Déjà confrontée à une pénurie de personnel, la Bunderswehr doit augmenter ses effectifs. Mais face au manque d'intérêt dans la société, une forme de service militaire pourrait être réinstaurée.
Au-dessus du bâtiment principal de la foire de Berlin, un soleil morne perce à travers les nuages. Quelques drapeaux flottent au vent. Ce samedi de décembre, il fait froid. Pourtant, derrière l'entrée de l’esplanade vide, à l’intérieur de la foire, des centaines de visiteurs se pressent. Tous sont venus participer à Jobmedi, un salon de l’emploi consacré au secteur médical. Au milieu des 90 exposants, principalement des hôpitaux et des cliniques, un stand attire l’attention. Avec ses tables vert kaki et marron, trois hommes et une femme en treillis attendent des candidats. Nous sommes sur le stand de l’armée allemande, la Bundeswehr.
Objectif du jour : recruter des médecins, des infirmiers et renseigner tous ceux qui s’intéressent à l’armée. Après l’attaque de la Russie contre l'Ukraine en 2022, qui a secoué l'Europe, l’Allemagne a subitement pris conscience qu’elle avait besoin de plus de soldats pour pouvoir se défendre. Dans ce pays où le service militaire a été suspendu en 2011, l’institution doit recruter elle-même son personnel, investissant les salons de l’emploi du pays comme Jobmedi.
Fin octobre 2024, l’armée allemande comptait 180 000 soldats actifs et 34 000 réservistes mobilisables. Des chiffres loin de l’objectif fixé dans le cadre de l’OTAN, qui établissait les besoins de la Bundeswehr à 460 000 soldats. Pour atteindre ce but, le ministère de la Défense a prévu de passer à 203 000 soldats actifs et à 60 000 réservistes mobilisables en 2031. « L'augmentation des effectifs de la Bundeswehr reste notre objectif le plus important, explique une porte-parole de l’institution. Ce n'est qu'ainsi que nous pourrons garantir la disponibilité nécessaire du personnel, en particulier dans le contexte de la situation actuelle en matière de politique de sécurité. »
Cette augmentation du personnel pèse sur l’économie allemande : en 2024, 90,6 milliards d'euros, soit 2,1 % du produit intérieur brut (PIB), ont ainsi été investis dans la défense par Berlin. Permettant à l’Allemagne d’atteindre pour la première fois l’objectif de 2 % du PIB dans la défense, fixé par l’OTAN en 2006 pour les pays membres de l’Alliance.
Pour se moderniser, la défense allemande peut aussi puiser, jusqu’en 2028, dans un fonds spécial de 100 milliards d'euros, adopté par le Parlement allemand en 2022. Sur les 90 milliards dont dispose l’armée en 2024, environ 52 milliards proviennent ainsi du budget de la défense et 20 milliards de ce fonds spécial.
- Une infirmière allemande de 21 ans
Au salon de l'emploi de Berlin, le capitaine Mike Götze, qui dirige un bureau de conseil en carrière de l’armée allemande, est monté sur scène. Il donne une conférence sur les possibilités de carrière au sein de la Bundeswehr. Mais il n’y a pas foule : sur une soixantaine de places, seulement treize sont occupées cet après-midi. Quatre d’entre elles s’éclipsent pendant la présentation. Les autres ne sont pas plus enthousiastes, comme ces deux couples d’amis, qui sont restés jusqu’à la fin de la conférence. « Les hôpitaux militaires sont aussi attaqués et je ne suis pas prête à mourir pour mon travail ou même pour l'Allemagne », raconte l’une des jeunes femmes, une infirmière de 21 ans. À ses côtés, son ami hausse les sourcils et hoche la tête en signe d'approbation. Ils sont aussi réticents à déménager tous les deux à quatre ans, comme l’exige ce type d’engagement.
Si 82 % des Allemands sont favorables à l'armée, pour beaucoup il n'est pas question de s'y engager, selon une enquête du Centre d'histoire militaire et de sciences sociales de l’institution. Environ 60 % des hommes seraient prêts à défendre le pays par les armes en cas d'attaque militaire. Un chiffre qui chute à 21 % pour les femmes. Moins de la moitié d'entre eux estiment que le service militaire obligatoire est nécessaire et ils sont encore moins nombreux chez les 16-29 ans (41 %). Selon la chercheuse Claudia Major, de l'Institut allemand de politique et de sécurité internationale, il y a « un problème de fidélisation du personnel et parfois aussi de développement du personnel et de direction », écrit-elle dans le quotidien Handelsblatt en février 2024. Elle pointe aussi un manque de « conscience commune du pays que les citoyens défendraient en cas de crise ».
C'est aussi pour ces raisons que l'Allemagne envisage de réintroduire une forme de service militaire. Un projet de loi approuvé en novembre prévoit de proposer à chaque homme de 18 ans, jugé apte à s’engager dans l’armée, d’accomplir un service compris entre 7 et 23 mois. Une possibilité également ouverte aux femmes qui le souhaitent. Berlin compte sur ce nouveau dispositif pour recruter chaque année 5 000 soldats supplémentaires, selon le ministère de la Défense. La nouvelle loi prévoit en outre de rétablir un système de recensement militaire permettant d’enrôler des soldats en cas de guerre. Autant de projets menacés par la chute du gouvernement du chancelier social-démocrate Olaf Scholz, après avoir été censuré par le Parlement allemand le 16 décembre.
Pour autant, le rétablissement du service militaire devrait prendre une place centrale dans la campagne électorale avant les élections législatives prévues en février. Actuellement en tête des sondages, le parti conservateur, la CDU, va plus loin que la proposition de loi actuelle en plaidant en faveur d’un service militaire obligatoire, comme ce fut le cas en Allemagne entre 1956 à 2011. En attendant, à la foire de Berlin, le capitaine Mike Götze continue à faire son métier : recruter des candidats appropriés pour l’armée allemande. Un nouveau salon de l’emploi est prévu en mars 2025, à l'Olympiastadion, le stade olympique de Berlin.
Vidéo :
JRI : Sylia Lefevre
Rédactrice : Clara Gross
Shawn-Orric Dreyer, à Berlin (Allemagne)