© Émilie Autin

Pour les antispécistes, ne plus manger de produits d’origine animale ou promouvoir le bien-être dans les élevages ne suffit pas. Il faut surtout arrêter toute exploitation des individus sentients et leur accorder le même respect qu’aux êtres humains.

Par Émilie Autin

Vivre au milieu des animaux, dans un respect total : c’est le quotidien de Geneviève qui nous a ouvert les portes de sa ferme.

© Émilie Autin

Geneviève gère un sanctuaire pour animaux d’abattoirs et animaux de compagnie abandonnés. « Carniste » jusque dans les années 2010, elle est aujourd’hui végane et antispéciste. Son cheminement personnel l’a d’abord amenée à se questionner sur le bien-être animal, puis sur la domination humaine sur les autres êtres vivants.

Petit lexique antispéciste :

Tiré de l’ouvrage La Révolution Antispéciste, de Thomas Lepeltier Yves Bonnardel et Pierre Sigler, paru en 2018 aux Presses universitaires de France (PUF).

Spécisme : Discrimination d'individus fondée sur le critère de l'espèce. Un jugement de valeur, d’utilité, est opéré sur la base de l’espèce de l’individu.
« Concrètement, cela veut dire que vous êtes spéciste si, pour la simple raison qu’ils ne sont pas humains, vous estimez que des animaux peuvent être exploités et tués pour votre consommation ou vos loisirs. » (page 13)

Antispécisme : Une éthique antispéciste accorde une considération égale aux intérêts de tous les êtres qui éprouvent des sensations, qui sont sensibles à la douleur et au plaisir.
« L’antispécisme est donc l’idée selon laquelle l’espèce n’est pas un critère pertinent de considération morale. Il faut prendre en compte l’intérêt (ou les droits) des individus, quelle que soit leur espèce. » (page 14)

Sentience : Pour un être vivant, capacité à ressentir les émotions, la douleur, le bien-être, etc, et à percevoir de façon subjective son environnement et ses expériences de vie.
« Le mot sentience (du latin sentiens, ‘’qui ressent’’) est un synonyme du mot conscience (…) ; il met l’accent sur une caractéristique fondamentale des expériences conscientes, leur valeur. La douleur et la souffrance sont négatives, mauvaises ; le plaisir et le bonheur sont positifs, bons. » (page 47)

Pour leurs détracteurs, les antispécistes sont des extrémistes prônant le droit de vote des baleines ou la possibilité de se marier aux poules. Loin de ces caricatures, la littérature antispéciste est pourtant claire : « L’antispécisme n’implique pas une égalité de traitement de tous les animaux puisque cela n’aurait aucun sens, mais une égalité de considération. Celle-ci signifie que deux intérêts semblables doivent compter autant, quels que soient les êtres qui ont ces intérêts. Par exemple, deux douleurs égales comptent autant quelle que soit l’espèce ou le sexe de ceux qui souffrent. » (La Révolution Antispéciste, 2018, page 15). Les antispécistes luttent pour le droit à une vie paisible pour tous les êtres sentients.

Se battre pour des êtres sans voix

Le mouvement antispéciste français prend aujourd’hui de l’ampleur et s’invite parfois jusque sur les plateaux télévisés. Sous un même mot se cache pourtant une galerie d’activistes et des modes d’action très différents, allant d’initiatives personnelles, locales et discrètes, comme celle de Geneviève, à des happenings dans l’espace public, et parfois d’actions illégales.

Emilie 2.jpg L'espace public est investi pour toutes les causes, même les antispécistes. © Émilie Autin

L214, 269 Life France, ou encore Animal Rebellion interpellent de façon spectaculaire l’opinion publique quasiment tous les mois. Par exemple, en octobre 2022, L214 publiait une vidéo montrant les conditions de vie désastreuses dans un élevage de chèvres dont le lait servait à la confection de fromages. Face au tollé médiatique, les grandes surfaces qui en distribuaient les produits avaient suspendu leurs commandes. Dans un autre registre, 269 Life France interpellait les passants à Strasbourg en mai 2022 : militants recouverts de faux sang, poupons et fœtus en plastiques au sol, cris d’animaux diffusés ; l’action avait fait les gros titres de la presse locale.

L’invention de l’antispécisme

Si les activistes semblent en majorité jeunes, leurs préceptes sont issus d’un mouvement de pensée plus ancien. En 1975, Peter Singer, un philosophe australien, publie Libération Animale. Traduit en français en 2012, l’ouvrage devient dès sa sortie un texte de référence chez les activistes de la cause animale. C’est aussi dans ce livre que Peter Singer crée le mot antispécisme, en écho au sexisme et au racisme.

En France, quelques intellectuels s’emparent du terme et des considérations éthiques de Singer. Le mouvement se structure en 1991 autour d’une revue : les Cahiers antispécistes. La sentience des poissons, la vie intérieure des plantes et l’hégémonie humaine sur le règne animal : autant de questionnements abordés par la revue. Les antispécistes plaident l’arrêt de toute exploitation animale et placent tous les êtres sentients sur un pied d’égalité.

Au sanctuaire des animaux

En 50 ans, le mouvement a gagné en notoriété et en importance. Cependant, difficile d’estimer précisément le nombre de personnes qui se réclament de l’antispécisme en France ou qui en appliquent les principes. Les associations comme L214 ou 269 Life revendiquent des milliers d’adhérents, leurs pages sur les réseaux sociaux sont suivies par des milliers de personnes. Suivre une page Facebook ne veut cependant pas dire être en parfait accord avec les valeurs qui y sont promues.

Image Emilie1.jpg Mumine vit avec ses amis Codichon l'âne et Stella le poney. © Émilie Autin

Certaines personnes appliquent aussi à l’échelle individuelle les préceptes du mouvement. Sauver un animal est déjà un pas dans la bonne direction juge Geneviève. Mumine, la vache qu’elle a sauvée, lui a été confiée par un agriculteur voisin. Stérile, elle ne pouvait pas produire de lait, une vache inutile pour l’agriculteur. Au sanctuaire, elle coule maintenant des jours heureux, avec tous les autres animaux qui y ont enfin trouvé leur place.

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