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Travailleurs de l’ombre

En France, il est interdit de travailler en étant en situation irrégulière. Pourtant, pour espérer être régularisé, il faut fournir des fiches de paie. Pour les travailleurs, ce paradoxe crée un climat d’angoisse, de tension et d’incertitude.

À Paris, auprès des travailleurs sans-papiers

© Anis Boukerna et Clélia Wang
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Un premier titre… de transport

Comme tous les salariés, les sans-papiers ont besoin d’un titre de transport pour aller travailler. À Paris, le pass Navigo est l’un de leurs biens le plus précieux.

C’est bien avant l’aube qu’Ibrahim* commence sa journée. Il marche dans les rues encore silencieuses pour attraper le premier métro. Direction le chantier de rénovation d’un vieux bâtiment haussmannien, au cœur de Paris, dans le quartier de l’Opéra. Pour travailler, Ibrahim doit emprunter les transports en commun au moins deux fois par jour. « Le premier problème qu’on règle en arrivant en France c’est celui du déplacement. »

Selon une récente enquête de la Dares, la durée moyenne d’un trajet domicile-travail est de 50 minutes. Pour des travailleurs sans-papiers, qui sont régulièrement employés à plusieurs endroits, ce temps s’allonge facilement. « Aujourd’hui j’ai bossé sur Paris et demain je vais à Anthony (Hauts-de-Seine) », explique Jerry*, en attente de régularisation depuis trois ans.

Le pass Navigo permet de se déplacer dans toute l’Île-de-France, un sésame indispensable qui coûte 84,10 euros par mois. Une somme importante, la tentation de frauder est grande. Mais sauter les portiques, c’est prendre le risque de se faire contrôler, voire de finir en garde à vue. Et sans permis de séjour, la journée peut se finir avec une obligation de quitter le territoire (OQTF). « Même après dix ans ici, j’ai peur tous les jours. Je préfère mourir de faim mais recharger mon pass Navigo », reprend Ibrahim.

La régularisation est une procédure longue et difficile. Elle nécessite de pouvoir fournir des fiches de paie, preuves d’une bonne intégration professionnelle. Mais elle implique aussi d’être capable de justifier sa présence continue sur le territoire.

« Une fiche de paie n’est pas une preuve suffisante. N’importe qui peut en faire une, révèle Étienne Deschamps, juriste et syndicaliste à la CNT-SO (Confédération nationale des travailleurs-solidarité ouvrière). Les passes Navigo sont des documents qui attestent bien d’une présence en France. » Pour Ibrahim, Jerry et des milliers d’autres travailleurs sans-papiers, un titre de transport est plus qu’un simple moyen de se déplacer. Cela peut être un premier pas vers un titre de séjour.

* Les prénoms ont été modifiés

Anis Boukerna