Titre reportage

/ Martin Greenacre

Nourrir la population, pallier le manque de main-d’œuvre, limiter les produits chimiques : les chercheurs misent sur la robotique pour répondre aux défis actuels de l’agriculture.

Le temple de la robotisation agricole

Les Pays-Bas sont à la pointe de l’innovation agricole en Europe. Entreprises et chercheurs ont dévoilé leurs nouvelles technologies au salon AgriFoodTech, à Bois-le-Duc, au sud du pays.

Des drones survolent la salle sous le regard curieux des passants. De chaque côté des allées, tracteurs, imprimantes 3D et robots sont présentés aux visiteurs. Pendant deux jours, le hall d’exposition de Bois-le-Duc, aux Pays-Bas, s’est transformé en salon technologique. Les 12 et 13 décembre, près de 140 entreprises et laboratoires sont venus présenter leurs avancées au salon AgriFoodTech. Les Pays-Bas, l’une des principales puissances agricoles européennes, sont à la pointe de la recherche dans le secteur.

L’université de Wageningen est un centre de référence en Europe dans la recherche agricole. En son sein, 65 chercheurs travaillent spécifiquement sur la robotique. Ils présentent leurs dernières trouvailles sur leur stand. Le produit vedette : le sweet pepper harvesting robot (Sweeper). Ce robot est capable de cueillir de manière autonome des poivrons dans des serres.  À terme, ses créateurs espèrent pouvoir l’adapter à tous les fruits et légumes.

Sweeper, le robot cueilleur de poivrons

Marine Chaize

Le robot a été financé à 90% par le fonds européen de soutien à la recherche Horizon 2020. Les entreprises privées investissent également dans la recherche. C’est le cas de la société belge Bogaerts, qui a fourni la machine sur laquelle les chercheurs de Wageningen ont implanté le bras automatisé du robot Sweeper. « Nous développons les outils et les idées, et à la fin, les entreprises lancent les technologies à une échelle plus importante », explique Rick van de Zedde, scientifique à l’université de Wageningen.

Dans le secteur laitier, la technologie assiste les agriculteurs depuis longtemps. Dès 1992, l’entreprise néerlandaise Lely met au point Astronaut, le premier robot de traite commercialisé. Depuis, ces machines connaissent un développement important, mais inégal. Aux Pays-Bas, l’un des pays les plus robotisés, 22 % des exploitations ont automatisé la traite. En France, elles n’étaient que 9 % en 2016.  C’est cependant cinq fois plus qu’en 2007. Dans des pays comme la Pologne ou la Roumanie, le phénomène reste très peu développé. « La différence est importante. En Europe de l’Est, l’adoption des robots de traite est beaucoup plus faible. C’est en train d’augmenter, mais les cycles d’investissement sont lents », explique le service marketing de Lely.

En Belgique, des robots pour nourrir et traire les vaches

Marine Chaize

Des métiers plus qualifiés et moins physiques

Si l’Union européenne et les entreprises misent sur la robotique, c’est qu’elle apparaît comme une solution face aux défis actuels de l’agriculture, principalement la pénurie de main-d’œuvre. « Les producteurs ont un gros problème pour trouver du personnel pour travailler dans les serres. Certains aimeraient avoir un robot pour effectuer ce travail », explique Jos Balendonck, chercheur à l’université de Wageningen.

D’autres y voient une opportunité de développer des métiers plus qualifiés, moins physiques. « Dans le futur, il y aura probablement moins de travailleurs dans les champs, mais davantage d’experts dans la numérique qui contrôlent la ferme prédit Fabio Boscaleri, le coordinateur d’ERIAFF, un réseau informel de régions européennes favorisant l’innovation. Certaines exploitations emploient déjà des pilotes de drones. »

« Arrêter de pulvériser du poison dans les champs »

Autre objectif, réduire l’usage de produits chimiques. Plusieurs start-up travaillent en Europe sur le développement de robots désherbants. Parmi elles, Odd.Bot, venue présenter sa dernière machine au salon AgriFoodTech. Equipée d’un logiciel et d’une caméra, elle repère les mauvaises herbes, les distingue des plants de culture et peut les enlever mécaniquement. « L'idée est d'arrêter d’employer des machines qui utilisent des herbicides et qui pulvérisent du poison dans les champs », explique Martijn Lukaart, le co-créateur de la machine.

L’agriculture de précision permet aussi de réduire la consommation d’eau. Jacob van den Borne cultive des pommes de terre aux Pays-Bas. Pionnier dans l’usage des technologies, il vient présenter ses méthodes devant un parterre d’agriculteurs. Parmi ses outils, des capteurs placés sur des tracteurs et des drones pour scanner les sols. Les données permettent de déterminer précisément les besoins des plantes, de prévenir la déshydratation et les maladies. « Les capteurs et les informations sur l’eau permettent de réduire de 20 % le taux d’engrais et de 15 % l’eau nécessaire pour produire une tonne de pommes de terre. Nous rendons l’eau plus efficace, détaille Jacob van den Borne. Chaque année, notre productivité augmente de 1 %. »

Des investissements très élevés

Si la robotique est parfois présentée comme une solution miracle, les recherches sont loin d’être abouties. De nombreux robots restent à l’état de prototypes non commercialisables. Des recherches sont encore nécessaires pour les rendre suffisamment efficaces et rentables. Lors d’une série de tests, le Sweeper s’est montré capable de cueillir 18 % des poivrons mûrs dans la serre. Un « grand pas en avant », se félicite le chercheur Jos Balendonck. Un grand pas, mais insuffisant pour remplacer la main-d'œuvre : « Pour être économiquement viable, le robot doit être capable de cueillir le légume en moins de 10 secondes, et doit pouvoir ramasser au moins 50 % des poivrons de la serre. »

Les réserves sont aussi importantes du côté des agriculteurs. La robotisation implique un changement de modèle économique et de lourds investissements. Jacob van den Borne, a dû financer lui-même ses premières technologies, sans aides européennes ni nationales. Le coût s’est élevé à près de 500 000 euros. Un pari que tous les agriculteurs ne peuvent pas se permettre.

Marine Chaize et Martin Greenacre, en Belgique et aux Pays-Bas

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