© Corentin Chabot & Julien Rossignol

En France, près de deux millions d’animaux de compagnie meurent chaque année. Souvent considérés par leurs maîtres comme de véritables membres de la famille, leur décès représente une épreuve. Pour certains, surmonter le deuil est difficile en raison du regard de la société. 

Par Corentin Chabot & Julien Rossignol

Un buste de cheval entouré d’un chat, d’un chien, d’un singe et d’une colombe. La sculpture en bronze, haute de deux mètres, trône sur le parvis du Cimetière des Chiens d’Asnières-sur-Seine (92). L’œuvre intitulée Alter Ego rend hommage au lien qui unit les hommes aux animaux. Derrière elle, se dressent les grilles d’un des plus anciens cimetières animaliers du monde. Ouvert en 1896, il abrite aujourd’hui plus de 800 sépultures. «Il comporte 2 800 places. Les concessions sont régulièrement renouvelées. Depuis sa création, plus de 100 000 animaux ont été enterrés ici », explique Hervé Grapin, régisseur du cimetière. Sculptures et stèles commémoratives illustrent le besoin qu’éprouvent les humains de faire leur deuil à la disparition de leur animal de compagnie. Une mort qui peut être vécue comme un traumatisme, comparable à la perte d’un proche ou d’un membre de la famille. 

Une relation dévorante

première image cimetière.jpg Tous les jours, des maîtres endeuillés font le déplacement jusqu'à la tombe de leur animal. © Julien Rossignol

Dans une allée secondaire du cimetière, Wassila se recueille devant la tombe de sa chienne : « Je l’ai enterrée il y a presque un mois, elle s’appelait Norvège. C’est compliqué d’en parler autour de soi. Pour comprendre ma douleur, il faut aimer les animaux. »  Chaque jour, cette informaticienne de 47 ans marche jusqu’au cimetière : « Je lui dépose un bisou et je lui rappelle que je l’aimerai toute ma vie » , souffle-t-elle. À ses pieds, une tombe en granit recouverte de bouquets de roses qui cachent un cadre doré. En son centre, la photo de Norvège, un yorkshire noir et marron. La chienne est morte d’une insuffisance rénale, à 13 ans : « Ça s’est fait naturellement. Je n’aurais pas pu la faire piquer. Je la respecte tellement, je ne pouvais pas », affirme la Parisienne. La douleur est encore vive. Une semaine auparavant, Wassila était encore incapable de parler du décès de son yorkshire : « C’était très compliqué. Je n’arrive pas à faire mon deuil, pour moi elle n’est pas encore morte. Je ne suis pas mariée. C’est l’enfant que je n’ai jamais eu. Jusqu’à maintenant, elle était tout pour moi. »

Paul Le Guen

Reportage au Cimetière pour Chiens d'Asnières-sur-Seine.

Ce vide, Déborah, 41 ans, l’a aussi ressenti à la mort de son chat Song en mars 2021 : « Je me suis effondrée, c’était vraiment la fin du monde. Avec mon mari, nous n’arrivons pas à avoir d’enfants donc nous avons un lien très particulier avec nos animaux. » Un an plus tard, l’émotion est toujours présente. « Il ne nous lâchait pas. On était en symbiose maximum, se souvient-elle. Après sa mort, c'était le vide abyssal. Chaque endroit de la maison qui lui appartenait était vide. Mon cœur était vide. » Pour définir le lien qui l’unissait à son chat, Déborah n’hésite pas : « Intensité. Le mot c’est intensité. »

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Paul Le Guen

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Diego, maître de Dydo, nous raconte son deuil.

La douleur que ressentent les propriétaires d’animaux reste souvent incomprise quand elle ne fait pas simplement l’objet d’un déni. « Ce n’est qu’un animal, ce n’est pas la fin du monde. » Cette phrase rabaissante, ils l’entendent régulièrement lorsqu’ils expriment leur souffrance. Quand Song est décédé, Déborah a notamment pu compter sur le soutien de ses proches. Mais elle a mal vécu le regard porté par ses collègues sur ses émotions : « Au même moment, la fille d’une collègue, âgée d’une vingtaine d’années, est décédée dans des conditions extrêmement difficiles. Alors on me disait “Elle, c’est pire”. »

Un deuil comme les autres 

Pourtant, selon Chantal Chiarotto, psychothérapeute spécialiste du deuil animalier, ce dernier suit le même processus que celui éprouvé lors de la perte d’un humain. Il faut traverser le déni, la colère, la tristesse et la résignation avant d’atteindre l'acceptation. Mais exprimer sa détresse lors du décès d’un animal fait souvent l’objet de dénigrements. En France, selon le ministère de l’Agriculture, un foyer sur deux possède un animal de compagnie. S’il est difficile de quantifier le nombre de maîtres désemparés par cette perte, leur douleur, elle, est bien réelle.

Pour Déborah, hiérarchiser le deuil ne fait pas sens. « Chacun le vit à sa manière. Certains peuvent vous dire qu’ils ont perdu leur mère sans chagrin car ils n’étaient pas proches. Et d’un autre côté vous dire qu’ils ont été dévastés par la mort de leur chien, souligne-t-elle. Dans l’acceptable collectif, on dit l’humain d’abord. Mais chacun a sa propre perception du deuil. » 

Delphine est encadrante de groupes de paroles de personnes endeuillées au sein de l’association nancéienne Deuil Espoir. Celle qui a accompagné Déborah à la mort de Song regrette que la distinction entre deuil humain et animalier persiste : « Les personnes affectées n’osent pas en parler de peur de heurter des gens qui ont perdu un être cher : un frère, un conjoint, un enfant. Surtout ceux qui n’ont jamais eu de lien particulier avec un animal. » Depuis un an et demi, Delphine n’a été sollicitée qu’à cinq reprises, par téléphone, pour accompagner des maîtres désemparés. Cette faible demande traduit-elle un phénomène marginal ou un tabou qui empêche de franchir le pas ?

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Paul Le Guen

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Delphine, accompagnatrice bénévole à l'association Deuil Espoir.

Ce silence s’invite jusque dans les cliniques vétérinaires, où les propriétaires d’animaux souffrants peuvent avoir à prendre la décision de les euthanasier. Ce choix peut exacerber leur culpabilité. De plus, la plupart des vétérinaires ne proposent ni soutien, ni accompagnement. Ils ne réorientent pas les maîtres les plus affectés vers des spécialistes. « Les gens se sentent responsables, ont honte de pleurer et n’osent pas consulter », déplore Chantal Chiarotto. Des propos confirmés par l’expérience de Déborah. Elle aurait aimé garder les cendres de son chat, pouvoir créer un espace en sa mémoire dans son jardin. « C’était très important pour moi. Mais chez le vétérinaire, on ne m’a pas laissé la possibilité de les récupérer. J’ai été choquée d’être aussi mal reçue », regrette-t-elle.

Se faire accompagner pour accepter

Verbaliser ses émotions. Soigner le dernier au revoir à son animal. Créer un lieu de recueillement. Selon les spécialistes, ces étapes peuvent être décisives pour surmonter la perte.

Une partie des patients de Chantal Chiarotto la consultent après la mort de leur animal. Parmi eux, certains vivent des « deuils émergents » qui font remonter à la surface des blessures anciennes ou ravivent des deuils qui n’ont pas été faits. Pour permettre à ceux qui n’ont pas les moyens de se payer une consultation, Chantal Chiarotto a fondé une association, en 2019, Entraide anima-deuil. Avec une ligne d’écoute gratuite, son oreille attentive permet de soulager les personnes désemparées. « Je les oriente vers un psy, un docteur, une association », précise-t-elle. Delphine fait aussi ce travail pour son association : « Ceux qui nous sollicitent ont besoin de parler, de décrire leur animal, la relation qu’ils entretenaient avec lui. Ils ont besoin d’évoquer leur détresse. C’est souvent le seul endroit où ils peuvent le faire sans être jugés. »

dernière image deuil.jpg La plupart des tombes, comme celle de Tootsie, sont fleuries toute l'année. © Corentin Chabot

Dans ce deuil, la question des obsèques se pose. Les propriétaires d’animaux expriment souvent le désir de pouvoir se recueillir. « Cela fait partie du rituel », estime Chantal Chiarotto. C’est pourquoi Delphine Simon-Dumarchat a créé en 2019, Le sanctuaire des quatre pattes. Son entreprise vend des articles funéraires pour animaux. Elle commercialise des cercueils, des urnes, des plaques commémoratives qu’elle fabrique elle-même. Que ce soit pour leurs chats, chiens, lapins, cochons d’inde, hamsters, tortues, oiseaux, les personnes endeuillées ont à cœur de leur offrir une fin digne. Elle propose même l'animation de cérémonies funéraires. « Ça fonctionne comme pour les humains. On diffuse des photos de l’animal sur un support vidéo, on affiche des citations. La cérémonie se passe directement au cimetière ou au domicile de la famille », explique-t-elle.

Les cimetières animaliers tels que celui d’Asnières-sur-Seine offrent cet espace de recueillement primordial au processus de deuil. Wassila s’y rend tous les jours depuis le 18 novembre 2022, date d’enterrement de sa chienne Norvège : « J’arrose et renouvelle les fleurs de sa tombe. Je la pouponne, c’est comme si elle était encore en vie. »

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