Condamnés à se soigner

Les auteurs de violences sexuelles sont pris en charge par la justice de manière spécifique. Un contrôle plus strict s'exerce sur ces délinquants dont la société se méfie.

Illustration de Juliette Buchez

Les auteurs de violences sexuelles bénéficient d’une prise en charge spécifique qui prévoit une place importante à la psychiatrie, notamment sous l’impulsion de la loi du 17 juin 1998 relative à la prévention et la répression des agressions sexuelles et de la protection des mineurs. Désormais, l’expertise est systématique et les soins sont érigés en principe malgré les réticences des justiciables. « Généralement, les auteurs de violences sexuelles sont bien insérés dans la société. Ce qui est difficile dans la prise en charge, c’est de les amener vers une adhésion aux soins, vers une reconnaissance des faits », explique Drifa Wirrmann, psychiatre et co-fondatrice en 2010 du Centre de ressources sur les auteurs de violences sexuelles (Cravs) en Alsace. Beaucoup d’acteurs de la prise en charge, du juge à l’éducateur spécialisé, se heurtent à la rhétorique des criminels sexuels : « Je ne suis pas fou, je n’ai pas besoin d’un psy. » Le choix n’est pas laissé aux personnes sous main de justice, condamnées à se soigner.

Obligation et injonction

L’obligation et l’injonction de soin sont deux mesures pénales assez proches pour lutter contre la récidive des auteurs de violences sexuelles. Elles obligent un condamné (en milieu ouvert ou fermé) à suivre des soins avec un médecin. L’injonction est un peu plus contraignante et le non-respect de ces décisions expose le justiciable à une nouvelle sanction, voire à une réincarcération. Ces mesures ne sont pas spécifiques aux violences sexuelles mais elles se généralisent dans ce domaine. Il y a une médicalisation de la prise en charge des délinquants sexuels « à tel point que les personnes incarcérées pour ces faits sont prises en charge en détention par le service médico-psychologique régional et non par les agents de probation », éclaire Marion Rochet, directrice du Service pénitentiaire d’insertion et de probation (Spip) du Bas-Rhin.

Mais le champ d’application qui permet à l’injonction de fonctionner le mieux est le suivi socio-judiciaire. Instauré par la loi de 1998, il s’agit d’une approche pluridisciplinaire comprenant psychiatre, agent de probation (éducateur spécialisé, assistante sociale) et juge d’application des peines (Jap). Il peut être prononcé en peine principale ou complémentaire et impose des soins sur plusieurs années, ainsi qu’une prise en charge individualisée. L’objectif est simple : lutter contre la récidive des auteurs de violences sexuelles en jouant un rôle de soignant mais aussi de garde-fou, de sonnette d’alarme. Les acteurs de la prise en charge échangent entre eux dans la limite du secret professionnel et cernent plus efficacement les auteurs qu’ils ont en face d’eux.

Il n’y a pas plus de troubles psychologiques ou psychiatriques dans les violences sexuelles et leurs auteurs que pour les autres formes de violences

À la fréquence d’une séance de thérapie par trimestre, les psychiatres soignent en premier lieu tout ce qui relève de la maladie et pouvant être la cause de l’acte. Les médecins établissent ensuite des profils à partir de l’analyse du comportement et se concentrent sur les forts potentiels de récidive. « Souvent, les auteurs de violences sexuelles n’ont pas accès à l’altérité, ils ont un défaut d’empathie et ne sont pas capables de reconnaître les émotions des autres. Ils ne sont pas fous au sens psychiatrique du terme mais ont en majorité des troubles du comportement », clarifie Drifa Wirrmann. Un point de vue partagé par le docteur Jean-George Rohmer, psychiatre et responsable du Cravs Bas-Rhin : « Il n’y a pas plus de troubles psychologiques ou psychiatriques dans les violences sexuelles et leurs auteurs que pour les autres formes de violences. »

Tout n’est pas psychiatrie

Le fonctionnement en réseau du suivi socio-judiciaire permet d’avoir une prise en charge plus large, plus globale que le seul paradigme de la psychiatrie. La loi garantit un suivi post carcéral strict pour les auteurs de violences sexuelles. Le Spip les voit plus régulièrement que les autres auteurs. « Une fois toutes les deux semaines contre une fois tous les deux mois pour les auteurs de violences simples », précise la directrice de la structure, avant d’ajouter : « Il n’y a pas de hiérarchie dans les infractions, mais on est plus strict pour les violences sexuelles. » L’après prison est délicat car c’est à ce moment que les personnes déjà condamnées pour ce genre de faits peuvent récidiver. « Les auteurs de violences sexuelles respectent le régime carcéral, ils se font discrets en détention donc ils obtiennent souvent des remises de peine qu’il faut gérer », synthétise Peggy Heinrich, juge d’application des peines à Strasbourg depuis 2013. Le suivi permet de contrôler les auteurs en les accompagnant vers les leviers de l’insertion : logement, travail, démarche administrative…

Un suivi qui obtient des résultats

Tout n’est pas parfait. La mise en place du suivi socio-judiciaire est récente. Les longues peines ne sont pas concernées par la mesure et pour les autres, le suivi socio-judiciaire reste résiduel. « Actuellement, sur 2392 aménagements de peine, j’ai 42 suivis socio-judiciaires », indique Peggy Heinrich. Autre point négatif, la prise en charge ne concerne que les personnes placées sous main de justice, c’est-à-dire passées à l’acte et condamnées. Le terrain de la prévention primaire en France n’est pas investi par l’État. « On laisse ce travail à des associations qui se basent sur le témoignage mais sur rien de scientifique », peste Drifa Wirrmann. Cette dernière dénonce un manque global de moyens destinés aux violences sexuelles, notamment pour les auteurs mineurs « alors qu’elles se transmettent entre générations. 50 % des adolescents auteurs ont eu des " comportements sexuels problématiques " et 30 % des auteurs majeurs ont été victimes durant l’adolescence. On a beaucoup de retard sur ces problématiques des violences sexuelles comparé à l’Allemagne ou au Canada ».

Mais le suivi socio-judiciaire semble porter ses fruits. La récidive des auteurs de violences sexuelles, estimée entre 20 et 24 % par l’Institut pour la justice (association de victimes plutôt partisane du tout répressif ), « diminue à 5 % chez les auteurs suivis et nous avons un taux d’échec, de réincarcération inférieur à 10 % en 15 ans d’existence », se targue le docteur Rohmer. Cela s’explique par la longueur du suivi, étendu parfois sur 30 ans. D’ailleurs, 30 % des personnes ayant terminé l’injonction poursuivent la thérapie de leur plein gré. « Ils sont obligés de venir me voir au début comme je suis obligé de les recevoir, mais au bout de plusieurs années des liens se créent. La peur de l’après ou de repasser à l’acte les poussent aussi à poursuivre des soins », détaille le psychiatre du Cravs, qui accepte de travailler avec ces patients d’un genre particulier, contrairement à nombre de ses confrères. Les violences sexuelles sont très mal acceptées et cette pression de la société influe sur la prise en charge qui oscille entre contrôle et réhabilitation sociale.

Drifa Wirrmann

Psychiatre spécialisée en psychiatrie criminelle et en victimologie sur Mulhouse. Elle a aussi un DIU en psycho-pathologie des adolescents. Elle est co-fondatrice et chef adjointe du Cravs Alsace depuis 2010.

Cravs

Le Centre de ressources des auteurs de violences sexuelles exerce des missions de formation et de prévention et met à disposition les médecins coordonnateurs pour le suivi socio-judiciaire. Le Cravs 67 est unique car il exerce aussi les compétences d’expertise près du tribunal et de prise en charge des soins. Il est le seul Cravs de France à intervenir dans tous les domaines du SSJ.

Marion Rochet

Directrice du Spip 67 depuis un an. Elle était auparavant Conseillère pénitentiaire d’insertion et de probation à Avignon. Le Spip contrôle le suivi des peines exécutées en milieu ouvert et en milieu fermé.

Spip

Service pénitentiaire d’insertion et de probation. Le Spip contrôle le suivi des peines exécutées en milieu ouvert et en milieu fermé. Le Spip Bas-Rhin traite entre 2100 et 2400 dossiers par an.

Jap

Juge d’application des peines, chargé d’aménager l’exécution des sanctions pénales en milieu ouvert et fermé.

Jean-George Rohmer

Devient psychiatre en 1992. Il est ensuite expert près de la cour d’appel de Colmar en 1996 puis médecin coordonnateur des suivis socio-judiciaires pour les tribunaux de Strasbourg, Saverne, Colmar et Mulhouse en 2000. Le docteur Rohmer prend la direction du Cravs Alsace à sa création en 2010.

Peggy Heinrich

Juge d’application des peines à Strasbourg depuis 2013. Sortie de l’ENM en 2001, elle a été juge d’instruction à Troyes et Jap à Reims et Laon avant de venir à Strasbourg. C’est elle qui décide des aménagements de peines et de leur respect.