Une femme d’une trentaine d’années semble convulser. Au premier rang, elle se met à quatre pattes en agitant frénétiquement les jambes. Durant les prêches du pasteur Yvan Abdou, un homme place une main sur son cœur, tandis que son voisin lève le poing vers le ciel, tête baissée. D’autres fidèles restent mutiques, les yeux fermés, et se recroquevillent de manière plus intime. Ils sont environ 200 à se rassembler dans le quartier de la Plaine-des-Bouchers, rue Saglio, à Strasbourg. Entre les murs d’un bâtiment métallique similaire à un entrepôt, les amen bruyants s’enchaînent et concluent le marathon de prière de l’Impact centre chrétien  (ICC). Depuis Boissy-Saint-Léger (Val-de-Marne), Yvan Abdou délivre ses paroles en visio-conférence aux personnes massées dans la salle.
Ce culte compte plusieurs sites dans le monde et en France (Rouen, Lyon, Toulouse, Boissy-Saint-Léger, Strasbourg).  Jésus est merveilleux, il est merveilleux ! 
Les chants résonnent jusqu’à l’extérieur de l’enceinte. Le son et les cris passionnés des fidèles évoquent davantage l’ambiance d’un concert qu’un rassemblement solennel. L’ICC figure parmi les 45 églises d’expressions africaines en France et symbolise la myriade de sensibilités au sein des 32 centres évangéliques de Strasbourg. Dans la région, le Conseil national des évangéliques de France (CNEF) comptabilise 160 églises et 40 000 fidèles. L’Hexagone compte onze fois plus d’églises évangéliques qu’en 1950.
« Les Églises évangéliques sont plus conformes à la modernité »
L’ICC relève du mouvement charismatique. Ce courant évangélique est apparu dans les années 1960 en mettant l’accent sur les dons du Saint-Esprit. Il est question des aides que Dieu promet aux croyants. Il y en aurait neuf, parmi lesquels les miracles, le discernement, ou encore la sagesse. Les cérémonies se structurent autour des discours prophétiques et sont axées sur la guérison.  Les Églises évangéliques sont plus conformes à la modernité dans leur mode d’expression. Les cultes ne sont pas effrayés par les guitares électriques ou les instruments, bien au contraire 
, analyse Frédéric Rognon, professeur de philosophie des religions à la faculté de théologie protestante de Strasbourg.
L'Église Porte ouverte de Mulhouse – connue pour avoir été le premier foyer de contamination d’envergure du Covid-19 en France – s’appuie moins sur les décibels et l’exubérance. Les batteries laissent place aux trompettes et au piano, dans un répertoire plus classique. L’auditoire récite les psaumes avec sobriété, sans envolée lyrique ou exclamative. Les prédications relèvent de l’exégèse, l’interprétation des textes religieux. Parmi les 2 300 membres que compte l’organisation, seule une petite centaine a fait le déplacement ce mardi soir. Pour tous les autres, l’Église assure une diffusion de la messe sur les réseaux sociaux et son site Internet. Un caméraman filme le pasteur Samuel Peterschmitt tandis que la régie gère attentivement la séquence depuis le fond de la salle.
« La foi est quelque chose d’incarné »
Le sujet de la guérison occupe aussi les esprits des bénévoles de l’Église méthodiste de Strasbourg, rue Kageneck, près de la gare. Avant la distribution alimentaire aux 50 familles sans papiers prévue en début de soirée, ils se réunissent et prient pour les malades de leur entourage. Le pasteur Pierre-Emmanuel Panis a un mot pour chacun. Certains s’impliquent après un parcours marqué par une foi vacillante, d’autres baignent dans la sphère évangélique depuis leur enfance. Une partie d’entre eux est issue du protestantisme luthérien classique.  J’ai rejoint la communauté parce que mon fils s’est marié avec une évangélique. Ce qui m’a tout de suite marqué, c’est la spontanéité des interactions. Elles sont beaucoup plus naturelles que dans le protestantisme classique ou la religion catholique, ma façon de prier a changé 
, avance la bénévole Dominique Chaudoir-Bertolo.
 Le dimanche, il y a entre 6 000 et 6 500 connexions uniques, on a mis ce dispositif en place en 2006 
, explique le prédicateur. En fin de cérémonie, il invite les fidèles à prier pour la guérison des malades, tout en prenant l’exemple d’une sœur guérie grâce à Jésus. Quatre autres pasteurs étreignent les pratiquants tout en posant dans un geste paternaliste leur main sur leur front.  Pour nous, la foi est incarnée et vivante, l’Évangile est dynamique 
, justifie Samuel Peterschmitt. Les pasteurs sont censés prodiguer des vœux de rétablissement.  Lorsque Dieu fait quelque chose, il le fait bien. Ma mère était en très mauvaise santé à 29 ans, elle en a 90 aujourd’hui 
, prêche-t-il au micro devant une foule conquise.
« Nous sommes détachés d’un héritage historique »
Cette facilité à s’intégrer chez les évangéliques revient fréquemment dans la bouche des croyants.  Notre message religieux est beaucoup plus accroché aux questions de la vie des personnes. Nous sommes détachés d’un héritage historique au niveau du rite. Tout est sur la base d’une discussion avec Dieu 
, déroule le pasteur Pierre-Emmanuel Panis.
Une fois ce temps de recueillement terminé, les croyants s’affairent pour fournir aux primo-arrivants les vivres dont ils ont besoin. Une multitude de profils franchissent la porte du bâtiment : des jeunes adultes, des personnes âgées, des parents accompagnés de leurs enfants.
 Oignons, carottes, pâtes 
, les bénévoles tentent de se faire comprendre en montrant du doigt les différents aliments, mais la communication n’est pas optimale. La majorité des bénéficiaires sont Albanais et viennent d’arriver en France.  La plupart d’entre eux sont en quête spirituelle 
, croit savoir Pierre-Emmanuel Panis.  La pratique religieuse a longtemps été interdite dans ce pays, l’instruction à ce niveau-là est inexistante. Le bouche-à-oreille fonctionne énormément. 
L’équipe bénévole le garantit : elle ne prend pas en compte l’appartenance confessionnelle de ceux qu’elle aide. Les activités associatives et religieuses paraissent néanmoins intimement mêlées. Dans l’arrière-salle, les Albanais patientent et assistent aux répétitions de la messe prévue dimanche.  Notre foi fait partie de qui nous sommes 
, dit le pasteur.  Notre cœur en est rempli, notre bouche en déborde. 
Les circonstances jouent tout de même en sa faveur.