Alain Charlier, coach bénédictin, et Patrick Colot, entrepreneur bouddhiste en Belgique, créent des ponts entre la religion et le monde de l’entreprise.
Vous proposez des formations à mi-chemin entre la religion et le monde de l’entreprise. En quoi cela consiste-t-il ?
Alain Charlier : J’adapte les règles de saint Benoît au management. Ces textes décrivent des vertus monastiques : l’obéissance, l’humilité et l’esprit de silence. Une entreprise se structure comme une abbaye. C’est un groupe de personnes qui poursuit des buts individuels et communs. Si les moines recherchent la sainteté, l’entreprise, elle, vise la satisfaction du client.
Patrick Colot : Le concept de dharmanagement est une contraction de Dharma, qui évoque l’enseignement du Bouddha en sanskrit, et management. Il vise à connecter les individus entre eux et à rendre les entreprises plus efficaces et spirituelles. Pour cela, nous organisons des formations, nous fournissons un livret comportemental, sans pour autant vouloir formater les gens. On essaie de faire passer les employés par différents stades : de l’ego à celui de l’utilité sur Terre.
Votre objectif semble surtout d’améliorer sa performance. Quelle est la part de spiritualité ?
A.C. : Par l’application des règles de saint Benoît, on recherche un alignement intérieur, dans sa manière de diriger les autres, et in fine, la performance est au rendez-vous. Tout en respectant son éthique personnelle. Mais le point de départ est l’aspect spirituel. Quand tout est bien réglé, il n’y a pas de dissonance entre ce que la personne porte comme valeurs et son application professionnelle.
P.C. : J’ai voulu partir d’une sociologie organisationnelle qui diminue la souffrance. Et dans la sagesse bouddhiste, c’est ça la finalité. On ne demande pas de méditer, de pratiquer des rituels ou de se convertir. Il faut surtout créer l’entreprise sur le sens, pas trouver du sens par la suite. Sinon, ce ne sont que des valeurs affichées comme du papier peint, ce n’est pas du vécu. La productivité des salariés augmente du fait d’être mieux considéré et davantage impliqué. On fait du business, ce n’est pas le monde des bisounours.
Y a-t-il un engouement pour vos formations ?
A.C. : Oui, en particulier chez les managers chrétiens. Mais il y a de plus en plus de curiosité de personnes qui ne sont pas du tout proches de la foi. Elles sont intriguées, se disent que 1500 ans après sa création, la règle régule toujours les relations interpersonnelles dans les communautés religieuses, et que cela vaut le coup de s’y intéresser.
P.C. : Nous avons un petit cabinet en Belgique. La demande n’est pas croissante, mais notre but n’est pas de nous élargir. Nous ne faisons pas de publicité, ce sont les gens qui viennent à nous. Nous diagnostiquons les entreprises qui se présentent, et parfois, elles ne sont pas prêtes.
Les intermittents du bouddhisme
Difficultés personnelles, quête de sens, prise de décision : de plus en plus de Français optent pour une pratique spirituelle ponctuelle pour guider leur vie. Une intermittence à laquelle les institutions chrétiennes peinent à s’adapter.
Le son du bonshō retentit plusieurs fois, à un rythme de plus en plus rapide. L’imposante cloche en bronze, décorée de calligraphies et suspendue devant la chapelle, invite à la prière. À quelques pas de là, l’entrée principale est gardée par une statue de dragon. Un jardin de pierres entoure, lui, un dojo et des maisons en bois en contrebas. Aux abords du village de Weiterswiller, situé au nord de Strasbourg, le monastère bouddhiste Ryumon Ji surprend.
Avec en moyenne trois retraites organisées chaque mois, ce lieu d’inspiration zen ne désemplit pas. Dès 6h, une trentaine de personnes se regroupent pour pratiquer le zazen, la méditation assise. Des chants japonais s’élèvent bientôt de l’intérieur de la maison du Dâna, qui abrite la statue du Bouddha. Dans le monastère, c’est la première activité de la journée. Elle est suivie du genmai, un petit-déjeuner rituel avec chant de sûtra, et du samou, une participation bénévole aux travaux communautaires. Les sessions sont dispensées en français et en allemand.
Parmi les participants, les degrés d’engagement varient. Kankyo Tannier, une femme de 48 ans, est devenue nonne il y a 21 ans. Après des études de droit, elle s’est plongée dans le bouddhisme zen jusqu’à devenir membre de la communauté, en compagnie d’une douzaine d’autres moines. Elle affirme avoir  trouvé le sens de [sa] vie . Une démarche qui lui aura pris des années, loin du consumérisme spirituel auquel elle s’oppose :  Les gens ont tendance à créer leur propre spiritualité, mais à la fin, ça ne donne pas grand-chose. Toutefois, il est normal de chercher sa voie quand on débute. 
Zen online
Durant sept jours, et dans un silence total, 70 personnes vont célébrer la naissance et l’éveil du Bienheureux. Parmi eux, Chiara, une bodhisattva de 28 ans, s’est engagée à protéger les 16 principes de l’Éveillé. Elle admet qu’en dehors du temple, ses études de psychologie l’empêchent de pratiquer autant qu’elle le voudrait. Elle compense grâce au zen online. Quand le besoin se fait sentir, elle suit des méditations en direct sur son téléphone ou son ordinateur.
Ceux que l’on pourrait qualifier d' explorateurs de la spiritualité  adaptent leurs pratiques au quotidien. Dix minutes de lecture avant de se coucher, sur le chemin du travail ou sur leurs smartphones, entre deux arrêts de métro : chacun se dégage du temps selon les impératifs de son agenda. Antoine Lombardie fait partie de ces spirituels ponctuels. Depuis dix ans, le Breton de 34 ans pratique un bouddhisme intermittent. La méditation l’aide à traverser les épreuves, notamment grâce aux retraites à Weiterswiller.
 Quand j’arrive là-bas, j’ai quelques sueurs froides. Les retraites sont strictes. Une cloche sonne et on se tait pendant une semaine, on médite sur une structure de bois d’un mètre carré, on récite des prières et des sûtras en japonais.  Antoine fait une retraite chaque année depuis six ans. Mais pour ce catholique baptisé, qui ne s’est jamais intéressé à sa religion d’origine, son approche est surtout philosophique. Il reconnaît lui-même une pratique opportuniste.  Lorsque je connais des bas dans ma vie, ces pauses me font du bien. Lorsque ça va mieux, j’ai tendance à m’en éloigner. Il ne faudrait pas, mais c’est humain. 
Des croyances qui se diversifient
Entre 1981 et 2018, le pourcentage de Français se disant sans religion est passé de 27 % à 58 %. Sont-ils pour autant moins croyants ? Selon une enquête menée en 2018 par l’Association pour la recherche sur les systèmes de valeurs (Arval), c’est plutôt la pratique qui évolue. Si la fréquentation des lieux de culte ou la prière régulière sont en baisse, les croyances, elles, gagnent du terrain : 41 % des personnes envisagent une vie après la mort, contre 35 % en 1981. 35 % croient au paradis, 24 % à l’enfer, quand ils n’étaient respectivement que 26 et 15 % il y a quarante ans.
 L’appartenance à de vastes communautés (État, Église, voire confession) s'est encore relâchée. Nous vivons désormais au sein d'une supernova spirituelle, une forme de pluralisme débridé sur le plan spirituel , observe le philosophe Charles Taylor, dans son ouvrage L’Âge séculier. Une vision partagée par le philosophe français Camille Riquier qui décrit un  éclatement du croire  poussant chacun à  bricoler son propre credo  (Nous ne savons plus croire).
Un mouvement qui bouscule les cultes traditionnels
Parmi ces nouveaux profils de croyants, certains cherchent du sens, une forme de thérapie, une philosophie de vie à travers de nouvelles influences. Réveillez le chaman qui est en vous, Le miracle de la pleine conscience, Plaidoyer pour le bonheur : les étagères des librairies foisonnent d’ouvrages sur la méditation, le bouddhisme  à l’occidentale , et même sur les liens entre religion et entreprise. Le développement personnel représente un tiers du marché du livre en France. Il exprime une demande de spiritualité à laquelle les institutions religieuses traditionnelles semblent avoir du mal à répondre.
Yohann Abiven, directeur de l’abbaye catholique de Saint-Jacut-de-la-Mer, regrette cette tendance à l’individualisation des croyances.  Les “nouveaux spirituels” sont extrêmement nombrilistes. Chacun vient avec son petit récit de vie, son misérable tas de secrets comme disait Malraux, pour essayer de s’en extirper. Les participants sont des tourmentés de l’intériorité. 
Pour lui, l’institution catholique s'accommode mal à une spiritualité dilettante.  Pour les chrétiens, les retraites se basent sur la lecture et l’étude d’écrits théologiques.  Une exigence textuelle qui serait moins élevée dans les lieux de culte bouddhistes, accessibles même aux débutants, et qui croulent sous les demandes. Certaines retraites sont tellement sollicitées qu’elles doivent attribuer les places par tirage au sort. À Weiterswiller, ce jour-là, pas de déçus : les 70 participants ont pu prendre place sur leur zafu sous le regard du Bienveillant.
Aventuriers spirituels
Ils croient en Dieu, en l'Univers, aux esprits. Pour ces explorateurs des croyances en solitaire, les pierres, la musique et le yoga sont sacrés. Paul, Sophia et Mehdi refusent de se soumettre à un dogme, ils sont les seuls maîtres de leur spiritualité.