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Un toit après l’exil

Le temps de l’examen de leur demande d’asile, les migrants doivent trouver un moyen de se loger. Immersion dans un centre d'hébergement à Clermont-Ferrand, où les travailleurs sociaux tentent de les accompagner dans leur quotidien.

Le rendez-vous était donné à 14 h 30, devant un immeuble du centre-ville de Clermont-Ferrand. Mais Fanta* et sa fille Aminata, en France depuis cinq mois, ne sont pas là. « Tu peux m’appeler en vidéo sur WhatsApp ? », suggère au téléphone Alexane Martin. Travailleuse sociale à l’Hébergement d’urgence pour demandeurs d’asile (HUDA) de l’association CeCler, elle a l’habitude de ces arrivées laborieuses.

Une travailleuse sociale montre ses clés à une nouvelle arrivante.
Alexane Martin est habituée à accueillir de nouveaux arrivants à l’HUDA. Tutoiement, présentations, état des lieux, tout est réfléchi pour que les demandeurs d’asile se sentent à l’aise. © Julie Lescarmontier

Après vingt minutes ponctuées de « je sais où tu es ! », « ne bouge pas », « je suis rue de Beaupeyras », Fanta et Aminata arrivent enfin au pied d’un bâtiment gris des années 1990. Leur futur appartement se trouve au 3e étage. Les deux Ivoiriennes le partageront avec Marta, elle aussi mère d’une petite fille.
Dans le salon, deux canapés, une table, une télévision, pas beaucoup plus. « Ça c'est ton adresse. Ça c’est l’adresse de mon bureau et ça, le plan pour venir en bus », liste Alexane en parcourant le dossier administratif avec Fanta. Ce sera tout pour les explications aujourd'hui, Fanta et Aminata sont fatiguées.

Des associations à la manœuvre

Gérer les arrivées et les départs, c’est le quotidien des travailleurs sociaux des HUDA et des Centres d’accueil pour demandeurs d’asile (CADA). Depuis les années 1990, ces structures sont chargées d’offrir des solutions d’hébergement aux demandeurs d’asile sans domicile, récemment arrivés en France. « Au départ, les personnes arrivaient dans les hébergements d’urgence, les HUDA, en attendant d’avoir une place plus pérenne en CADA. Aujourd’hui, les CADA sont saturés, donc le travail est quasiment le même en HUDA », explique Bettie Vidal, cheffe de service au pôle asile de l’association CeCler.

En France, la gestion des centres d’hébergement est déléguée à des associations. Celles-ci répondent à des appels à projet de l’État, qui les finance en fonction du nombre de places proposées. C’est l’Office français de l’immigration et de l’intégration (Ofii) qui oriente ensuite les migrants vers les logements disponibles.
Au total, en 2022, 98 000 places d’hébergement sont réparties à travers le pays. Insuffisant, au regard du nombre de demandeurs d’asile. 156 000 rien que cette année-là.

Bienvenue chez moi : ces particuliers qui accueillent les migrants

Faute de logements, beaucoup de demandeurs d’asile se retrouvent à la rue pendant leur procédure. Mais quelques fois, certains sont accueillis chez des particuliers, grâce à des associations, comme Jesuite Refugee Service. Cette organisation catholique internationale met en relation les migrants avec des familles d’accueil. Focus à Strasbourg.

© Marine Lebegue

« On a eu de la chance d’être épargné »

L’association CeCler gère 180 lits sous le statut de HUDA, dans différents immeubles de l'agglomération clermontoise, ainsi qu’un CADA de 70 places à Royat, à quelques kilomètres du centre-ville. Treize salariés y travaillent.
À leur arrivée devant ce CADA, les demandeurs d’asile découvrent un ancien hôtel à la façade rose pâle. Au rez-de-chaussée, le long couloir monotone tranche avec l’animation qui s’échappe des salles mitoyennes. Dans les étages, derrière les portes des studios et des appartements, des histoires d’exil se racontent. Un pays fui à cause de la guerre, un espoir de soin, la perspective d’une vie meilleure… Déracinés, tous trouvent enfin un toit pour tenter de se reconstruire.

Au deuxième étage, près de l’ascenseur, Mariam est souvent aux fourneaux. Alloco, foutu, attieké… Dans son studio, elle retrouve le plaisir de cuisiner les spécialités de son pays. Il y a plusieurs mois, elle a quitté la Côte d’Ivoire et ses deux enfants pour fuir un mariage forcé. « Je voulais aller en Tunisie pour faire ma vie. Je n’ai jamais voulu traverser la Méditerranée, mais début juillet, il y a eu 'une chasse aux noirs' », bafouille-t-elle, les larmes aux yeux. Un cauchemar de pillages, de menaces de mort et de viols qui va durer près d’un mois dans le désert tunisien. « On a eu de la chance d’être épargné. Un homme a eu pitié de nous. On lui a tout donné et il nous a mis sur une pirogue avec 45 autres personnes. » ; c’est la Croix Rouge qui la récupère in extremis : l’embarcation au bord du naufrage est alors encore loin de la côte italienne. « Quand je suis arrivée, je ne comprenais pas. On me parlait italien, on me parlait anglais. Je voulais aller en France pour être comprise », se remémore-t-elle. Elle prend le premier train et arrive « le 23 août » ; à Clermont-Ferrand, par hasard. Après plusieurs journées à la rue, une équipe d’accueil de jour finit par l’orienter vers la préfecture. Le 22 septembre, elle se voit attribuer une place dans le CADA de Royat.

Au rez-de-chaussée de l’ancien hôtel, les travailleuses sociales essayent de faire oublier leurs difficultés aux résidents avec des activités : cours de français, cours de couture, ateliers cuisine. Ce soir de décembre, Noël se prépare. Dans la salle d’ateliers, les enfants se chamaillent avec les bénévoles venus les encadrer. Bâtons de colle, papiers colorés et peintures à paillettes envahissent la pièce en quelques minutes. Les cartes de vœux prennent forme. Faute de salle disponible, l’activité guirlande a lieu dans le bureau d’Alexia Philippon, assistante sociale au CADA. Adriné, Mariam et d’autres résidentes s’appliquent. Le tube « Despacito » résonne dans la pièce. Pas de « Petit papa Noël », « Jingle bells » ou « Last christmas », mais celui-ci, elles la connaissent toutes. « Ça veut dire quoi Despacito en français ? », lance Alexia. Les bouches se contiennent de rire. « Slowly », lâche une première, « doucement », une deuxième. « Ah bah ça rigole hein ! », commente l’assistante.

« Elles ne parlent pas toutes la même langue mais elles se comprennent et on peut partager tellement de culture ensemble, c’est hyper enrichissant », confie-t-elle. Pour les plus motivées, la soirée se poursuit autour de la décoration du sapin de Noël. Avec les travailleuses sociales, certaines improvisent des cœurs en guirlande sur les portes des bureaux. L’heure est au réconfort dans le hall du CADA. « Ici, c’est ma famille, c’est tout pour moi », résume Mariam.

Apprendre le français : une question de dignité

Dans les CADA, assurer des cours de français est obligatoire. Mais tout le monde n’y a pas une place. À Strasbourg, l’association Casas, propose un enseignement des bases de la langue aux demandeurs d’asile volontaires. Brigitte Hamel, bénévole depuis 2015, nous raconte.

© Julie Lescarmontier et Alexia Lamblé

Le poids de la procédure

Mais dans les centres d’accueil, le quotidien est aussi rythmé par les exigences de la procédure de demande d’asile. « Quand je suis arrivée à l’HUDA ça m’a fait bizarre tout cet administratif, je n’étais pas habituée à en faire autant », décrit Audrey Jiat, assistante sociale à l’association CeCler. Et les délais sont serrés. Une fois l'enregistrement sur le territoire fait, un compte à rebours s’enclenche. Les migrants ont 21 jours pour envoyer leur dossier de demande d’asile à l’Ofpra (Office français de protection des réfugiés et apatrides). Douze pages de formulaire à remplir avec précision. Dans les hébergements d’accueil, les travailleurs sociaux, accompagnés d’interprètes, aident les résidents à écrire leur « récit de vie », pièce essentielle du dossier. Ils les épaulent ensuite dans la préparation de l’entretien avec l’Ofpra qui scellera le sort de leur demande. « Là-bas, ils ne vont pas être gentils avec eux. Ils vont poser des questions compliquées, parfois hyper personnelles », signale Bettie. Et d’ajouter : « Nos résidents LGBT ont déjà eu des questions très touchy. Quand est-ce que vous vous êtes rendu compte que vous étiez LGBT ? Quand avez-vous eu votre premier rapport sexuel ? [...] Ils ne sont jamais assez préparés pour toutes ces questions. » L’Ofpra étant à Paris, pour les demandeurs d’asile clermontois, se rendre au rendez-vous, n’est pas chose aisée. « Il faut être à l’heure, il ne faut pas se tromper, comprendre où c’est », détaille la cheffe de service.

Au fond du couloir du CADA, deux fois par semaine, les travailleuses sociales reçoivent les résidents convoqués pour leur audition, pour régler les questions pratiques. « Ça c’est hôtel, avec adresse, ça c’est billet. Clermont, le dimanche 17 décembre, 8 h 33, arrivée Paris, midi », tente de se faire comprendre Alexane, le dossier d’un couple d’Arméniens entre les mains. Tout a été imprimé : les billets bien sûr, mais aussi une carte récapitulant les trajets à Paris entre la gare, l’hôtel et les locaux de l’Ofpra.

« Je ne ferai pas ça toute ma vie »

Les permanences sont aussi l’occasion de régler les problèmes liés aux logements. « Les deux lampes ont grillé dans la salle de bain », « il y a de la moisissure derrière le canapé », « il y a une petite fuite sous le ballon d’eau chaude ». Les doléances s’enchaînent. Les conditions de vie, notamment dans les logements d’urgence, sont parfois aléatoires. « On a des apparts qui sont corrects et malheureusement, on en a qui sont beaucoup moins bien. Chez nous, ce n’est pas la taille le problème, c’est plutôt l’insalubrité », reconnaît Alexane. « Les cafards c’est nos amis, on est envahi ! C'est aussi la réalité des centres où il y a du monde et du mouvement », admet Amandine Renard, elle aussi assistante sociale. Tous les quinze jours, des produits ménagers sont distribués, et les draps sont lavés par une entreprise afin d’éviter les punaises de lits.

Certains logements vieillissants tardent aussi à être rénovés. Papier peint décollé, odeur de moisissure, fenêtre cassée… Les fonds manquent souvent : l’État n’alloue à l’association qu’autour d’une vingtaine d’euros par jour et par résident. Bettie en est consciente : « Forcément, j'aimerais qu'on ait plus d'argent pour rénover les appartements, pour avoir des meubles de meilleure qualité qui durent plus longtemps. »
Faire tourner un centre d’hébergement pour demandeurs d’asile, « c’est un métier qui n’est pas évident tous les jours », rappelle Marine Semery, sa collègue à Royat. Il faut composer avec des langues des quatre coins du monde sans interprète au quotidien. Pendant les permanences, les assistantes sociales se débattent avec « Google Traduction » pour se faire comprendre.

Dans les bureaux, la moyenne d’âge ne dépasse pas 30 ans : « Le rythme est assez soutenu, les horaires ne sont pas très adaptés à une vie de famille. Dans l’association, on se doit d’être présent de 8 h à 20 h », ajoute Marine. La difficulté est ailleurs pour Alexane, 23 ans. « Je ne ferai pas ça toute ma vie, les récits de vie, il faut s’y préparer », songe-t-elle. Des histoires de viol, d’abandons ou de guerre qui submergent parfois les travailleuses, peu préparées à de telles atrocités. « Mais heureusement à côté des choses lourdes, il y a aussi énormément de joie », pointe Marine. Martha, la colocataire de Fanta a fini par obtenir l’asile. Après avoir passé deux ans dans un HUDA avec sa fille, elle a réussi à trouver un logement plus pérenne. « On a eu de la chance d’être accompagné. C’est grâce à elles », sourit-elle.

* Les prénoms des demandeurs d’asile ont été modifiés.

Julie Lescarmontier et Alexia Lamblé