12 mai 2016
Alors que s'achève la session plénière du Parlement, les députés se sont prononcés jeudi 12 mai en faveur d’un texte qui oblige les Etats à partager les informations dont ils disposent sur les impôts payés par les grandes multinationales en Europe.
« Terminons-en une fois pour toutes avec les paradis fiscaux ! » C'est l'appel lancé par l'eurodéputée britannique Molly Scott Cato au nom du groupe des Verts au Parlement européen le 11 mai. Consultés sur une modification de la directive sur la fiscalité et la coopération administrative proposée par la Commission européenne, les parlementaires ont adopté le lendemain à une large majorité une série de mesures visant à lutter plus efficacement contre les « stratégies d’optimisation agressive » des multinationales. Aujourd’hui, les multinationales doivent déclarer leurs bénéfices et les taxes dont elles s’acquittent dans le pays où elles sont domiciliés fiscalement. Mais les Etats rechignent souvent à partager ces informations. D'ici 2017, aux termes de la directive modifiée, ils seront obligés de transmettre automatiquement les données fiscales des entreprises dont le chiffre d’affaires est supérieur à 750 millions d’euros à tous les autres Etats membres où celles-ci exercent leurs activités.
Payer là où la richesse est créée
« Le texte peut paraître un peu technique mais cette mesure répond à une exigence simple : une entreprise doit payer ses impôts dans le pays où elle fait ses bénéfices », explique le député polonais et rapporteur du texte Dariusz Rosati (PPE, centre droit). La commission parle de « planification fiscale agressive », un euphémisme pour désigner la stratégie d'une multinationale qui déclare son chiffre d'affaires auprès de la juridiction la plus favorable afin de payer le moins de taxes possibles. Par exemple, la firme Starbucks a été épinglée fin 2015 par la Commission pour avoir déclarée la plus grande partie de son chiffre d'affaires au Luxembourg alors qu'elle dispose d'enseignes aux quatre coins de l'Europe. Mais si la nécessité d’aller vers plus de transparence fait l’unanimité parmi les parlementaires, les visions divergent sur les moyens d'y parvenir.
Combien d’entreprises concernées?
Principale critique à gauche de l’hémicycle : le seuil des 750 millions d’euros proposé par la Commission est jugé beaucoup trop élevé. Seule une multinationale sur 10 en Europe serait concernée. Les députés socialistes ont proposé d'abaisser ce seuil à 40 millions. Hors de question pour les députés majoritaires du PPE qui se sont opposés à toute mesure pouvant toucher les petites et moyennes entreprises. La Commission répond aux critiques par la voix de son commissaire aux Affaires économiques en charge de la fiscalité, Pierre Moscovici : non seulement ce seuil permet de toucher les entreprises qui génèrent 90% des revenus, mais il correspond à celui fixé par l’Organisation de Coopération et de Développement Économiques (OCDE). « Nous ne pouvons pas créer une norme qui désavantage les entreprises européennes vis à vis de leurs concurrents étrangers » ajoute le rapporteur Dariusz Rosati (PPE, centre-droit). Une position partagée par la confédération européenne des syndicats patronaux BusinessEurope : « Cela risque de nuire gravement à notre attractivité » explique son directeur général Markus Beyrer.
La transparence oui, mais jusqu’où?
BusinessEurope rejette également la demande des parlementaires de gauche qui souhaitent que les données fiscales récoltées soient rendues publiques. Selon eux, les citoyens sont exaspérés et veulent savoir ce que paient réellement les multinationales. D'autres voix mettent en doute la sincérité de l'investissement du président de la Commission dans le dossier. Jean-Claude Juncker a en effet été pendant près de vingt ans le Premier ministre du Luxembourg, un pays régulièrement accusé d'être un paradis fiscal. Réponse agacée du commissaire aux Affaires économiques Moscovici : « jugez nous aux résultats (...) il y a une véritable accélération du processus d'adoption des directives en matière de transparence fiscale ».
Course contre la montre
Face aux stratégies et à l'inventivité des conseillers fiscaux des multinationales, l'Europe a quelque chose de Sisyphe quand elle tente d'imposer des normes de transparence. « La tâche est difficile, reconnaît Dariusz Rosati, d’autant que le niveau de taxation est une prérogative qui relève de la souveraineté de chaque Etat. Pour arriver à un résultat concluant il faudrait un accord global entre tous les pays du monde. Nous n’y sommes pas encore, mais nous travaillons dans ce sens, pas à pas ».
Carol Valade