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Une Europe divisée devant la réforme du droit d'asile


12 mai 2016

La Commission européenne a présenté, mercredi 11 mai devant le Parlement européen ses conclusions sur la réforme du droit d’asile commun. Alors que l’Europe est en pleine crise migratoire, cette réforme a suscité de nombreuses contestations.

« Nous connaissons les points faibles de notre système ». Dimitris Avramopoulos, a reconnu les failles du régime européen de droit d’asile, mercredi 11 mai, devant le Parlement européen à Strasbourg. Le commissaire européen pour la migration était venu défendre le projet de la Commission sur la réforme du droit d’asile.

« Rendre plus solidaire » le règlement de Dublin est la proposition phare présentée aux députés. Signée en 1990 et réformé en 2003 et 2013, ce règlement détermine les compétences de chaque Etat membre en matière d’asile. Mais depuis plusieurs mois, l’Europe fait face à la plus grande vague de réfugiés depuis 30 ans. En Grêce, la barre symbolique des 500 000 migrants a ainsi été dépassée en octobre 2015. Dans ce contexte, certains pays remettent aujourd'hui en cause le principe du « premier pays d’arrivée » prévu par le règlement de Dublin. Selon cette règle, le premier pays où a été formulée la demande d'asile doit obligatoirement être celui dans lequel le demandeur résidera. Un système qui n’avait pas été pensé pour faire face à des flux migratoires d'une grande ampleur.

Des inégalités de répartition

La Commission européenne souhaite réformer le réglement. Le principe du « premier pays d’arrivée » est conservé. Mais Bruxelles prévoit un « mécanisme automatique de relocalisation ». Au regard de critères tels que la taille, le PIB ou le taux de chômage, les Etats membres devraient se répartir les demandeurs des pays qui accueillent un nombre disproportionné de demandeurs d’asile. Si un pays refuse de se plier à cette règle, il devra, en échange, verser à l’UE une « solidarité financière » de 250 000 euros par demandeur d’asile.

Sur le terrain, l'urgence est réelle. Les points faibles du règlement de Dublin sont vivement critiqués par les associations venant en aide aux demandeurs d’asile. A Strasbourg, le Casas (Collectif pour l'accueil des solliciteurs d'asile de Strasbourg), s’occupe de l’accueil et de l’accompagnement juridique des réfugiés arrivant dans la ville. Pascale Guarino, directrice de l’association, estime que le règlement européen n’est pas « équitable » et « qu’il faudrait une manière d’harmoniser tout cela ».

Même si l’association apporte une aide juridique aux réfugiés, la directrice de Casas regrette que les demandeurs d'asile n’obtiennent pas souvent gain de cause. Elle constate que des familles se retrouvent séparées. Certains sont renvoyés dans le pays où ils ont effectué leur première demande lorsqu’ils sont contrôlés.

A Bruxelles, la Commission souhaite améliorer le système Eurodac, une base de données de reconnaissance des empreintes digitales. Son renforcement permettra une meilleure lutte contre l’immigration illégale au sein de l’UE. La Commission envisage aussi de créer une « véritable agence » de l’UE pour l’asile, qui serait chargée de gérer le nouveau mécanisme de relocalisation.

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Une réforme pas assez ambitieuse selon le Parlement

Au Parlement européen, mercredi, durant un débat qui a duré plus de deux heures, les différents groupes politiques ont émis des avis divergents face aux propositions de la Commission. Si le PPE était en accord avec Dimitris Avramopoulos, la majorité de l’hémicycle espérait une réforme beaucoup plus ambitieuse.

1. Le centre-droit favorable

La majorité des députés du Parti populaire européen ont approuvé le renforcement du système Eurodac ainsi que la création d'une agence de l’Union européenne pour l’asile. La député grecque Elissavet Vozemberg-Vrionidi a affirmé que « sur les 6000 dernières demandes, seules 89 ont été traitées. La réforme est donc incontournable ! ». « C’est un pas en avant pour le principe de solidarité », a quant à lui estimé l’Italien Salvatore Domenico Pogliese.

2. La gauche et le centre mitigés

« Nous ne devons pas nous contenter de demi-mesures », a affirmé la Bulgare Filiz Hyusmenova (ADLE). La plupart des eurodéputés attendait une réforme plus ambitieuse de la part de Dimitris Avramopoulos. Les partis du centre et de la gauche, S&D en tête, ont mis en avant l’inefficacité du système de Dublin. Cornelia Ernst (GUE) a dénoncé que « l’accueil des migrants se fasse par des formules mathématiques : ce ne sont pas des sacs de pommes de terre mais des êtres humains ». 

3. Les conservateurs et nationalistes opposés

L’ECR et l’ENF étaient fermement opposés à la présentation de la Commission, mais pour des raisons divergentes. L’ECR, troisième groupe politique du Parlement, affirme que l’Europe n’est pas prête actuellement à réformer le droit d'asile. La Finnoise Jussi Halla-Aho (ECR) préconise de prendre exemple sur l’Australie qui n’accepte plus de demandeurs d’asile depuis plus de 18 mois. Pour le groupe ENF, la gestion des demandeurs d’asile doit se faire à l’échelle nationale et non-européenne.

Une fracture politique et nationale

Il existe également des fractures nationales internes au sein des groupes politiques. Plusieurs pays d'Europe centrale, dont la Hongrie, la République Tchèque et la Pologne ont même menacé de saisir la Cour de justice de l’UE si le mécanisme de relocalisation entrait en vigueur. Robert Fico, le président du gouvernement slovaque, a également déclaré qu’il s’opposait à ce système de redistribution et qu’il ne laisserait « jamais entrer un seul immigré musulman » dans son pays.

En réponse, le Commissaire Dimitris Avramopoulos estime que « le statu quo n’est pas une option ». Même s’il juge que le régime commun européen d’asile est « la condition sine qua non d’un espace européen sans frontière », un compromis entre tous les Etats-membre semble encore loin d’être acquis.

 

Tamouna Dadiani & Antoine Defives 

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