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Repartir de gré ou de force

En France, la plupart des demandes d’asile sont refusées. Sans titre de séjour, les migrants plongent dans l’illégalité, risquant l’expulsion à chaque instant. Résignés, certains font le choix du retour.

Au volant de sa camionnette, début décembre, Irakli* se fait contrôler au hasard d’une patrouille de police. Problème : ce Géorgien, arrivé il y a cinq ans en France avec sa famille, y réside illégalement depuis qu’il a été débouté de sa demande d’asile. La police lui remet alors une Obligation de quitter le territoire français (OQTF). Une injonction administrative qui l’assigne à résidence et le force à partir dans un délai de 30 jours. Il doit également pointer régulièrement au commissariat ou à la gendarmerie. S’il ne respecte pas ces obligations, Irakli risque d’être condamné à une peine de prison, voire d’être placé en centre de rétention en vue d’une expulsion.

Pour obtenir de l’aide, le père de famille s’est tourné vers Casas, une association strasbourgeoise qui assiste les demandeurs d’asile. Ils sont nombreux ce jour-là à se presser, inquiets, dans les locaux de l’association illuminés par une grande verrière. Au mur, les étagères débordantes de dossiers témoignent du nombre de personnes soutenues par les bénévoles. Un bébé, les pas encore chancelants, fouille les jouets placés dans un coin de la pièce pendant que sa mère s’entretient avec Mélanie, juriste pour l’association. Cette dernière lui décrypte les documents administratifs qu’elle a sous les yeux. « Parfois, ils ne comprennent même pas ce qu'est un rejet. On leur dit nous-même. Ce n’est pas facile, on s’attache aux gens », raconte la jeune femme.

Photo des étagères qui débordent de dossiers.
À Strasbourg, les étagères de Casas débordent de dossiers. Des centaines de demandeurs d’asile poussent les portes de l’association chaque année. © Johanna Mohr

Dans un autre coin de la pièce, des tables sont installées. Ici, le plafond est plus bas, masquant la lumière et créant une atmosphère plus feutrée. Dans le semblant d’intimité qu'offrent les paravents en bois qui l’entourent, Irakli écoute avec attention le traducteur de Casas lui expliquer ce qui l’attend. S’il ne veut pas être définitivement expulsable, il faut qu’il se dépêche. Il n’a que 48 heures pour faire appel à partir de la délivrance de son OQTF.

Typhaine Elsaesser, avocate au barreau de Strasbourg et spécialiste du droit des étrangers, connaît bien l’urgence de ce genre de dossiers. Pour éviter à ses clients d’être expulsés, elle se plonge dans leur situation familiale, leur état de santé, leur possible insertion professionnelle et leur intégration. En bref, elle cherche tout argument qui justifierait qu’ils puissent rester en France. Mais l’avocate n’est pas dupe : « C’est difficile de contester les OQTF, particulièrement pour les personnes qui sont arrivées sur le territoire récemment, qui n’y ont pas d’attaches fortes ou qui n’ont pas de problèmes de santé extrêmement graves. »

On ne traite pas les gens normalement
Dominique Simonnot

Suite à la délivrance d’une OQTF, le préfet peut décider d’un placement en centre de rétention pour 48 heures, notamment s’il pense qu’une fuite est possible. Le juge des libertés et de la détention peut prolonger ce placement. Les retenus peuvent y rester enfermés jusqu’à 90 jours en attendant leur renvoi dans leur pays d’origine. Barbelés, murs gris, caméras… De l’extérieur, ces 25 centres répartis dans toute la France, peuvent souvent se confondre avec des prisons. À l'intérieur, la situation n’est guère meilleure. Tensions, manque d’intimité, insécurité, insalubrité.

Dominique Simonnot, contrôleuse générale des lieux de privation de liberté, est l’une des rares personnes à pouvoir pénétrer dans ces lieux. Elle y juge les conditions de vie insupportables. « On ne traite pas les gens normalement. Les retenus s’ennuient à mourir. Il n’y a rien à faire. Rien. » En plus de l'ennui, l’incertitude fait partie du quotidien. « Ils sont angoissés parce qu’ils ne connaissent pas leur sort. On ne les prévient pas à l’avance si un vol est prévu pour les expulser. » Dominique Simonnot dénonce également le climat de violence qui règne dans les centres. « C’est la loi du plus fort qui s’installe. C'est encore moins sécurisé qu’une prison. Les policiers les croisent le moins possible parce qu’ils ont peur. »

La Cour européenne des droits de l’homme s’est elle aussi émue des conditions de vie dans les centres de rétention. À plusieurs reprises, elle a condamné la présence d’enfants dans ces lieux. Une situation qui afflige la contrôleuse générale : « Le ministre de l’Intérieur dit qu’il n’y a plus que des enfants de plus de 16 ans, mais on constate que c’est faux. À Metz, il y a un endroit réservé aux familles. Les enfants sont copieusement insultés par des hommes de l’autre côté de la grille. Ils n’ont accès à des jouets qu’en nombre limité et pas à l’instruction. »

Photo de pancartes en manifestation.
À l’occasion de la Journée internationale des migrants, des manifestants à Strasbourg dénoncent la présence de mineurs dans les centres de rétention en France. © Johanna Mohr

Des OQTF peu appliquées en France

Infographie OQTF
Source : Eurostat

L’expulsion n’est pas systématiquement l’issue de la rétention. Seules 45% des personnes retenues sont effectivement renvoyées dans leur pays d’origine. Un chiffre faible, car certains États refusent leur retour. Les autorités françaises n’ont alors d’autre choix que de les relâcher. De manière générale, la France applique peu ses OQTF. C’est pourtant le pays qui en prononce le plus dans l’Union européenne, trois fois plus, par exemple, que l’Allemagne. Selon le chercheur Matthieu Tardis, il existe deux explications : « En France, quand il y a un refus d’asile ou de titre de séjour, il y a automatiquement une OQTF. En Allemagne, il y a d’abord un examen de la situation et l’éloignement ne sera demandé que s’il est possible. »

Autre raison, l’insuffisance d’accord avec certains pays d’origine. « Des pays d’Afrique du Nord et de l'Ouest ne coopèrent pas beaucoup avec la France. Ce serait très mal vu par les opinions publiques africaines parce que les diasporas participent beaucoup au financement des membres de leur famille. » D’après le rapport des associations Forum réfugiés, les principaux pays d’origine des personnes enfermées en centre de rétention en 2022 étaient l’Algérie (23 %) et le Maroc (9 %). Une situation que déplore Dominique Simonnot : « Je ne comprends pas pourquoi il faut enfermer tant de gens. Très peu d’Algériens, de Marocains et de Tunisiens sont expulsables donc pourquoi les enfermer ? »

Épuisés par les procédures et la précarité de leur situation en France, certains migrants décident parfois eux-mêmes de rentrer dans leur pays d’origine. Dinka* a 23 ans. Arrivé il y a trois mois, ce jeune Kényan a vécu un périple éprouvant. « Ce sont des amis à moi qui m’ont lancé le défi d’aller en Angleterre. En voulant traverser la Manche, je suis tombé à l’eau. J’ai perdu toutes mes affaires. » Dans la « jungle » de Calais où il échoue alors, Dinka rencontre une association accompagnée d’un membre de l’Office français de l’immigration et de l’intégration (Ofii). Il leur fait part de son souhait de rentrer au Kenya pour reprendre ses études et retrouver sa famille. « Ils m'ont fait monter dans un bus et je suis arrivé à Clermont-Ferrand. » Le jeune Kényan est ensuite conduit dans un centre de retour volontaire géré par l’association CeCler. Depuis deux semaines, il y est logé en attendant qu’un membre de l’Ofii s’occupe d’organiser son retour. Son billet d’avion sera pris en charge par l’État français.

Photo de mains croisées
À Clermont-Ferrand, Dinka, jeune exilé, a décidé de rentrer dans son Kenya natal. En tentant de se rendre en Angleterre, il a failli se noyer dans la Manche. © Johanna Mohr

Depuis la création du dispositif en 2015, une trentaine de centres ont été ouverts à travers la France. Celui de Clermont-Ferrand a été fondé en octobre 2022. CeCler y accueille actuellement seize personnes. Leur séjour dure en moyenne 42 jours. Bien loin des lieux de rétention, barricadés et grillagés, il ressemble aux immeubles qui l'entourent. Dans cette ancienne résidence étudiante, probable dernier logement avant leur départ, les habitants sont un peu comme des locataires. Ils peuvent rentrer et sortir à leur guise. Une liberté qui peut les perturber au début. « Une des premières choses qu’ils nous demandent, c’est s’ils ont le droit de sortir. Ici, on n'est pas en prison », explique Cindy Moreaux, travailleuse sociale. Elle insiste, son rôle est d’aider ceux qui sont volontaires au départ. « On est travailleurs sociaux, on ne fait pas partie de la police. On a à cœur de rester sur le côté humain. »

Chaque semaine, les « locataires » reçoivent une allocation pour vivre. Ils percevront également une somme à leur départ. Dans certaines situations, il leur est également possible de toucher une aide pour se réinsérer dans leur pays d’origine : une somme d’argent pour se réinstaller, pour créer une entreprise ou un accompagnement pour trouver de l’emploi.

Malgré tout, ce dispositif est beaucoup moins coûteux que l’expulsion forcée avec placement en centre de rétention. Encore assez récent, il a pourtant permis à près de 5 000 étrangers en fin de droits de rentrer dans leur pays d’origine en 2022. À Clermont-Ferrand, en un an, sur 296 personnes accueillies, 83 % des tentatives de retour ont abouti. Mais la procédure n’est pas toujours simple. Il faut parfois demander aux autorités du pays d’origine de fournir des nouveaux papiers. C’est le cas notamment de Dinka qui a perdu tous ses documents d’identité lorsqu’il a tenté de traverser la Manche. La démarche peut également être très longue, particulièrement quand il s’agit de familles avec des enfants nés dans différents pays. À Clermont-Ferrand, une famille serbe a par exemple dû attendre quatre mois et demi dans le centre, avant de pouvoir repartir.

L’association et l’Ofii font également face à quelques absurdités administratives. Depuis octobre 2023, il faut formellement s’être fait remettre une OQTF pour toucher l’aide au retour et à la réinsertion. Une nouvelle obligation qui freine l’Ofii dans sa démarche. L’organisme doit, dans certaines situations, attendre que le « locataire » du centre obtienne son OQTF avant de pouvoir avancer plus concrètement dans les démarches.
Même si le chemin n’est pas encore tout à fait terminé, en attendant son retour, Dinka peut se reposer et se remettre de ses traumatismes, entouré de ceux qui connaissent les épreuves de la migration.

* Les prénoms ont été modifiés.

Adélie Aubaret et Johanna Mohr

À Clermont-Ferrand, cette association les aide à retourner au pays

© Adélie Aubaret et Johanna Mohr
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