Sauvetage de la page en cours...

Jamais assez préparés › Fibres et matière grise › « Les intermittents du nucléaire »

« Les intermittents du nucléaire »

Dans le Bas-Rhin, 120 sapeurs-pompiers sont formés aux risques radiologiques. Mobilisant des compétences scientifiques rarement associées à la profession, cette spécialisation fait du Sdis le premier acteur mobilisé en cas de soupçon de dissémination de substances radioactives.

Les sapeurs-pompiers de la Cmir sont amenés à intervenir sur des sites sensibles. Crédit : Pierre-Olivier CHAPUT

« Germanium », « raie à 122 keV », « cobalt 57 et 60 », « émetteur beta + », « 560 becquerels ». Les termes échangés dans la petite salle de classe ont de quoi interloquer le profane égaré dans les couloirs de l'Ecole départementale d'incendie et de secours (Edis) de Strasbourg. En cette fin d'après-midi, une douzaine de sapeurs-pompiers venus d'Alsace et du Doubs terminent une session de formation interdépartementale de trois jours, entre manipulation d'appareil NiA (ou détecteur à scintillation) et autre recherche de nucléides.

La sensibilité de la matière traitée – la radioactivité – et la subtilité des graphiques projetés sur le tableau blanc contrastent avec l'ambiance détendue qui règne dans la pièce. La scène a un air de fin d'année scolaire loin du flegme attendu pour ces pompiers spécialisés, amenés à intervenir au moindre risque d'exposition radiologique – ou Rad.

Démystifier le risque radioactif

Le nucléaire, ces professionnels en avaient déjà une certaine idée avant ce bref retour à l'école. Tous sont chargés dans leur département respectif des opérations de sécurisation et de protection de la population en cas de suspicion de présence de matière radioactive. Des interventions éloignées du fantasme de la sortie en combinaison de cosmonaute dans l'enceinte d'une centrale en alerte.

« Il faut démystifier le risque, met en garde le capitaine Marc Métivier. Les sources de radioactivité sont multiples et ne se résument pas aux sites classés secret-défense. Quand vous allez faire une radio chez le médecin, vous prenez une belle dose sans le savoir. »

Au sein du Service départemental d'incendie et de secours du Bas-Rhin (Sdis 67), les 120 sapeurs-pompiers qui composent la Cellule mobile d'intervention radiologique (Cmir), mobilisable 24h/24, effectuent une dizaine d'interventions chaque année. L'opération Rad classique ? Une alerte lancée par un centre de traitement des déchets. La source radioactive ? La couche d'un patient en chimiothérapie ayant échappé au tri appliqué aux déchets médicaux sensibles.

« Chez nous, le passé industriel local et les horlogers constituent la première source d'intervention, complète le capitaine Anaël Bouchot, conseiller technique du Sdis du Doubs. Le radium 226 était particulièrement utilisé pour sa propriété de fluorescence sur les aiguilles des montres et des réveils. On retrouve aussi de la matière dans les déchets d'anciennes usines. » Qu'il s'agisse d'un lange évacué dans la mauvaise poubelle, d'un épanchement sur un site à risque ou d'un colis suspect, les professionnels ont pour mission de sécuriser les lieux avant de vérifier la présence de radioactivité et d'en évaluer la dangerosité.

« On sollicite plus la réflexion que le réflexe »

Une douzaine de sapeurs-pompiers ont suivi une formation aux risques radiologiques à Strasbourg, en décembre. Crédit : Pierre-Olivier CHAPUT

Une douzaine de sapeurs-pompiers ont suivi une formation aux risques radiologiques à Strasbourg, en décembre. Crédit : Pierre-Olivier CHAPUT

La formation organisée à Strasbourg avait pour objet la maîtrise des outils et logiciels permettant de déterminer les nucléides susceptibles d'être rencontrés en intervention. « Les nucléides sont des éléments radioactifs aux propriétés extrêmement variables, expose le lieutenant-colonel Raphaël Douet, conseiller départemental et responsable de la Cmir du Bas-Rhin. Nous avons passé en revue l'ensemble de ces composants afin de les identifier rapidement sur le terrain. »

Si les risques Rad ne représentent qu'une part marginale des opérations réalisées par les membres de la Cmir, cette spécialisation n'en réclame pas moins des compétences scientifiques rarement associées aux activités des pompiers. « Une appétence pour les sciences physiques est nécessaire pour intégrer la cellule, confirme Raphaël Douet. Diplômé d'un DEA (Bac+5) de physique appliquée, j'ai préféré le terrain et l'action à la recherche. Mon adjoint est titulaire d'un DUT (Bac+2) de mesures physiques. »

Le faible volume opérationnel tend à démotiver certains collègues

Rebutant pour ceux qui n'y voient qu'une discipline purement intellectuelle, la formation aux risques radiologiques est présentée par ses adeptes comme le parfait complément des opérations « classiques » des pompiers. « Le faible volume opérationnel tend à démotiver certains collègues, reconnaît Raphaël Douet. Cette spécialisation permet cependant de développer notre capacité de raisonnement et d'analyse. On sollicite plus la réflexion que le réflexe. »

« Les procédures d'intervention sont plus lentes, il faut être très méthodologique », abonde Marc Métivier. Passionné par le domaine depuis 19 ans, le chef de colonne éprouve une certaine fascination pour le matériel utilisé et les progrès réalisés dans le domaine nucléaire : « L'évolution scientifique est impressionnante. Dans quelques années, nos compétences et capacités d'intervention seront démultipliées. » Pas question pour autant que la spécialisation prenne le pas sur les missions traditionnelles du Sdis. « Les membres de la Cmir sont des sapeurs-pompiers avant tout, tient à rappeler Raphaël Douet. Nous ne sommes que des intermittents du nucléaire. »

Corentin LESUEUR

D'autres articles du sous-thème :

Le corps, outil de travail
Retour à l'école
De l'atelier au brasier