07 février 2013
Le Parlement européen a adopté mercredi un réglement qui durcit la lutte contre la pollution sonore automobile. Mais les députés ont également approuvé un amendement permettant aux véhicules les plus puissants, de disposer de quelques décibels supplémentaires.
Selon une étude menée par l'Agence européenne pour l'environnement (AEE), 210 millions de citoyens européens sont aujourd'hui victimes d'une surexposition aux nuisances sonores des véhicules. Pour lutter contre ce fléau et ses conséquences sur la santé publique, de nouvelles limitations de niveau de bruit maximal pour les véhicules ont été arrêtées aujourd'hui par Strasbourg. Voitures individuelles, fourgonnettes, autobus et autocars verront ce plafondl passer de 72 à 68 dB. Les poids-lourds de moins de douze tonnes ne pourront pas excéder 78 décibels au lieu des 81 autorisés aujourd'hui. La première législation dans le domaine remonte à 1970, et n'avait pas été révisée depuis 2007.
Si le Conseil en est d'accord, ces nouveaux plafonds s'appliqueront six ans après l'entrée en vigueur du règlement pour les nouveaux modèles de véhicules conçus, et huit ans après pour tous les véhicules (neufs ou d'occasions) mis en circulation dans l'UE. Aucun véhicule actuellement sur le marché ne pourra donc être retiré dans six ans, même s'il émet plus de 68 dB.
Le réglement concerne les véhicules de catégorie M (transport de passagers) et de N (transport de marchandises).
Toutefois les députés européens ont été moins stricts que prévu dans le projet préparé par la Commission sur deux points importants. D'une part ils ont maintenu la limite pour les camions de plus de 12 tonnes à 81 dB. D'autre part, ils ont adopté à une très courte majorité (307 voix pour et 292 contre) une dérogation pour les voitures de sport ou de grand luxe. Ces véhicules de plus de 272 CV auront une marge de deux à six décibels supplémentaires. Les ONG environnementales ont d'ailleurs immédiatement fait part de leur mécontentement.
Porsche 911 Carrera = 112dB
La surprise n'est pas totale. Depuis que ce règlement est dans les tuyaux de la Commission, les lobbes automobiles, et en particulier les constructeurs Porsche et Land Rover, ont tout fait pour peser dans le débat, jusqu'à essayer de participer à l'élaboration du texte. Des députés ont publiquement relayé leurs arguments au sein de l'hémicycle. « Le bruit n'est pas seulement le fruit de moteurs trop puissants. La qualité des routes, des pneus ou les nouvelles villes sont autant d'autres facteurs », argumente Salvatore Tatarella, député italien du PPE. Selon lui : « On ne peut pas accuser l'industrie automobile de tous les maux ». La défense des intérêts de ces constructeurs a donc porté ses fruits...
Pourtant, il faut bien avoir à l'esprit qu'une réduction du bruit de 4 db correspond à une baisse du niveau sonore des véhicules de 50% ou 60%. Or, les voitures sportives les plus puissantes dépassent pour l'instant largement les nouvelles limites. Par exemple, le moteur d'une Porsche 911 Carrera émet jusqu'à 112 dB (à l'instar d'un marteau piqueur), et celui de la New GT3 monte encore à 102dB (comme une scie circulaire). Autant dire que même avec une marge supplémentaire, les constructeurs de voitures puissantes auront quand même beaucoup d'efforts à faire pour se conformer aux nouvelles normes. Malgré cela, un opposant à cet amendement, le député libéral, Holger Krahmer juge qu'il «n'était nullement nécessaire de faire une exception pour les voitures de sport qui ne représentent qu'1 % du marché .»
Étiquetage des émissions sonores
Les députés ont également souhaité, via ce règlement, que les nouvelles voitures soient dotées d'un système d'étiquetage de leurs caractéristiques sonores, en vue d'informer les consommateurs. Des mesures similaires existent déjà pour la consommation de carburant, le bruit des pneumatiques et les émissions de CO2.
Système européen d'étiquettage des pneumatiques. Les étiquettes concernant le bruit des véhicules seront faites sur ce modèle.
Enfin, les députés s'inquiètent aussi du fait que les véhicules électriques et hybrides peuvent constituer une menace pour les piétons car, paradoxalement, ils sont trop silencieux. Aussi, les fabricants de véhicules électriques et hybrides seront-ils désormais incités, sur la base du volontariat, à installer un système d'alerte acoustique des véhicules (AVAS), à l'intérieur des leurs. Le dispositif devra générer un son continu indiquant le comportement du véhicule et ne dépassant pas le niveau sonore approximatif d'un véhicule à moteur du même type.
Santé publique contre santé industrielle
Le bruit du trafic routier européen est un problème environnemental majeur, affectant cinq fois plus de personnes que toutes les autres nuisances sonores cumulées. D'après l'étude de l'AEE, le plus souvent cela se traduit par une augmentation du stress, des insomnies voire des malaises cardiaques. Mais l'étude mentionne également que près de 50 000 attaques cardiaques mortelles chaque année en Europe et 200 000 cas de maladie cardio-vasculaires liées à une surexposition aux bruits. « La technologie permet aujourd'hui des avancées et des progrès afin de réduire ces drames humains », explique Gilles Pargneaux (S&D, France), rapporteur au nom de la commission des transports et du tourisme. L'abaissement des valeurs limites de bruit va en effet inciter voire contraindre l'industrie automobile à développer des moteurs plus silencieux.
Des appareils tels que les Indicateurs de Bruit (IdB) seront utilisés pour controler les véhicules.
Cependant, ces améliorations ont un coût. Elles auront des répercussions sur les prix et donc sur la demande. L'ONG environnementale T&E (Transport et Environnement) a estimé à 20€ pour une voiture et à 700 € pour un camion, le prix de la réduction d'un décibel. L’industrie automobile européenne, qui traverse actuellement une importante période de crise, se serait bien passée de ces normes supplémentaires. En repoussant les délais d'application du règlement de quatre ans par rapport à la proposition de la Commission, les parlementaires se sont montrés sensibles aux inquiétudes des constructeurs. De plus, afin de protéger le marché intérieur d'une concurrence étrangère déloyale, les limitations sonores s'appliqueront également aux voitures importés de pays tiers.
Au final la résolution législative a été adopté aujourd’hui par 401 voix pour, 228 voix contre et 20 abstentions. Mais pour que ce réglement entre en vigueur, il reste encore au rapporteur du dossier, Miroslav Ouzky (Tchèque, ECR), à négocier un accord avec le Conseil.
Luc BARRE