Le travail à cœur perdu

Travaille plus fort

Restructuration, réorganisation, optimisation : les mutations, dans le monde de l’entreprise comme des collectivités, accentuent les pressions sur les salariés. Certains craquent.

Témoignage

« Un gros gâchis humain »

Philippe, 45 ans, agent patrimonial, vit avec amertume les coupes claires de l'Office national des forêts qui ont affecté son équipe depuis 2002. Et entraîné plusieurs suicides.

La longue vague de restructurations entamée en 2002 va se poursuivre jusqu’en 2016 à l'Office national des forêts (ONF). 48 suppressions de postes supplémentaires, sur 625 salariés, sont prévues rien qu’en Alsace.  « Face aux contraintes budgétaires, on nous demande encore de réduire nos effectifs », justifie Frédéric Guérin, chargé de la communication à l'ONF Alsace. « Cela induit forcément un changement du fonctionnement de l'établissement et de son management. » Le nombre d'agents a chuté
de plus de 30% en 20 ans

Les syndicats dénoncent « la privatisation de l’ONF » via « des recours à des firmes privées  » pour combler le manque de personnel - 9000 agents aujourd’hui - et dont le nombre a chuté de plus de 30% en 20 ans. Frédéric Guérin ne cache pas l'existence d'un malaise, qu’il juge plus récent : « Cela fait cinq ans qu'il y a des grosses tensions, le changement a été brutal  », admet-il. « Les baisses d'effectifs sont liées aux départs à la retraite non remplacés. » Il évoque la nécessité de « redécouper le maillage territorial » qui entraîne des « surfaces boisées de plus en plus grandes ». Face à la plus grande crise sociale que traverse cet organisme créé il y a 50 ans, l’ONF tente de réagir selon Frédéric Guérin. « On fait appel à des assistantes sociales, des psychologues. La discussion avec les équipes est mise en avant. » Pas de quoi, pourtant, rassurer les forestiers. D’autant que l’avenir de l'Office reste très précaire. Selon les syndicats, il a connu une chute de la dotation annuelle de l’Etat de près de 40% en vingt ans : « Nous allons de nouveau entrer en contrat avec l'Etat à l’automne 2015 », rappelle le chargé de la communication.  L'avenir de l'ONF est fortement fragilisé par ces changements. Reste à savoir comment l’État entend préserver les missions de l'Office et s'adapter aux demandes de la société et des agents.

Baptiste Mathon et Milena Peillon

 

Infographie
Reportage

A Steelcase et à CADS,
l'onde de choc des restructurations

En période de crise, les restructurations entraînent souvent la culpabilité de ceux qui restent. Dans les entreprises de Wisches et Julienrupt, les plans sociaux ont provoqué des traumatismes.

16h15, Julienrupt. C'est la sortie d'atelier à l'usine de textile Claude-Anne de Solène (CADS), spécialisée dans le linge de maison de luxe. En ce début du mois de décembre, la nuit tombe déjà sur ce petit village des Hautes Vosges. Le personnel – essentiellement féminin – quitte les bâtiments à la toiture en dents de scie. Les femmes se dirigent en petits groupes vers le parking. Hélène, trente ans d'ancienneté, a appris son licenciement le mois dernier. Et continue depuis à travailler, tant bien que mal. « Il vaut mieux se lever le matin », lâche la cinquantenaire devant sa voiture, plus résignée que philosophe. Près d'elle, une ouvrière aux cheveux grisonnants, épargnée par les licenciements, est tiraillée : « On n'est pas vraiment soulagé de rester. Je culpabilise un peu : polyvalente, je remplace des personnes qui vont être licenciées. »

« On connaît la liste des postes supprimés, donc les personnes qui vont partir », explique la déléguée du personnel CGT Christine Perry, dans le petit local syndical de l'entreprise. Pour les 91 salariés de l'entreprise, les ennuis ont débuté avec l'annonce d'un plan social menaçant 24 d'entre eux. Depuis, l'entreprise de textile a été placée en redressement judiciaire, et la situation s'est détériorée pour le personnel. En novembre, l'offre de reprise de la société Soleanne prévoit cette fois-ci 40 licenciements.

« S'il faut pointer à Pôle Emploi,
j'irai pointer »

Le poste de Jean-Philippe Antoine en fait partie. Son service est supprimé. Au calme, dans son appartement à Gérardmer, le délégué syndical CGT laisse exploser sa colère. « Ça fait depuis le mois de mai que je fous plus rien », reconnaît-il, démotivé. Le brasier crépite dans le vieux poêle à bois. « Comme je suis délégué du personnel, ils doivent normalement me retrouver un poste équivalent à celui que j'occupe », se rassure-t-il. L'homme de 50 ans n'est pas de ceux qui se laissent faire.

Restent le doute, les incertitudes, une situation familiale compliquée. « S'il faut aller pointer à Pôle Emploi, j'irai pointer comme tout le monde. » La tension se lit dans le regard du syndicaliste. Son épouse est au chômage depuis plus d'un an, il a deux enfants à charge. « Je suis stressé mais je vais pas le montrer quand même. » Sa femme confirme : « Il ne dort pas comme d'habitude »

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Photo sonore : aux côtés de son épouse, Jean-Philippe s'inquiète des difficultés financières qui attendent sa famille. Cliquez pour l'écouter.
Hélène Pascal/CUEJ

En colère contre sa direction, le délégué CGT se plaint aussi d'un manque de solidarité entre collègues. « À un moment, tu en as marre de les défendre », peste-t-il, un brin désabusé. Les délégués du personnel jugent tous leur environnement de travail dégradé. Un diagnostic confirmé depuis 2012 par deux rapports d'expertise, qui soulignent l'importance des risques psychosociaux dans l'entreprise. La dernière enquête date de juin, après l'annonce du premier plan social. « L'ergonome a relevé des gros problèmes de stress, mais ce n'était pas une surprise&bnsp;», note Christine Perry. Xavier Duprez, directeur du site, admet qu'il y a une forte inquiétude parmi les employés mais se veut rassurant : « Il n'y a aucun signe significatif de montée de la souffrance. »

« J’ai vu les gens vieillir de dix ans »
Un ouvrier sur le parking de l'usine de Wisches
Chez Steelcase, la direction a mis en place une cellule
de crise. « Le système existait, je l'ai utilisé, point. »
Hélène Pascal/CUEJ

L'attente du couperet définitif crispe les esprits. La confirmation de la cession a déjà été repoussée à trois reprises. Alors, personne n'ose écarter l'hypothèse d'une liquidation judiciaire de l'entreprise, qui mettrait en péril tous les emplois. Les stratégies d'autoprotection sont bousculées. « Une collègue sûre d'être licenciée a pris des vacances anticipées au moment du dernier passage au tribunal, explique une ouvrière plus sereine que ses collègues. Elle s'est dit qu'elle ne verrait pas la fin. On lui a dit au revoir. Finalement la décision a été repoussée, et elle a dû revenir. »

Cette incertitude, les ex-salariés de Steelcase, à Wisches, l’ont connue. Nichée au pied du massif des Vosges, dans la vallée de la Bruche, l'usine du leader mondial du mobilier de bureau faisait vivre plus de 200 salariés. Quand, en avril, la direction centrale basée à Schiltigheim leur annonce qu’une psychologue est affectée à Wisches, ils y voient un mauvais présage.  « A chaque fois que Steelcase a mis en place une cellule de crise, c’était pour annoncer un plan de licenciement », observe Bruno Pannekoecke, syndicaliste CGT au sein de l’entreprise.

Photo sonore : Bruno Pannekoecke, délégué syndical CGT, a été témoin des angoisses de ses collègues. Cliquez pour l'écouter.
Hélène Pascal/CUEJ

En juin, la nouvelle tombe : Steelcase ne souhaite pas seulement licencier, mais veut se séparer du site. Les angoisses redoublent jusqu’à l’annonce en août d’une reprise providentielle par Punch. Le fabriquant de boîtes de vitesses automatiques s’est engagé pour trois ans sur le site. Depuis, sur la façade en tôle grise de l’usine, le nom de son prédécesseur a déjà été effacé. Mais le traumatisme lié à Steelcase persiste. « J’ai vu les gens vieillir de dix ans, les visages se tirer », lâche un salarié à la sortie de l’usine. Lui-même l’avoue pudiquement : « Vous ne m’avez pas vu il y a quelques mois. Quand on voit des reportages sur les fermetures d’usine, on se dit "Les pauvres gens !" Mais quand on le vit, c’est autre chose ».

« Comme un gamin
qu’on nous enlève »

Chez Steelcase, la moyenne d’âge avoisine les cinquante ans. Beaucoup ont grandi avec l’usine et ont usé leur corps sur les machines de production. Louisa Dos Santos et son époux Jean-Louis ont « plus de 33 ans de boîte ». Louisa peine à contenir son émotion. Tout comme son mari, l'ouvrière souffre de troubles musculo-squelettiques liés à son travail : chaque jour, de 5 heures du matin à 13 heures, elle répète inlassablement les mêmes gestes sur une chaîne de fabrication de caissons de bureau. Pourtant, elle considère que Steelcase, « c’est comme un gamin » qu’on leur enlève.

Cet attachement viscéral à l’entreprise cristallise la peur du changement. Lorsqu’en décembre 2013, Pascal Franchet prend les fonctions de directeur d’usine à Wisches, il observe que « plus de 90 % des salariés ont travaillé uniquement chez Steelcase. Quand il s'agissait seulement de bouger des gens d'un atelier à un autre au sein de l’usine, les gens avaient l'impression d'une déchirure ».

Photo sonore : Les époux Dos Santos, qui travaillent à l'usine de Wisches depuis sa création en 1981, ont connu les beaux jours comme les heures sombres de l'entreprise. Cliquez pour les écouter.
Hélène Pascal/CUEJ

Au plus fort de la crise, durant les quatre mois de lutte qui vont occuper les salariés d’avril à août, la déchirure grandit. Pour Bruno Pannekoecke, si la cellule psychologique a servi à 10 % des salariés, « c’est déjà bien ». Dans les ateliers, le syndicaliste CGT panse les plaies et s’inquiète pour les personnes « déjà fragiles psychologiquement ». Avec ses collègues, il en repère une vingtaine : « Au départ on s'est surtout inquiété pour eux. Puis au fur et à mesure, d'autres salariés costauds, forts en gueule, sont tombés dans une phase de dépression ». Ces inquiétudes redoublent face à ceux « qui ne s’expriment pas », chez les ouvriers comme chez les cadres. Le délégué du personnel interpelle la direction, travaille en relais avec les autres salariés, les psychologues et les médecins.

L'usine de Wisches
L'usine de Wisches appartient désormais à Punch, mais
une partie des ouvriers continuera à fabriquer des produits
Steelcase jusqu'en août 2015.
Hélène Pascal/CUEJ

Certains ont préféré se tourner vers une confidente inattendue, Virginie Arnould. Epouse d'un salarié menacé par le plan de licenciement, elle a ouvert une page Facebook au début du conflit. « Steelcase, créateur de chômeurs » a permis de libérer la parole : « On ne peut pas forcément parler à son conjoint, qui est aussi dans la détresse. Et c'est très intime la douleur ».

Malgré l’arrivée de Punch, certains salariés ont gardé contre leur ancien employeur une rancune tenace. « Steelcase doit nous être redevable », lâche un salarié, amer. Jean-Louis Dos Santos, lui, estime avoir été jeté « comme une vieille chaussette qu'on n'a plus besoin de raccorder ». Dans les ateliers, pour l’instant, rien n’a changé : chacun continue de fabriquer du mobilier de bureau jusqu'au changement de ligne de production l'année prochaine. Chez ces survivants, l'absence de perspective d'avenir ravive les inquiétudes, l'ambiance n'est plus la même. « Honnêtement je me demande si on va encore rester trois ans là- dedans », glisse Louisa.

Jonathan Klur et Hélène Pascal

Reportage

Le « lean management » en ligne de mire

Augmenter la productivité tout en assurant le bien-être des travailleurs, c'est l'une des promesses du « lean management ». Pourtant, son effet sur la santé des salariés varie fortement d'une entreprise à l'autre.

Le « lean » – « maigre » en anglais – repose sur la chasse au gaspillage et la culture du juste-à-temps : meilleure réactivité des cols blancs aux demandes des cols bleus, pas de délai, ni de stock, aucun défaut, une simplification du processus de production... Cette méthode, développée par Toyota dans les années 1970, a fait son apparition en France au début des années 2000. Depuis, elle s'est diffusée sous la forme de lean manufacturing, lean industrie, lean start up, lean office.

Son application au monde industriel varie d'une entreprise à l'autre. Reportage dans une usine de domotique Hager, à Saverne, et dans une unité de montage de PSA, à Mulhouse.

Amanda Breuer Rivera et Julien Pruvost

Infographie

Hyperconnectés : surchargement en cours

L'arrivée des nouvelles technologies dans le monde du travail a donné plus d'autonomie aux cadres et facilité la communication au sein de l'entreprise. Mais la connexion permanente participe aussi de l'épuisement professionnel.

Au début, Janet* appréciait les technologies, « ça facilite la vie, ça permet de travailler à la maison et d'être présente pour le dîner des enfants ». La directrice administrative de 41 ans entre dans son entreprise pharmaceutique en 2008. Le travail ne manque pas pour la petite équipe de quatre personnes. En juin 2013, le rythme s'accélère encore. Janet enchaîne quatre déplacements à travers l'Europe chaque mois. Pendant ce temps, le travail non traité au bureau s'accumule. « Quand je revenais, il fallait tout rattraper, raconte-t-elle, encore dépassée. C'était impossible et mon employeur refusait d'embaucher ». Le climat dans l'entreprise se détériore, Janet raconte les insultes de son chef. « A la limite de basculer, de ne plus se lever du lit », elle s'éloigne de l'entreprise qui la fait souffrir. Depuis octobre 2013, elle est en arrêt maladie. « Ca m'a évité le burn out », souffle-t-elle.

« C'est addictif, je suis toujours en train de consulter mon smartphone »

Heures supplémentaires, repas écourtés, manque de sommeil, vacances perturbées... Le travail s'invite de plus en plus dans la sphère privée. Massivement équipés en outils nomades par leurs employeurs, les cadres sont fortement touchés. Selon une étude du Centre de recherche pour l'étude et l'observation des conditions de vie, parue en 2013, ils sont 77% à utiliser les outils numériques pour des raisons professionnelles hors travail. « Tout ce que je peux faire au travail, je peux le faire aussi à mon domicile ou sur une plage au Costa Rica. C'est sûr qu'il y a des moments où il faut savoir se restreindre », témoigne Stéphane Becker, dirigeant de Method in the Madness, une start-up strasbourgeoise de conception de jeux vidéos.

Pour Elodie*, c'est plus difficile : « C'est addictif, je suis toujours en train de consulter mon smartphone. Avec le vibreur, j'entends le mail arriver ». A 35 ans, elle est cadre dans une collectivité territoriale et mère de deux enfants. Assise à son bureau, elle garde la main sur son téléphone portable, fourni par son employeur. Chaque jour, elle doit traiter une cinquantaine de courriers électroniques. Il n'y a pas si longtemps, elle se connectait de chez elle, le dimanche, à 23 heures pour intercepter les directives de son élu. « Si je ne le fais pas là, je le fais quand ? Le PC portable, c'est encore pire ! » Chaque soir, ce sont quatre heures de travail effectuées à la maison grâce à « ce fil à la patte. Je me dis que ce n'est pas tenable dans le temps ».

L'étude Dévotic (déconnexion volontaire aux technologies de l'information et de la communication) parue en juillet 2014 montre que 83% des cadres jugent que les TIC augmentent leur volume de travail. Jean-Pierre Durand, professeur de sociologie du travail et des TIC à l'université d'Evry explique que « les TIC ont permis d'effectuer le même travail, avec moins de personnel ». Ainsi, les assistantes ont disparu, les cadres gérant eux-mêmes le volet administratif grâce à l'ordinateur.

Se déconnecter
est souvent mal vu

Pour Marc-Eric Bobillier-Chaumont, professeur en psychologie du travail à l'université Lyon II, le danger, c'est que certaines personnes ne parviennent pas à compartimenter. « Elles le vivent mal car elles travaillent à flux tendu et prennent sur leur temps personnel » pour finir leur tâche. Au risque d’affecter leur vie de famille ou leur couple. L'impression de bâcler son travail, la perte de sens « créent une charge psychique, du stress, de la souffrance ». Dans ce contexte, l'addiction au travail, le workaholism, menace. « Quand tous les éléments de valorisation passent par le travail, la personne est condamnée à se dépasser et quand elle n'y parvient pas, elle s'effondre ». Au centre d'information régional sur les drogues et les dépendances d'Alsace, l'infirmière Sophie Giacomini explique : « On est dans une société de performance, les personnes anxieuses veulent tout réussir. Les technologies permettent d'être au courant de tout, c'est une façon de contrôler ce qui se passe ».

Pour absorber la surcharge de travail, certains salariés mettent au point des stratégies : commencer plus tôt, finir plus tard, filtrer les mails ou les appels. La « déconnexion volontaire » a aussi fait son apparition. Cette sorte d'autodiscipline oblige à couper son smartphone le week-end, à ne consulter ses emails que périodiquement. Mais se déconnecter est souvent mal vu. Et le salarié très impliqué dans son travail peut ressentir de la culpabilité, d'autant qu'il craint de prendre du retard dans sa tâche.

Depuis 2011, en Allemagne, Volkswagen suspend l'envoi des mails vers les smartphones d'un millier de salariés, entre 18h15 et 7 heures du matin. L'initiative a donné des idées à certaines entreprises françaises qui ont lancé leur journée sans mail. Pour Daniel Klumb, directeur des ressources humaines dans l'entreprise alsacienne Socomec, ce n'est pas la bonne solution : « Cela peut créer un effet pervers : une ruée vers les mails avant 18 heures ». En mai 2014, une charte intitulée Quinze engagements pour l'équilibre des temps, signée par une cinquantaine d'entreprises (Carrefour, Bouygues Télécom, Coca-Cola, Allianz...), suggère de « limiter les envois de mail hors des heures de bureau ou le week-end », « se déconnecter pour pouvoir traiter les dossiers de fond » ou « favoriser le face à face ou le téléphone ». Mais les chartes, comme les journées sans mail, n'entrent généralement pas dans les mœurs et sont souvent vite oubliées. Rien d'étonnant à cela pour Marc-Eric Bobillier-Chaumont : « Ce sont des idées générales. Il faut partir d'une situation particulière pour réfléchir à l'usage des technologies, sinon les chartes ne fonctionneront jamais car les gens ne se reconnaissent pas dedans ».

*le prénom a été modifié

Maurane Speroni

Enquête

Des travailleurs sociaux maltraités

Venir en aide aux plus fragiles, c’est leur profession. Mais en l’exercant, les travailleurs sociaux sont parfois eux aussi confrontés à des situations pesantes psychologiquement.

Une étude menée aux États Unis en 2014 démontre que les travailleurs sociaux ont un fort risque de dépression : 14,6% en souffrent contre 10,5% dans la moyenne générale. Car travailler avec des personnes en difficulté, c’est aussi s’exposer à leurs douleurs et parfois à leurs colères. 28% des travailleurs dans le social déclarent avoir déjà subi une agression verbale de la part des personnes auxquelles ils tentent de venir en aide. Les violences physiques sont beaucoup plus rares. Les travailleurs sociaux doivent donc savoir encaisser, quitte à évacuer leur propre souffrance en échangeant avec leurs collègues. « Parfois, j’aimerais bien être encadrée un peu plus, confie Marie* (* le prénom a été modifié), assistante sociale en Alsace. Je me sens un peu seule par moments. »

Pour les employés du social, les rapports sont de plus en plus conflictuels. Face à la précarisation économique, ils ont de moins en moins de moyens pour remplir à bien leurs missions. Le budget du RSA a certes augmenté de 3,5% entre 2011 et 2012, mais cette hausse est largement rongée par le nombre croissant de bénéficiaires du RSA (+ 6,1%) sur la même période. Le résultat : un travailleur social doit maintenant traiter plus de dossiers en moins de temps. « On ne fait pas un réel accompagnement de qualité, constate Sophie, conseillère en économie sociale et familiale. Pour faire un travail correct, il faudrait que j’aie moins de la moitié de mes dossiers actuels. »

Ce stress lié à la surcharge de travail, Pascale*, auxiliaire de soins dans une maison de retraite, le connaît aussi. Il l’a même rendu malade. A cinq ans de la retraite, elle réfléchit même à changer de métier. Témoignage.

Hélène Deplanque, Maud Lescoffit et Thibaud Roth