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François Hollande à la recherche d’un difficile compromis


05 février 2013

“Faire de économies oui, affaiblir l’économie non” a lancé M. Hollande aux eurodéputés réunis en session plénière à Strasbourg, deux jours avant un difficile sommet du Conseil européen. Le cadre financier pluriannuel (CFP) pour les 7 prochaines années sera débattu entre les vingt-sept chefs d’Etats et de gouvernements les 7 et 8 février prochains à Bruxelles.

C'est la première fois qu'un Président de la République française avait accepté de se rendre dans l’hémicycle pour prononcer son discours et répondre dans la foulée aux questions des parlementaires européens.

Un compromis “raisonnable”

Dans son intervention de trente minutes, le président français s’est opposé aux coupes budgétaires excessives, voulues notamment par le premier ministre britannique David Cameron. “Un compromis est possible, mais il doit être raisonnable, et il va falloir raisonner ceux qui veulent amputer le budget européen au-delà de ce qu’il est possible d’accepter” a tranché le président français, établissant quelques principes directeurs : préserver les politiques communes, prolonger le pacte de croissance adopté en juin dernier, soutenir les Européens les plus exposés à la crise, à commencer par les jeunes.

“Je plaide pour une Europe différenciée, selon l’expression de Jacques Delors, ça ne serait pas une Europe à deux vitesses, qui deviendrait d’ailleurs vite une Europe inégale, ou une Europe divisée, ce n’est pas davantage une Europe à la carte” s’est expliqué François Hollande, en prônant la voie des coopérations renforcées. Le président de la République a dressé sa vision de l’Europe, fustigeant celle d’une “addition de Nations, chacune venant chercher dans l’Union ce qui lui serait utile pour elle et pour elle seule”. Encore une fois, le président français a pointé, sans le nommer, l’attitude de M. Cameron qui plaide en faveur du maintien du “rabais” relatif à la politique agricole commune (PAC).

L’euro surévalué, selon Hollande

“Nous devons réfléchir à la place de notre monnaie, l’euro, dans le monde, elle ne peut fluctuer selon les humeurs du marché” a déclaré François Hollande, en écho aux propos tenus par son ministre de l’économie Pierre Moscovici dimanche 2 février, lorsqu’il estimait que l’euro était “fort, peut-être d’ailleurs trop fort”. La monnaie unique vaut désormais 1,35 dollar. Le chef de l’Etat a appelé à l’élaboration d’une politique de change : “Il ne s’agit pas, dans ce propos, d’assigner de l’extérieur un objectif à la Banque Centrale Européenne, qui est indépendante, mais d’engager l’indispensable réforme du système monétaire international, car sinon nous demandons à des pays de faire des efforts de compétitivité qui sont annihilés par la valorisation de l’euro”.

La France ne devrait pas être soutenue par son voisin allemand sur ce point. François Hollande pourra en discuter directement avec la chancelière Angela Merkel, qu’il rencontrera mercredi à Paris, à la veille du sommet du Conseil européen. Le ministre de l'économie allemand, Philipp Rösler, a déjà mis les choses au point. "L'objectif doit être de renforcer la compétitivité au lieu d'affaiblir la monnaie", a-t-il déclaré lors d’une visite à Paris.

Autre point de friction avec la chancelière allemande, sa vision de la solidarité dans l’Union. Le président de la République a ainsi évoqué la mise en place d’un salaire minimum au niveau européen. Il s’est aussi opposé aux seuls objectifs de désendettement et d’amélioration de la compétitivité : “cette politique aussi nécessaire soit-elle, doit être adaptée aux situations nationales, et appliquée avec discernement dans la durée, sinon nous condamnerions l’Europe à l’austérité sans fin, et je m’y refuse”.

Relancer l’intégration politique

Face aux députés européens, François Hollande s’est affirmé fervent défenseur d’une plus grande intégration politique, au sein de laquelle le Parlement européen verrait ses prérogatives accrues. “Ce qui nous menace aujourd’hui n’est plus la défiance des marchés, c’est celle des peuples”, a-t-il déclaré. Les élections législatives 2014 pourront être, a-t-il espéré, l’occasion de ce débat sur l’architecture des institutions, “pour peser sur le destin du monde”.  De retour du Mali, où l’armée française s’est lancée seule à l’assaut des rebelles, il s’est prononcé en faveur d’une stratégie pour une politique extérieure commune et une défense européenne. “L’Europe doit prendre sa part pour la démocratie et la paix, et c’est pour ça que j’ai lancé l’intervention au Mali, c’est notre responsabilité” a-t-il lancé, remerciant le Parlement pour son soutien.


Après l’allocution de François Hollande, les présidents des groupes politiques se sont adressés au chef d’Etat français. L’occasion d’un rare consensus pour exprimer une commune inquiétude à propos du budget communautaire.

Le chef de file du PPE, Joseph Daul, a été le premier a donné le ton: tel qu’il est actuellement, le projet de budget européen ne sera pas approuvé par le groupe conservateur au Parlement « Il ne faut pas vous cacher derrière David Cameron, lui a-t-il d'abord asséné, vous êtes face à deux choix opposés. Alors choisissez la bonne option. » Mis au pied du mur, forcé de choisir entre la position du PE et celle du CE, François Hollande renvoie la balle : « je ferai en sorte, non pas de défendre le parlement européen, mais l'idée simple (…) d'un accord qui devra être validé par le parlement européen. »
 

Le PPE rejette les réductions des contributions des Etats membres à la proposition de budget communautaire. En guise d’alternative à une négociation qui n’aboutirait pas pour la période 2014-2020, Joseph Daul a rappelé que son groupe  était favorable à une reconduite du budget chaque année, pour prendre le temps de trouver un accord sur de nouvelles perspectives financières.

Pour l’alliance des libéraux et démocrates européens, le sommet des chefs d’Etats ne peut pas être le théâtre d’une « escroquerie budgétaire. » L’état actuel du budget rajouterait un déficit de 60 milliards d’euros au 16 milliards d’euros déjà accumulés. Verhofstadt Guy, président des libéraux démocrates européens, a demandé au président français de rappeler aux chefs d’Etats du Conseil la nécessité « de mettre en commun les ressources dans le cadre d’un budget européen renforcé, »  en disant non à un cadre financier qui n’est pas à la hauteur des défis communs.

Pour le chef de file des Verts, Daniel Cohn-Bendit, le budget européen doit être la première mesure de relance au niveau européen.  «La bêtise la plus grande est de dire : puisqu’on est obligé de faire des économies au niveau national, on est obligé de faire des économies au niveau européen. C’est le contraire. » Pour le président du groupe des Verts, les secteurs industriels en difficulté comme l’automobile ou la sidérurgie ne pourront pas être sauvés au niveau national. Un budget européen fort est nécessaire pour relancer la croissance.

Chez les sociaux-démocrates, Hannes Swoboda a félicité le Président français pour l’accord obtenu sur le pacte budgétaire en juin dernier. Dénonçant le chômage, l’eurodéputé a demandé « de l’oxygène pour l’économie européenne avec des contraintes budgétaires supportables pour les peuples. »

La fausse note attendue est finalement venue de la droite de l'hémicyle. Le conservateur britannique Martin Callanan a administré une volée de bois vert à la politique "socialiste" du gouvernement français qui, avec sa fiscalité élevée, son temps de travail réduit et son retour sur la réforme de l'âge du départ à la retraite, a un effet « dévastateur » dans le cadre d'une concurrence internationale.

 

 

Lucie Debiolles et Martin Roux

Photo : Renaud Toussaint

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