Violence sous X
Le développement d’internet a largement banalisé la pornographie. Il y en a désormais pour tous les goûts et toutes les pratiques en quelques clics, gratuitement ou par abonnement. La violence fait partie intégrante de cet univers. Provoque-t-elle un effet cathartique, ou mimétique, chez les consommateurs ? Voyage dans un univers sans limite.
Chaque seconde, près de 30 000 personnes visiteraient des sites pornographiques sur internet dans le monde – une sur trois serait une femme. L’industrie s’est adaptée et chaque fantasme fait l’objet de vidéos, qu’il soit hétérosexuel, homosexuel, féministe, sadomasochiste, ou encore pédopornographique ou zoophile. Ces dernières années, les consommateurs sont devenus acteurs en publiant leurs propres vidéos amateurs.
Les vidéos nommées "violent", "brutal", "rough", "abuse" reviennent dans toutes les catégories. Preuve que la violence dans la pornographie est produite, recherchée, consommée. Excitante, par déduction.
Une violence bien réelle
À la différence des scènes de sexe au cinéma, le rapport n’est pas mimé dans les films pornographiques, il est réel. La violence ne fait pas l’objet d’effets spéciaux et la souffrance est tangible – que le spectateur en ait conscience ou non. Malgré les cris de plaisir apparent, on peut parfois douter du consentement de l’actrice lorsqu’elle est manipulée sans ménagement d’une position à l’autre.
La "première sodomie" est le fruit de très nombreuses vidéos dans lesquelles la femme souffre presque systématiquement. Si l’on s’attarde sur les pratiques les plus extrêmes – physiquement parlant – comme la "gorge profonde" ou le "DVDA" (pour "double vaginal, double anal"), les larmes et la morve qui coulent ne trompent pas sur la réaction des corps, à la limite de l’insoutenable.
Le consommateur de pornographie n’est plus l’individu pervers dont les fantasmes doivent être ramenés à une origine pathologique, (...), mais le client qui exprime des désirs
Les scénarios d’agressions sexuelles et de viols ne sont pas rares non plus. La responsabilité des producteurs se pose mais ces derniers estiment répondre à une demande des consommateurs, comme le raconte Mathieu Trachman dans son ouvrage Le travail pornographique – Enquête sur la production de fantasmes. L’auteur explique en quoi la notion de fantasme normalise ces scénarios : « Le consommateur de pornographie n’est plus l’individu pervers dont les fantasmes doivent être ramenés à une origine pathologique, (...), mais le client qui exprime des désirs sur lesquels un jugement n’a pas à être porté. »
Un débat controversé
Les conséquences de cette violence sur les consommateurs ne font pas consensus au sein de la communauté d’experts. De l’avis de certains chercheurs, les images et scénarios pornographiques encouragent la commission d’infractions à caractère sexuel. Richard Poulin, professeur canadien de sociologie, se réfère aux données du FBI selon lesquelles 81% des meurtriers en série à caractère sexuel consommeraient considérablement de la pornographie et énonce : « La consommation abondante et, à l’occasion, compulsive de pornographie constitue une occurrence plus importante chez ces meurtriers que l’abus sexuel subi durant l’enfance. Malgré cela, ce facteur n’est jamais pris en compte dans l’explication de la dynamique ou de la cause des meurtres. »
Laurent Guyénot, édité par Kontre Kulture, dénonce quant à lui l’utilisation de la liberté d’expression pour défendre la pornographie à tout prix et fait un parallèle avec la communication : « Si un publiciste met en scène des images d’une belle voiture, ce n’est certainement pas pour procurer aux spectateurs une "catharsis", un "exutoire" à leur fantasme de voiture et les dispenser ainsi d’en acheter une, mais bien au contraire pour exacerber ce fantasme et inciter le spectateur à "passer à l’acte". » L’effet "mimesis" des consommateurs de pornographie serait en cause.
La pornographie est un substitut au viol
À l’inverse, Karen Boyle, professeure écossaise d’études féministes affirme dans son ouvrage qu’il y a autant de lecteurs bibliques obsessionnels parmi les criminels sexuels que de consommateurs de pornographie et que de telles conclusions ne peuvent être tirées.
Une théorie corroborée par l’économiste américain Todd D. Kendall, qui a mis en perspective l’usage d’internet et diverses infractions (fraude, falsification, incendie volontaire, crime sexuel, consommation de stupéfiants) aux États-Unis afin de dégager les liens les plus probants. Il est venu à la conclusion que le nombre de viols et de meurtres a sensiblement décliné entre 1990 et 2003 dans les États américains où le développement d’internet a été rapide. Cela prouverait que « la pornographie est un substitut au viol ».
Des films pornographiques de plus en plus brutaux
En France, l’administration pénitentiaire semble avoir tranché la question. Elle estime que la pornographie a un effet thérapeutique sur les détenus. « Des canaux télévisés en diffusion interne permettent une projection quotidienne ou hebdomadaire selon les cas, de films pornographiques, avec un renouvellement régulier de la programmation, explique le sociologue Arnaud Gaillard dans sa thèse, la pornographie fait partie de ces rustines que l’administration pénitentiaire utilise envers et contre toute notion de moralité ou d’objectivité perceptible à long terme. Ce qui prime, c’est l’efficacité ponctuelle et immédiate. »
Avec le temps et la lassitude des spectateurs, désireux d’images toujours plus fortes, le cinéma X s’est refermé sur lui-même : la crudité immédiate de l’acte a pris le dessus sur les enjeux dramatiques
La violence n’a cependant pas toujours été présente dans la pornographie. Michela Marzano, philosophe féministe aborde ce glissement dans son ouvrage Malaise dans la sexualité, le piège de la pornographie : « À partir des années 1990, le porno "évolue". Pendant les années 1970, la pornographie semblait répondre à une demande de liberté sexuelle en opposant à la "morale traditionnelle" restrictive une "nouvelle morale" (...) mais avec le temps et la lassitude des spectateurs, désireux d’images toujours plus fortes, le cinéma X s’est refermé sur lui-même : la crudité immédiate de l’acte a pris le dessus sur les enjeux dramatiques ; le sexe, désormais filmé avec la précision d’une caméra chirurgicale endoscopique, a intégré la violence et substitué la brutalité au désir ». Sans que l’on sache, à la fin du voyage, si le visionnage d’images pornographiques conduit à la commission d’infractions sexuelles.
Kontre Kulture
Les éditions Kontre Kulture, créées en 2011 par Alain Soral. Elles publient notamment des livres réputés antisionistes ou conspirationnistes
Catharsis
Au théâtre : une purification de l’âme du spectateur par le spectacle de la violence. Se dit d’un effet thérapeuthique visant à se libérer de ses traumatismes affectifs refoulés
Mimesis
Imitation, représentation
Mathieu Trachman
Chercheur à l’INED. Auteur de Le travail pornographique – Enquête sur la production de fantasmes, 2014, Éditions La découverte
Richard Poulin
Sociologue, professeur à l’université d’Ottawa (Canada). Auteur de La mondialisation des industries du sexe, 2011, Éditions Imago
Laurent Guyénot
Docteur en études médiévales. Auteur de Le livre noir de l’industrie rose : de la pornographie à la criminalité sexuelle, 2000, Éditions Imago
Karen Boyle
Professeure d’études féministes à l’Université de Stirling (Ecosse). Auteure de Media and violence, 2005, Éditions SAGE
Todd D. Kendall
Professeur-assistant d’économie à l’Université de Clemson (Caroline du Sud, Etats-Unis) de 2003 à 2008. Auteur de Pornography, rape and the Internet, 2007, Clemson Université
Arnaud Gaillard
Sociologue, juriste, militant des droits de l’homme. Auteur de Sexualité et prison : désert affectif et désirs sous contrainte, 2009, Max Milo
Michela Marzano
Philosophe, ancienne professeure à Paris Descartes, actuellement députée italienne. Auteure de Malaise dans la sexualité, le piège de la pornographie, 2000, JC Lattès