© Léo Bagage & Pierre-Mickaël Carniel

Bœuf bourguignon, pot-au-feu, cassoulet… En France, la cuisine végétale peine à se faire une place parmi les plats traditionnels, quasiment tous à base de viande. À deux époques différentes, Jean Montagard et Claire Vallée ont pris le contrepied en ouvrant des restaurants végétarien et végétalien. Ils reviennent sur leur parcours et proposent des solutions pour une meilleure reconnaissance de cette cuisine. 

Par Léo Bagage & Pierre-Mickaël Carniel

Les traditions culinaires, avec ou sans viande, prochain dilemme pour les tables françaises.

Pierre-Mickaël Carniel & Léo Bagage

Semer les graines d'une cuisine nouvelle

« On était associés à une secte », se souvient Jean Montagard, pionnier de la cuisine végétarienne en France. En 1978, il ouvre l’Artisan gourmand, à Menton (06). Il devient alors le premier chef à proposer un menu exclusivement végétarien dans un restaurant français, et doit faire face aux réticences de l’époque : « Il y avait une association de diététiciennes à Nice qui n’admettait pas qu’un repas puisse se faire sans poisson ou sans viande. J’ai eu l’occasion d’y retourner quinze ans après. La mentalité avait déjà changé. » Quarante ans plus tard, la transition vers une alimentation plus responsable reste lente selon la cheffe Claire Vallée. En 2016, à Arès (33), elle ouvre le restaurant végan ONA (Origine non animale) grâce à une campagne de financement participatif. « Les banques ne croyaient pas en moi, je n’avais pas d’argent, ça a été très compliqué. » Cinq ans plus tard, elle voit ses efforts récompensés : ONA reçoit une étoile Michelin. Une première pour un restaurant végan en France. Malgré cette distinction, Claire Vallée n’a jamais voulu employer le terme végan dans sa communication : « Ici, ce mot est mal perçu. C’est différent dans le monde anglo-saxon par exemple. La France est vraiment en retard. »

Inspiration étrangère

« Un chef, c’est un artiste, il se nourrit toute sa vie. Moi, c’est par les voyages. » Pour Claire Vallée, le déclic a lieu en Thaïlande, en 2012. Lors de son séjour, elle se familiarise avec la cuisine d’influence bouddhiste, principalement végétarienne et végétalienne. « Quand je suis rentrée en France, je me suis dit que ce n’était plus possible de travailler comme ça. Il y a beaucoup de pays où le végétal est plus développé, comme en Corée, où je viens d’aller. » À la fin des années 1970, en quête d’innovation, Jean Montagard rencontre des disciples de Lanza del Vasto. Les préceptes du philosophe italien, lui-même ancien disciple de Gandhi, avec qui il partage le végétarisme, bouleversent son rapport au métier. « Étant un ancien élève du lycée hôtelier de Nice, j’ai été formé à une cuisine très classique, une cuisine d’Escoffier. En découvrant cette pratique, j’ai trouvé un moyen d’apporter de la diversité et de la créativité dans la cuisine. » Le chef déplore un manque d’imagination quant à la manière de cuisiner le végétal en France. Dans l’un de ses livres, il sélectionne six légumes par saison qu’il décline en dix recettes par légume. « J’ai des amis qui me disaient : “Mais qu’est-ce que je peux faire avec le concombre ?” Pour beaucoup de gens, le concombre se mange uniquement cru, en salade, alors que dans la cuisine d’Europe centrale, c’est très courant de le cuisiner, de le farcir. » 

Nécessité écologique et démocratisation

Photo article @Tchac.jpg Claire Vallée développe la cuisine végétale en Gironde, terre de chasse et d’ostréiculture. © Tchac

Démocratiser la cuisine végétale, Claire Vallée en a fait son cheval de bataille. Depuis la vente de son restaurant en novembre 2022, elle est devenue consultante auprès de restaurants soucieux de développer cette pratique : « Le but, dans ma vie, ce n’est pas d’avoir un ego de cheffe et de faire ma cuisine dans mon petit restaurant. Je veux aller un peu plus loin. » Son ambition est en grande partie portée par l’urgence climatique : « On sait que dans quelques années, ça va être irrespirable. J’espère que l’humain réussira au moins à réduire sa consommation de viande. Il faut qu’on prenne conscience qu’on n’aura pas de deuxième planète. »  Elle y voit aussi un moyen de redynamiser le marché de la restauration : « On a perdu 500 000 postes dans le secteur qu’on n’arrive pas à renouveler. Il va falloir remotiver les gens, leur donner envie. Pour ça il faut aussi qu’on revoit la restauration pure et dure, qui est très militaire, institutionnelle et traditionnelle, vers quelque chose qui apporte du sens. C'est aussi ça, mon travail, trouver des solutions pour l’avenir. » Jean Montagard, lui, choisit de miser sur les écoles : « Je pense que chez les jeunes, il y a une très grande prise de conscience qu’il faut limiter sa consommation de viande. » Par le passé, il était parvenu à créer une formation de cuisine végétarienne au sein du lycée hôtelier de Nice. Désormais président des anciens élèves de l’établissement, le chef a remis le couvert : « Je suis en train de travailler pour ouvrir une mention complémentaire cuisine végétarienne au niveau des BTS. J’ai des demandes de différentes académies, d’anciens collègues ou même d’administrations qui souhaitent avoir quelques écrits sur la cuisine végétarienne. » 

« Un monde infini à découvrir »

Selon Jean Montagard, la restauration française se démarque par la richesse et la diversité de ses plats. « C’est l’ensemble des régions qui fait le champ de notre cuisine. Dans les autres pays européens, on retrouve aussi ce mélange mais il est encore plus significatif en France. » Rien d’incompatible avec la cuisine végétale, que Claire Vallée décrit comme « un monde infini à découvrir ». Au pays de la gastronomie, il s’agit de lui faire un petit peu plus de place dans l’assiette.

Léo Bagage & Pierre-Mickaël Carniel

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