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“On vaut quelque chose”

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Prostitués, acteurs porno ou webcameurs, certains travailleurs du sexe revendiquent un choix de vie atypique et indépendant. Ils voient dans leur travail une ressource financière et un rapport apaisé avec leur corps.

“Lorsqu’un mec sur Tinder m'a proposé de me payer, j'ai accepté. J'ai demandé au pif 60 euros pour des préliminaires, et ça a commencé comme ça.” Dans son col roulé rouge vif, Kyllian, 18 ans, décrit ses quelques mois de prostitution. Bien qu’il ait décidé de faire une pause, il explique avoir apprécié cette expérience : “Quand j'ai arrêté, c'était comme une descente de drogue, j'avais un manque.” Avec son allure androgyne, créoles aux oreilles et talons aux pieds, Kyllian raconte ses passes sans tabou. Son goût pour le business, sa facilité à couper les ponts, la distance qu’il a prise avec ses potes... L'ancien prostitué passe tout en revue, y compris ce qui a pu lui faire honte.

“C'est grâce à la prostitution que je me suis trouvé”

Il explique le réconfort qu'il procurait à ses clients : ils avaient besoin de se confier, alors il les écoutait sans s’en émouvoir. Vendre son corps lui a été utile car il ne supportait pas son physique avant de se prostituer : “C'est grâce à la prostitution que je me suis trouvé. On se sent désiré, on vaut quelque chose, ça a amélioré l’image que j’ai de mon corps car j’étais très complexé, et même anorexique à une époque. Aujourd'hui, je me sens mieux dans ma peau, la prostitution m’a aidé.”

image2 Kyllian s’est prostitué sur une application de rencontres pendant plusieurs mois. Photo Emma Conquet / Cuej

Comme Kyllian, des personnes prostituées indépendantes se disent épanouies dans leur travail. Ce discours détonne alors que la France a adopté en 2016 une loi pénalisant les clients de la prostitution. À Chambéry (Savoie), Cybèle Lespérance se prostitue depuis six ans via son site web. Elle fait notamment de l’accompagnement sexuel pour les personnes en situation de handicap.

Cette Canadienne de 38 ans défend un point de vue aux antipodes de la conception victimaire généralement accolée aux prostitués : “L'image de nos pauvres corps meurtris et pénétrés, comme des syndromes post-traumatiques sur pattes, ça pose vraiment problème. Je constate juste que mon activité ne me rend pas malade, je me sens même revivre en faisant ça, car je n'ai plus à chercher un boulot pour subvenir à mes besoins. J'ai maintenant du temps pour prendre soin de moi et de mon corps.”

Un travail lucratif

Cybèle est auto-entrepreneuse, comme beaucoup de travailleurs du sexe indépendants. Elle bénéficie de la souplesse de ce statut pour s'organiser comme elle le souhaite et paye des cotisations sociales. Elle déclare ses revenus à l’administration en s'inscrivant dans la catégorie “Autres services à la personne.” Avec trois ou quatre clients par semaine lorsqu’elle travaille bien, la Chambérienne dispose de moments libres pendant lesquels elle soigne des problèmes de santé de longue date, non liés à son activité.

image2 Cybèle Lespérance est escort et accompagnante sexuelle. Document remis

Elle tarife ses prestations 200 euros l'heure, voire jusqu’à 320 euros pour ses clients handicapés, et dégage entre 1 500 à 2 000 euros de revenus mensuels. Des sommes standards pour la prostitution par Internet (escorting) et généralement plus alléchantes que celles des offres affichées à Pôle emploi. Selon une étude du Mouvement du nid, les personnes prostituées seraient 62 % à être dorénavant sur le web car les tarifs y sont plus élevés que pour la prostitution de rue, où une passe excède rarement les 100 euros.

Un sentiment d’invincibilité

Sur le site Cam4.fr, le webcameur français Thony Grey ne se prostitue pas mais propose des shows payants chaque soir, et il assume de très bien gagner sa vie en se masturbant devant l'écran. Des sommes impressionnantes, parfois plusieurs centaines d’euros par jour. “À 18 ans, je voulais me payer des affaires coûteuses, il m’en fallait toujours plus et je n’en avais pas les moyens. Ma mère m’a dit d’aller travailler, alors j’ai trouvé ce travail pas si horrible.” S’il admet une certaine solitude, le jeune Tropézien de 21 ans se sent “bien plus heureux” qu'avant : “J'ai maintenant un sentiment d'invincibilité, comme si rien ne pouvait m'atteindre au niveau de mon image, et je sais mieux qui je suis.” Le garçon envisage à présent de se lancer dans le porno.

image2 Thony Grey gagne bien sa vie grâce à ses exhibitions devant sa webcam. Document remis

L'industrie du X justement, un milieu fantasmé, souvent dénigré. Les actrices sont mieux payées que les acteurs, du simple au double, 300 euros la scène en moyenne pour des actrices de second rang selon le producteur Fred Coppula. Clara fait ce métier depuis plus d'un an, et c’est par “défi” qu’elle s’y est lancée à 33 ans : “Je me suis dit que ça m'aiderait à m'assumer car en pointant tous mes défauts, la caméra me force à m'accepter. Je manquais énormément de confiance en moi, j'avais essayé plein de moyens, comme le développement personnel, et rien n’a marché. C'est finalement le porno qui m’a aidée, avec notamment tous les compliments que l’on reçoit. Et puis ça m'a permis d'apprécier de nouvelles pratiques sexuelles, ça compte aussi.”

Sortir d’une difficulté financière ou psychologique, trouver une reconnaissance, une estime de soi, ces travailleurs du sexe vivent leur activité comme une alternative pour combler un manque. Une adaptation à la réalité, en quelque sorte.

Jonathan Trullard