Mum’s Lives Matter 
, peut-on lire sur plusieurs banderoles fièrement portées par la centaine de manifestants réunis ce 24 novembre 2022, aux abords des Invalides, à Paris. Sous la lumière orangée des fumigènes, des femmes arborent de faux ventres, en dessous de t-shirts aux grandes lettres blanches  STOP GPA 
. Elles contestent le projet de  reconnaissance mutuelle de parentalité 
de la Commission européenne. Une mesure qui obligerait les Etats membres à reconnaître tout lien de parentalité qui serait établi dans un autre pays, y compris les filiations issues d’une gestation pour autrui (GPA). Inacceptable pour ces militants catholiques, membres de La Manif pour tous.
La Manif pour tous lutte en coulisses
Face au retour en force des questions de bioéthique, les franges catholiques conservatrices de la Manif pour tous ont de plus en plus de mal à rassembler dans les rues. Pour peser dans le débat public, elles misent sur d’autres relais d’influence, développés au cours de ses dix ans d’existence.
Quentin Celet
© Les Poissons roses
Leur heure de gloire remonte au début de l’année 2013. Ils sont alors des centaines de milliers dans les rues. Vent debout contre le projet de loi sur le  mariage pour tous 
, la communauté catholique se mobilise massivement dans l’espace public au nom de la foi. La France assiste à un gigantesque rassemblement bleu-blanc-rose. Le mouvement de La Manif pour tous s’érige en chef de file du conservatisme religieux, entraînant dans ses rangs plusieurs associations historiques du catholicisme français comme la fondation Jérôme-Lejeune, le réseau Alliance Vita ou les Associations familiales catholiques, dont le nombre d’adhérents est estimé à près de 30 000 personnes.
De moins en moins d’associations qui suivent le mouvement
Le mouvement s’étiole suite à l’adoption de la loi sur le mariage pour tous, sans pour autant totalement disparaître. En 2019, l’émergence du collectif Marchons enfants ! suscite un nouvel intérêt chez les catholiques conservateurs. Cet ensemble de 22 associations, où l’on retrouve les principaux engagés de 2013, se mobilise lors du vote de la loi bioéthique, en refusant l’ouverture de la PMA aux femmes seules. Des petits groupes de jeunes catholiques ultraconservateurs investissent l’espace public à coups de mises en scènes, grandes fêtes déguisées et messages provocateurs.
Un nouveau souffle qui retombe vite, alors même que des sujets comme l’inscription de l’IVG dans la Constitution ou la législation sur la fin de vie reviennent sur la table :  Le collectif n’est plus actif. La dernière mobilisation, c’était un jeu tactique de la Manif pour tous qui veut effrayer sur le sujet de la GPA. Très peu ont suivi le mouvement 
, témoigne Pascal Obert, ancien président des Poissons roses, association membre du collectif.
 L’opposition à la PMA et la GPA rassemble beaucoup plus, et pas seulement chez les catholiques 
Pour rassembler, Marchons enfants ! compte donc sur la force de frappe de ses composantes historiques, sans grande réussite :  Ces associations, qui ont une forte puissance de mobilisation, restent relativement discrètes. Il y a des prises de position, mais ces collectifs ne cherchent plus à prendre la parole et à investir le débat public comme ils l’ont fait en 2013 
, explique Romain Carnac, chercheur à l’université de Lausanne. Pour le sociologue, qui a travaillé sur la mobilisation religieuse, le choix de manifester contre la GPA n’est pas le fruit du hasard :  L’opposition à la PMA et la GPA rassemble beaucoup plus, et pas seulement chez les catholiques 
, détaille-t-il.
« De nouveaux porte-voix à l’assemblée »
Une visibilité certes réduite dans l’espace public, qui ne signifie pas que ces associations ont perdu toute capacité d’influence. Elles restent très présentes au sein des Républicains, dans le sillage du collectif Sens Commun. Ce micro-parti assure à la communauté catholique conservatrice une présence en politique. Plusieurs responsables de Marchons enfants ! ont intégré le bureau national du parti, se rassemblant derrière la figure de Bruno Retailleau, fervent défenseur de la Manif pour tous.
Mais la tendance est plutôt au morcellement chez les catholiques réactionnaires, selon Pascal Obert :  Sens Commun a fortement soutenu la candidature de François Fillon en 2017, mais a beaucoup pâti de sa défaite. Lors des dernières élections, leur nouvelle présidente a rejoint Eric Zemmour. 
Un rapprochement avec l’extrême droite, conjugué à l’entrée massive du Rassemblement national au Parlement, qui aide ces militants à assumer leurs positions.  Il y a une radicalisation de ces mouvements réactionnaires, qui peuvent désormais reposer sur des porte-voix à l’assemblée 
, affirme Sandra Regol, députée de la première circonscription du Bas-Rhin (EELV).
Lobbying et intimidation de responsables politiques
Surtout, les associations encore actives procèdent via des canaux plus discrets pour peser sur le débat public. La députée écologiste en a fait l’amère expérience. En novembre, elle prend position en faveur de la constitutionnalisation de l’IVG à l’Assemblée nationale. S’ensuivront une série de messages haineux, puis la réception d’une lettre, signée par une organisation membre du collectif Marchons enfants !, l’European Center for law and justice (ECLJ). Sous la signature, un fœtus en plastique.  Ce n’est pas un phénomène nouveau, mais cela reste grave. Pendant le Covid, ces associations traditionnalistes ont mis beaucoup de fonds pour créer des faux sites et culpabiliser les femmes qui ne savaient pas trop comment avorter 
, confie Sandra Regol. Le spectre d’action de ces lobbies reste très large aujourd’hui, de l’action de juristes auprès de la Cour européenne des droits de l’Homme à la participation de représentants associatifs dans les décisions d’adoption au sein des comités départementaux.
Ces organisations aux visées politiques parviennent aussi, de plus en plus fréquemment, à se faire reconnaître comme expertes sur les questions de bioéthique. Une stratégie pour continuer à faire valoir leurs conceptions. Philippe Lohéac, délégué général de l’Association pour le droit de mourir dans la dignité, qui milite pour la légalisation de l’euthanasie et du suicide assisté, regrette cette évolution :  En France, il n'y a pas de discussion sur la bioéthique sans qu'on y mêle les représentants des grandes religions. La France endure le poids de la religion catholique dans ses choix de société. Elle l’écoute, et les religions font que ça traîne 
. Une opportunité qu’ont su saisir les mouvements conservateurs. En septembre, le Comité consultatif national d’éthique a auditionné pour avis Tugdual Derville, leader d’Alliance Vita.
La part la plus radicale de ces militants réactionnaires continue de se mobiliser sur les thématiques les plus clivantes, à l’occasion de marches contre l’IVG rassemblant pour l’heure à peine quelques centaines de manifestants. Une discrétion qui ne rassure pas pour autant Sandra Regol :  La collusion entre l'extrême droite et les réseaux catholiques traditionnalistes a pris une forme plus diffuse et plus dangereuse. Et cela passe souvent sous l’attention des médias. 
Les catholiques conservateurs ont intégré les réseaux intellectuels européens
Valentin Behr, chargé de recherches au CNRS en science politique, travaille sur la diffusion des idées conservatrices en Europe. Il observe l’influence grandissante des organisations catholiques.
Pourquoi les mouvements catholiques conservateurs militent-ils à l’échelle européenne ?
V.B : Sur les questions de droits de l’Homme, il est très difficile d’avoir une influence au niveau national. Les mouvements catholiques l’ont compris et ont intégré les réseaux intellectuels conservateurs européens, avec des professeurs d’université et des lobbyistes qui interviennent dans des conférences transnationales. Beaucoup sont proches des partis au pouvoir en Pologne, Hongrie ou Italie. Ils cherchent à coordonner leurs efforts pour produire des discours communs.
Ces associations ont-elles un intérêt financier à sortir du cadre national ?
V.B : La plupart des ONG sont aujourd’hui financées par des circuits internationaux. Cela favorise des associations progressistes, mais également des organisations conservatrices. Les financements européens, issus des regroupements de partis, vont aussi à ceux d’extrême droite, à leurs think tanks et aux colloques qu’ils organisent.
Dans quelle mesure ce lobbying peut-il peser sur les décisions européennes ?
V.B : Jusqu’ici, on a observé que le Parlement européen avait été l’institution la plus offensive vis-à-vis des courants conservateurs d’Europe centrale, notamment sur la question des zones sans LGBT en Pologne. La culture du consensus au Parlement européen, qui implique de réunir des majorités assez larges, n'est pas favorable à ces franges conservatrices. Mais elles parviennent à faire circuler un certain nombre d’idées et d’argumentaires, ce qui n’est pas négligeable.