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L’UE en quête d’alliés

Alors que les États-Unis menacent de se désengager de l’Alliance atlantique, l’Europe cherche de nouveaux partenaires en dehors du continent. En témoigne la signature d’accords, notamment dans l’Indo-pacifique, avec le Japon et la Corée du Sud.

« C’est le premier d’une longue série », avait promis l’ancien chef de la diplomatie Josep Borrell à Chisinau. Ce jour-là, le 21 mai 2024, l’Union européenne signait un partenariat sur la sécurité et la défense avec la Moldavie. Un accord qui entre dans les objectifs de défense et de sécurité de l’UE tels qu’ils sont établis dans la Boussole stratégique signée en 2022. Dans ce plan d’action, l’un des quatre volets exhorte les États à « travailler en partenariat ». Alors que la guerre en Ukraine se poursuit depuis près de trois ans, que Moscou agite le spectre d’une guerre nucléaire en Europe et que le futur président Donald Trump menace de se désengager de l’OTAN, principale garante de la sécurité du continent, l’Union européenne renforce sa sécurité et se cherche des alliés.

Illustration : Sasha Lefere et Imen Megherbi

La diplomatie européenne s’active

Les diplomates européens se sont attelés à la tâche et Josep Borrell a tenu parole. Depuis le mois de mai, cinq partenariats supplémentaires ont été finalisés avec la Norvège, le Japon, la Corée du Sud, la Macédoine du Nord et l’Albanie. Leur objectif principal est de renforcer le dialogue sur les questions de sécurité. Par exemple, la Norvège pourra désormais assister aux réunions interministérielles de l’Union européenne en matière de défense. La Macédoine du Nord, quant à elle, bénéficiera d’une aide logistique supplémentaire pour gérer les flux migratoires à ses frontières. Ces accords prévoient également de renforcer la coopération dans les domaines numérique, aérospatial et maritime, de coordonner la lutte contre le terrorisme et de développer des exercices militaires conjoints.

D’après Federico Santopinto, directeur de recherche à l’Institut de Relations Internationales et Stratégiques, les nouveaux partenaires de l’UE pourront ainsi participer plus facilement aux missions de la Politique de sécurité et de défense commune (PSDC). « Ce sont de petites missions de gestion de crise que l’Union européenne mène principalement dans les Balkans ou en Afrique, analyse l’expert. Elles sont stratégiquement peu importantes. » La première opération (EUFOR Concordia) date de 2003, après l’insurrection albanaise en Macédoine du Nord. Les troupes européennes avaient alors été déployées pour stabiliser la région. Depuis, la plupart de ces missions ont servi à maintenir la paix dans des zones tendues ou à envoyer de l’aide humanitaire.

Des partenariats et non des alliances

L’eurodéputé Nicolás Pascual de la Parte (PPE). Photo : Athénaïs Cornette

Mais ces partenariats ne sont pas des alliances contraignantes. « Il n’y a aucune obligation mutuelle dans ces textes. Ils expriment surtout des intérêts communs entre l’Union et ses partenaires », commente un diplomate européen. Il s’agit notamment de montrer à la Russie et à la Chine que l’Europe et ses alliés sont militairement actifs ; même s’ils ne sont qu’au stade du dialogue. Et dans un monde en constante évolution, ces échanges constituent une première étape vers des accords contraignants. « Il faut commencer par des partenariats construits sur une base volontaire pour former des alliances consolidées », explique Nicolás Pascual de la Parte, eurodéputé espagnol (PPE) et membre de la sous-commission sécurité et défense (SEDE) du Parlement européen. Pour ce dernier, un approfondissement des relations est tout à fait envisageable. Voire souhaitable.

«  La Chine adopte une position de plus en plus menaçante  »

- Christophe Gomart, eurodéputé (PPE)

Le vice-président de la sous-commission sécurité et défense Christophe Gomart (PPE). Photo : Athénaïs Cornette

Début novembre, le Service européen d’action extérieure (SEAE), l’organe diplomatique de l’Union européenne, a conclu pour la première fois deux pactes de sécurité dans l’Indo-Pacifique avec le Japon et la Corée du Sud. Une zone particulièrement stratégique d’après l’eurodéputé Christophe Gomart (PPE), vice-président de la SEDE. « La Chine adopte une position de plus en plus menaçante et cherche à devenir la première puissance mondiale en 2049. L’Union doit se positionner dans cette région pour une question de stabilité. » Le Japon et la Corée du Sud sont par ailleurs des partenaires puissants qui investissent massivement dans leur sécurité. Le premier prévoit de doubler son budget de défense pour le porter à 2 % de son PIB d’ici à 2027. Quant à la seconde, elle est le septième exportateur d’armes au monde. « Cette collaboration envoie un message à l’axe Russie, Corée du Nord et Chine », analyse le chercheur Federico Santopinto. Celui d’une Europe qui se positionne sur la scène internationale.

Industrialisation de l’armement : Europa First

Pour muscler sa défense, l’Union européenne ne mise pas seulement sur la création d’un réseau de pays alliés. Elle est aussi très active dans le développement de son industrie grâce à des programmes de financement, comme le Fonds européen de la défense (FED). Doté d’un budget de 7,9 milliards d’euros pour la période 2021-2027, celui-ci vise à soutenir les investissements dans des technologies et équipements produits par les pays de l’UE. Néanmoins, les industriels européens sont encore très dépendants des autres États pour certains composants essentiels dans la fabrication des armements. D’après le rapport Draghi sur le décrochage économique de l’Union européenne, 78 % des dépenses industrielles entre juin 2022 et juin 2023 ont été effectuées auprès de fournisseurs étrangers, principalement américains.
« La Commission travaille actuellement pour mobiliser ses fonds dans des industries 100 % européennes, explique l’eurodéputé Christophe Gomart. C’est comme cela qu’elle récupérera son indépendance. » Dans cette logique, le FED ne regroupe que les 27, à l’exception de la Norvège qui bénéficie d’une dérogation.

Mais individuellement, les États membres continuent de passer des accords avec des pays en dehors de l’Union dans ce domaine sensible. Pour Federico Santopinto, ces accords bilatéraux seraient même privilégiés par les pays en dehors de l’UE. « Ils ne souhaitent pas nécessairement participer aux programmes industriels de Bruxelles car ils seraient contraints d’accepter une réglementation très lourde. D’État à État, elle est souvent plus simple. » De nouveaux projets voient régulièrement le jour, comme le « Trinity House Agreement » entre l’Angleterre et l’Allemagne, qui prévoit d’élaborer conjointement des armes de frappe à longue portée. Ou encore le lancement d’un avion militaire prévu pour 2025, qui réunit des entreprises britanniques, italiennes et japonaises. On ne peut donc pas parler d’européanisation des industries. L’Europe de l’armement est encore à construire.

Athénaïs Cornette

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