Sur le pavé, des luttes

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COUPS DURS

Des hommes sous les cuirasses

Valentine HEITZ et Laurine JEANSON

Leur mission : le maintien de l'ordre. Zones à défendre (ZAD) ou manifestations des Gilets jaunes, les gendarmes font face à une escalade de la violence. Sous couvert d'anonymat, Julien, Thomas et Mickaël témoignent.

Les policiers et gendarmes assurent le maintien de l’ordre lors des manifestations.© Valentine HEITZ

"Peu importe les moyens que vous utilisez, vous les effacez du décor."

Julien était en charge des interpellations pendant les mobilisations des Gilets jaunes, en 2019, à Paris. Selon lui, des débordements ont été provoqués par les manifestants comme par les forces de l'ordre.

© Valentine HEITZ

"Toi, condé, j'en ai rien à foutre, je nique ta mère quand je veux."

Mathieu* est gendarme. Déployé sur un rond-point, il a été surpris par la désorganisation du mouvement des Gilets jaunes et par leur violence à l'égard des forces de l'ordre.

© Valentine HEITZ

"C'était un champ de bataille."

Le 26 octobre 2014, Mickaël*, alors gendarme, intervient pour une mission de maintien de l'ordre à Sivens (Tarn). Ce jour-là, Rémi Fraisse, un militant écologiste de 21 ans meurt. Une grenade lui a explosé dans le dos.

© Maryline BOUDOT

*prénoms et voix modifiés

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CHARGEZ

Maintien de l'ordre à la française, mode d'emploi

Élia DUCOULOMBIER et Emma STEVEN

Le Schéma national du maintien de l’ordre (SNMO), publié en 2020, fixe les modalités opérationnelles des forces de l’ordre lors des manifestations. Décryptage de ce texte et de l’évolution des pratiques depuis un siècle.

© Adrien BIECHEL, Élia DUCOULOMBIER, Mathilde IEHL, Kamel KHALFOUNI et Emma STEVEN

“Dans le SNMO, tout est fait pour pouvoir taper sur les manifestants”

Pour Pierre Bernat, co-président de la section toulousaine de la Ligue des droits de l’Homme (LDH) et membre de l’Observatoire toulousain des pratiques policières, le Schéma national du maintien de l’ordre (SNMO) reste problématique.

Pierre Bernat est membre de la Ligue des droits de l’homme de Toulouse depuis 2019. © Cécile POMIER

Qu’est-ce que l’Observatoire toulousain des pratiques policières ?

Pierre Bernat : C’est un collectif créé au moment des manifestations contre la loi Travail, en 2016. L’objectif était d’observer l’organisation et les méthodes des forces de l’ordre sur le terrain. Il existe aujourd’hui une quinzaine d’observatoires issus de la Fondation Copernic et de la LDH. Chacun travaille de manière indépendante à l’échelle locale. Cela nous a permis, par exemple, de remarquer que le maintien de l’ordre est plus dur à Paris, Nantes et Toulouse et qu’il change en fonction du commandant de la force publique qui le gère sur le terrain.

Nous avons demandé à figurer dans le Schéma national du maintien de l’ordre (SNMO) afin d’être officiellement reconnus comme des observateurs et non comme des manifestants, mais ça n’a pas été accepté. Pourtant, c’est indispensable : un de nos observateurs a été blessé par une grenade explosive pendant une manifestation des Gilets jaunes en février 2019 à Toulouse. De manière générale, aucun observatoire n’a été consulté pour la première rédaction du texte, ni pour la nouvelle version en cours d’élaboration.

Le SNMO entérine l’utilisation d’équipements comme les LBD40 ou les grenades de désencerclement. Pensez-vous que ces outils soient nécessaires au maintien de l’ordre ?

Non, il faut les supprimer. Au niveau national, nous avons pu remarquer que les grenades “défensives”, censées protéger un policier encerclé, sont utilisées de manière offensive. Dans une moindre mesure, c’est aussi le cas des grenades lacrymogènes. Ces gaz sont utilisés pour orienter la manifestation, plus que pour se défendre. Leur utilisation est presque habituelle, ce qui ne devrait pas arriver. Ces équipements sont d’ailleurs parfois utilisés par des policiers qui ne sont pas formés au maintien de l’ordre, comme la BAC.

Une partie du texte est consacrée à la communication entre les manifestants et la police. Sur le terrain, comment est-elle mise en place ?

Il y a un énorme manque de dialogue entre les forces de l’ordre et les manifestants au moment de la dispersion. Les sommations sont faites avec des haut-parleurs dont la portée est de moins de vingt mètres. Mais la police peut envoyer des grenades avec des lanceurs dont la portée est de cinquante mètres. À cette distance, des manifestants se retrouvent donc à ne pas savoir pourquoi des gaz sont tirés.

De plus, la police appelle à la dispersion dans un seul sens. Quand on demande à toutes les personnes de se disperser par un seul endroit, on obtient un mouvement de foule. La police utilise alors des gaz lacrymogènes ce qui augmente la tension et ne résout pas les problèmes. Dans le SNMO, tout est fait pour pouvoir taper les manifestants.

Quelles sont les techniques utilisées dans d’autres pays dont pourrait s’inspirer la France ?

Il y a de plus en plus de collaborations européennes pour adopter des pratiques communes. La France ne participe plus à ces discussions parce qu’elle s’est auto-proclamée spécialiste du maintien de l’ordre. C’est presque l’un des seuls pays à utiliser des projectiles de type LBD. Au Royaume-Uni, pour le maintien de l’ordre, la police ne dispose que de bâtons de défense et n’utilise même pas de gaz lacrymogènes. Dans certaines régions allemandes, il y a des équipes de liaisons entre policiers et manifestants pour exclure les personnes qui perturbent l’ordre public. Cela évite de devoir gazer une rue entière. Nos voisins d’outre-Rhin utilisent aussi des panneaux lumineux géants et des mégaphones performants pour mieux informer les manifestants. Ce sont des dispositifs prévus dans le SNMO mais nous n’en avons encore jamais vus sur le terrain.

D'après de ce texte, pensez-vous que le droit de manifester est en danger ?

Depuis le début de la pandémie, la LDH a observé le basculement d’un régime déclaratif à un régime d’autorisation de la manifestation. Le fait que le préfet décide qui peut manifester ou non est très problématique pour l’état démocratique du pays. Ce qui nous inquiète, c’est que toutes les dispositions mises en œuvre dans le cadre de l’état d’urgence face au risque terroriste, puis de l’état d’urgence sanitaire ont été inscrites dans la loi. D’autre part, en manifestation, la police fait peur. Ce n’est pas normal : dans un État de droit, on ne craint pas les outils de l'État. Quand on laisse une manifestation se faire, on laisse aux gens la possibilité de s’exprimer dans la rue. S’ils ne le peuvent pas, ils trouveront des actions plus dures qui auront des conséquences graves.

L'évolution du maintien de l'ordre de 1921 à nos jours


© @MMI


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AUX ARMES

Tirer n'est pas tuer

Nils SABIN et Thomas WRONSKI

En 25 ans, les armes “non létales” se sont généralisées au sein des forces de l’ordre bien qu’elles soient responsables de dizaines de blessés graves ces dernières années. Partisans de la désescalade et industriels s’opposent quant aux solutions à apporter.

Lanceur de balles de défense équipé d'une boîte noire développée par l'entreprise Redcore SAS. © Nils SABIN

“Ici, on veut faire avancer les armes non létales, celles de la police, dans le sens de l’innovation.” Pour Gaël Guillerm, ex-gendarme et fondateur de l'entreprise Redcore SAS, améliorer les armes de la police et rendre le maintien de l'ordre plus sûr, plus efficace et moins dangereux est avant tout une question de recherche et de développement. Au siège de l'entreprise en périphérie de Lorient, une odeur de poudre imprègne l’air et les répliques d’armes s’entassent aux pieds des bureaux. Sur les murs, de grandes affiches vantent la “neutralisation protective” rendue possible par leurs différents produits : un nouveau lanceur de balles de défense (LBD) plus précis, une crosse ajustable, une boîte noire pour LBD.

Renforcer “le niveau d'acceptabilité”

Armes non létales, sublétales, à létalité réduite voire même para-létales. Ces 30 dernières années, le vocabulaire des entreprises produisant des armes de maintien de l’ordre s’est largement étoffé. Toujours en véhiculant l’idée que leurs nouvelles armes ne sont pas conçues pour tuer, ni ne peuvent tuer. “On voit ce terme apparaître dans les années 90, quand les industries de sécurité développent ces armements”, explique Mathieu Rigouste, chercheur en sciences sociales, auteur de La police du futur. De la surveillance généralisée à l’autocontrôle. Il y voit une stratégie communicationnelle des industries de sécurité pour développer “le niveau d'acceptabilité” de leurs équipements, pour qu’ils soient mieux tolérés par la population.

Pour Marion Guémas, autrice du rapport Maintien de l’ordre : à quel prix ? pour ACAT France (Action des chrétiens pour l'abolition de la torture), publié en 2020 : “Ces armes peuvent en réalité conduire à des décès ou à de graves lésions, donc ce sont des termes qui amenuisent la réalité du danger qu’elles représentent.” Le terme “arme de force intermédiaire”, plus neutre, est aussi utilisé par les autorités. L’arme offrirait une solution intermédiaire, entre l’inefficacité d’une intervention physique et le risque de tuer avec une arme à feu.

L’expression d’arme non létale est rapidement reprise par les autorités pour justifier leur usage : il s’agit de neutraliser sans tuer. Alors que les armes de service classiques tirent un petit calibre à très haute vitesse, le Flash Ball — première arme non létale autorisée —, tire une grosse balle en caoutchouc à vitesse plus réduite.

Malgré cette appellation d’arme non létale ou de force intermédiaire, les LBD sont classés A2 c'est-à-dire comme matériel de guerre par la France. Une classification que dénonce Gaël Guillerm. Pour l'entrepreneur, “les LBD ne devraient pas se retrouver avec les lance-roquettes ou les obusiers”. C’est pour cette raison qu’il milite pour la création d’une nouvelle catégorie d'armes, la classe A3, qui serait réservée aux armes de maintien de l’ordre. Dans la proposition de loi qu’il a envoyée à quelques députés, il suggère la création d’une commission indépendante chargée d'évaluer quelles armes à “létalité réduite” pourraient rentrer dans cette catégorie.

Une arme qui “punit”

En novembre 2019, une étude menée auprès de tous les CHU de France et publiée dans la revue The Lancet recense les cas suspectés de blessures oculaires par LBD. Leurs résultats dénombrent deux cas en 2016, un en 2017, 25 en 2018 — début de la crise des Gilets jaunes — et 15 en 2019. Un an plus tôt, le Défenseur des droits, Jacques Toubon, remettait déjà un rapport sur le maintien de l’ordre à l’Assemblée nationale et demandait l’interdiction du LBD au vu de sa dangerosité. Demande réitérée en 2019 et en 2020 dans ses rapports annuels d’activité, sans effet jusqu'à aujourd'hui.

“Le Flash Ball a inventé des nouvelles situations dans lesquelles il est possible de tirer, là où avant, les policiers ne tiraient pas à balles réelles”

Pour Nicolas D., CRS syndiqué à l’UNSA Police, les LBD ont leur utilité : “Il permet de riposter sans pour autant prendre le risque de tuer quelqu’un.” “Faut pas oublier qu’on a aussi une arme dans l’étui”, rappelle le syndicaliste au sujet de son arme de poing Sig Sauer.

Pourtant, l’arrivée du Flash Ball puis du LBD chez les forces de l’ordre [voir chronologie] soulève différentes interrogations. “Le Flash Ball a inventé des nouvelles situations dans lesquelles il est possible de tirer, là où avant, les policiers ne tiraient pas à balles réelles”, explique Mathieu Rigouste. Pour le chercheur, ce type d’armement vient se “greffer” à la panoplie d’armement des policiers. Il n’est pas utilisé en remplacement d’autres armes des forces de l'ordre mais s’y ajoute.

Les LBD posent aussi un problème éthique selon le collectif Désarmons-les. La nécessité de viser une personne en particulier, et non la foule dans son ensemble, pose problème. “C’est une philosophie discriminante qui cible une personne qui aurait commis quelque chose. La grenade disperse, le LBD punit”, résume Ian, l'un des fondateurs du collectif. La fonction même de l'arme est remise en cause, “il a pour objectif d’en blesser un pour terroriser les autres”.

Désescalade ou innovation

Si le constat de l’augmentation des violences est partagé par le Défenseur des droits, ou des ONG comme ACAT ou Amnesty, la solution du désarmement ne fait pas l’unanimité dans la police. “Le LBD m’a déjà sauvé les fesses”, soutient Nicolas D. Il rappelle d’ailleurs que l’utilisation de l’engin n’est pas anodine et reste très encadrée. Hors cas d’urgence, les tirs sont soumis à l’aval d'un superviseur. Il est d’ailleurs accompagné par l’usage d’une caméra censée assurer que le LBD est utilisé correctement. Une mesure qui rassure le syndicat.

“Ce n’est pas pour autant qu’on pourra un jour garantir zéro blessé, ce sont des armes qui peuvent blesser gravement et l'Etat doit assumer”

Pour les industriels, cette réduction des violences passe plutôt par l’innovation technologique. Lorsque Redcore SAS crée son propre LBD, le KANN 44, l'entreprise fait en sorte qu’il soit plus précis afin d’éviter les blessures. Autre produit développé par la firme, une boîte noire pour LBD qui permet à la fois d’enregistrer le son, l’image, les données GPS au moment du tir, mais aussi de rentrer certaines données de tir pour éviter de viser des zones dangereuses. “Par exemple on rentre comme information que viser le haut du corps est dangereux, si le policier vise à cet endroit, une lumière rouge s’allume. S’il vise le bas du corps, ce sera une lumière verte”, détaille Gaël Guillerm. “Ce n’est pas pour autant qu’on pourra un jour garantir zéro blessé, ce sont des armes qui peuvent blesser gravement et l'Etat doit assumer.”

Marion Guemas reste, elle, dubitative face à une solution qui n’envisage pas de réduire, voire de supprimer l’utilisation des LBD : “Se dire ‘les gens ne nous aiment pas donc on va continuer de leur tirer dessus avec des LBD’, je suis un peu sceptique sur les effets à long terme.” Pour elle, ces armes vont dans le sens d’une escalade de la violence qui ne s'arrêtera que par la bonne volonté des forces de l’ordre. “Le vrai enjeu est d’accepter que le retrait de certains équipements sera difficile pour les forces de l’ordre mais que sur le long terme ça mènera à une diminution des violences”, estime-t-elle avant d’ajouter que “la désescalade ne peut venir que des autorités”.

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SOURIEZ

Big Brother avance à petits pas

Géraud BOUVROT, Hadrien HUBERT et Emma STEVEN

Encadrée par le Règlement général sur la protection des données (RGPD), cette technologie est promue par des élus locaux et nationaux. Collectifs et institutions œuvrant pour les droits de l’homme s’inquiètent des risques de dérives.

Aujourd’hui, la police utilise la reconnaissance faciale pour identifier les personnes fichées dans le Traitement des antécédents judiciaires (TAJ). © Léna SÉVAUX

“Nice, première et unique ville de France à avoir testé la reconnaissance faciale dans l’espace public”, se targue la mairie par communiqué de presse. En février 2019, à l’occasion de son carnaval, la ville de Christian Estrosi (La France Audacieuse, ex-LR) a demandé à des volontaires de jouer le rôle de cobaye. “Sur Internet, sur le téléphone portable… Tout le monde l’utilise. Pourquoi ne pas l’utiliser au service de la sécurité ?”, argumente la municipalité.

Concrètement, “l’algorithme scannait le visage de tous les participants mais il ne gardait en mémoire que celui des volontaires de l’expérimentation”, assure un membre de la direction générale adjointe Proximité et sécurité à la métropole de Nice. Celui-ci affirme que l’expérimentation menée par la mairie effaçait toutes traces de ceux qui ne participaient pas au test. L’argument sécuritaire est plébiscité par la ville. Selon Christian Estrosi, cette technologie “met hors d’état de nuire des personnes qui ont commis des délits parfois extrêmement graves et protège nos concitoyens”.

“Cette technologie a réussi à distinguer deux jumeaux et à reconnaître une personne sur la base d’une photo vieille de quarante ans.”

Si les habitants ont pris l’habitude des milliers de caméras qui les scrutent — la ville en est dotée d’au moins une pour 145 habitants — peu ont accepté de se prêter à l’expérience. Pour pallier le manque de volontaires, la mairie s’est rabattue sur les agents de la ville et de la métropole, également présidée par Christian Estrosi. “Certains services tels que la collecte des déchets ont été fortement sollicités. De mémoire, elles ont reçu deux ou trois relances”, se rappelle Bernard Lucchetti, membre de la CGT-Nice Métropole Côte d’Azur (NMCA). D’après la mairie, une cinquantaine d’agents auraient finalement participé à l’expérience.

La CNIL veille au grain

La police municipale niçoise a estimé le taux de réussite à 98%. “Cette technologie a réussi à distinguer deux jumeaux et à reconnaître une personne sur la base d’une photo vieille de quarante ans. Tout cela nous fait dire que la reconnaissance faciale est mature, très performante”, détaille l’agent de la métropole de Nice. Un bilan jugé insuffisant par la CNIL qui a demandé des précisions. Le gendarme du respect de la vie privée a aussi déploré “l’urgence dans laquelle ses services ont été sollicités” par la municipalité de Nice.

Pour son expérimentation sur la voie publique, la ville a dû obtenir une autorisation spéciale de la Commission : une AIPD (analyse d'impact relative à la protection des données). Ce prérequis permet à la CNIL de s’assurer que l’expérimentation ne présente pas de risques d’atteinte à la vie privée ou aux libertés individuelles des volontaires. La mairie de Nice a finalement choisi de ne pas reconduire l’expérimentation : “Les contraintes imposées par la Commission nationale de l’informatique et des libertés (CNIL) sont trop importantes. Il faut une réglementation claire qui définisse les usages possibles de ces algorithmes”, fait-elle valoir.

En plus d’une expérimentation de reconnaissance faciale lors du carnaval en 2019, environ 3 500 caméras contrôlent la ville de Nice. © Léna SÉVAUX

La reconnaissance faciale est encadrée depuis 2018 par le Règlement général sur la protection des données (RGPD). Selon ce document, “le traitement [...] des données biométriques aux fins d'identifier une personne physique de manière unique [...] est interdit”. Ce texte protège les individus en interdisant la collecte d’informations personnelles à leur insu. La même année, le droit français s’est adapté au texte européen en actualisant la loi “Informatique et libertés” datant du 6 janvier 1978.

Pour le Défenseur des droits, ces gardes fous sont insuffisants. En 2021, il a publié un rapport sur les technologies biométriques où il s’inquiète des potentielles erreurs et des dérives discriminatoires. “Les conséquences de ces erreurs varient en fonction des usages et peuvent aller du refus d’accès physique à un lieu ou à un événement à une arrestation erronée par les forces de l’ordre”, relate le rapport.

Impliquer les citoyens

Si Nice est pionnière, plusieurs élus de la majorité se sont positionnés en faveur du développement de ces technologies en France. En mai dernier, le député des Yvelines, Didier Baichère (LREM) a déposé une “Proposition de loi d’expérimentation créant un cadre d’analyse scientifique et une consultation citoyenne sur les dispositifs de reconnaissance faciale par l’intelligence artificielle”. Il propose de multiplier les tests dans quatre domaines, dont celui du maintien de l’ordre. Sur son site internet, l’élu, qui travaille depuis plusieurs années sur ces questions, plaide pour l’adoption d’un cadre légal qui permettrait de mener des expérimentations. L’élu affirme vouloir “impliquer plus fortement les citoyens dans le débat”.

À l’approche de la Coupe du monde de rugby en 2023 et des Jeux olympiques de 2024 en France, cette technologie stimule l’intérêt sécuritaire de la majorité. Pour gérer la foule attendue lors de ces évènements, le député de la Loire, Jean-Michel Mis (LREM) propose “l’expérimentation locale en temps réel dans l’espace public [...] sur le modèle de l’expérimentation du carnaval de Nice”. Dans le rapport qu’il a rendu en septembre 2021 au premier ministre, l’élu estimait que ces tests permettraient de vérifier l’utilité et l’efficacité du dispositif avant de “décider d’un usage pérenne et de son encadrement”.

Le délégué interministériel aux Jeux olympiques et paralympiques, Michel Cadot, a finalement écarté l’idée d’une utilisation de la reconnaissance faciale pour les JO de 2024. “Cette solution ne fait pas consensus aujourd’hui. C’est un sujet qui nécessite du temps”, a précisé le délégué à l’occasion d’un débat organisé par Sciences Po Paris à la mi-octobre. Testée puis abandonnée à Nice, souhaitée par des élus de la majorité, recalée par la CNIL, le développement de la reconnaissance faciale est pour l’instant à l’arrêt.