les agressions sexuelles subies, c’est la même chose. Il faut en parler. Les victimes qui font leur deuil correctement, en voyant un spécialiste, en partageant ce qu’elles ont subi, ne seront pas sujettes aux pulsions entraînées par les affects refoulés. Mais dans certains cas le deuil est mal fait et les pulsions ressortent. Et je dis bien : dans certains cas !

Un bon encadrement familial aide-t-il à gérer ses pulsions et à mieux faire son deuil ?

Le milieu familial joue souvent le rôle inverse. Il y a une telle proximité entre la victime et sa famille que souvent elle n’ose pas en parler. D’une part parce qu’elle a peur de ne pas être crue et d’autre part parce qu’elle n’a pas envie d’affecter sa famille. Ce n’est donc pas l’univers familial qui va aider le plus à gérer ses affects. Le mieux, c’est de voir un tiers neutre, un thérapeute avec qui l’on pourra de manière impartiale faire ressortir ces affects refoulés.

Inceste

Relation sexuelle entre des personnes parentes ou alliés aux degrés prohibés par les lois. L’inceste est une circonstance aggravante lors d’une agression sexuelle sur mineur.