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Le Parlement européen veut protéger les lanceurs d’alerte


16 février 2017

Les eurodéputés ont adopté mardi 14 février une résolution sur la protection des lanceurs d’alerte. Ils préconisent la création d’une agence européenne pour garantir leur sécurité, et encouragent la Commission à instaurer un cadre juridique clair.

En 2014, Antoine Deltour devient lanceur d’alerte. Alors auditeur chez PwC, il divulgue des documents révélant des pratiques frauduleuses de près de 500 multinationales. Un scandale surnommé depuis "le Luxleaks". Dans cette affaire, Antoine Deltour endosse un rôle risqué et mal protégé : il est mis en cause par la justice luxembourgeoise pour violation du secret des affaires. Le Parlement européen s’est saisi du sujet  en confiant à Dennis De Jong l’élaboration d’un rapport sur la protection des lanceurs d’alerte, adopté mardi 14 février. L’eurodéputé néerlandais (GUE/NGL, gauche radicale) interpelle la Commission européenne sur l’absence de lois claires pour les protéger. Il réclame une législation à l’échelle européenne.

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« Nous recevons des courriers de la part de citoyens qui dénoncent des soupçons de fraudes ou d’évasion fiscale.  Ils  prennent des risques au nom de l’intérêt public. Je veux qu’ils puissent bénéficier d’une protection solide », a lancé Denis De Jong  lors de la présentation de son rapport devant le Parlement européen.

Le député souhaite créer une agence indépendante destinée aux informateurs. De Jong se réfère au modèle de la « Maison des lanceurs d’alerte » initiée récemment aux Pays-Bas. Cet organisme offrirait une protection légale aux citoyens qui signaleraient les abus commis par les entreprises. Les eurodéputés proposent aussi de créer une cellule spécifique au sein du Parlement européen pour mieux accompagner les lanceurs d’alerte, tout en garantissant leur anonymat. Les contours exacts de ce projet restent cependant à définir.

 

Un consensus prometteur

La résolution a été adoptée largement, par 607 députés sur 693 votants. Un chiffre qui témoigne d’un large consensus au sein du Parlement sur la nécessité de protéger tout informateur bien-intentionné. « Les Etats membres ne proposent pas suffisamment d’instruments juridiques, déplore le député grec Notis Marias (ECR, conservateurs). Globalement, nous approuvons tous l’initiative de Dennis De Jong. » La Commission européenne, elle aussi, se montre favorable à cette initiative. Lors de la présentation du rapport, lundi 13 février, la commissaire à la concurrence Margrethe Vestager a salué les propositions faites par le Parlement. « 14 % des fraudes fiscales sont découvertes grâce aux lanceurs d’alerte », a-t-elle admis. La commissaire a par ailleurs annoncé le lancement d’une consultation publique à ce sujet.  Malgré tout, le texte n’en est qu’au stade de la résolution, et la Commission n’a encore annoncé aucune initiative législative concrète sur le sujet.

Une approche insuffisante

Certains pointent déjà les limites des propositions du Parlement : le rapport se cantonne en effet aux lanceurs d’alerte du secteur financier, qui n’est pourtant pas le seul concerné. Pour Benedek Javor, député hongrois (Verts/ ALE), « une approche sectorielle de la législation ne serait pas suffisante ». « S’ils sont protégés de façon disparate, certains lanceurs d’alerte ne parleront pas. Ils doivent tous être couverts de la même façon », confirme Anne-Marie Meyer, responsable de l’« alerte éthique » pour l’organisation Transparency International.

Le rapport laisse pour le moment de côté les citoyens qui dénonceraient des abus dans les domaines environnementaux, sociaux ou sanitaires. À titre d’exemple, Irène Frachon avait, en 2010, mis au jour le scandale sanitaire du Mediator, dévoilant les risques de ce médicament commercialisé depuis 1976 par les laboratoires Servier. La lanceuse d’alerte s’est alors retrouvée au cœur d’une bataille judiciaire. Or, ce type de cas n’est pas concerné par la législation proposée aujourd’hui par le Parlement européen.

Mais la résolution a vocation à s’élargir selon Benedek Javor, « la commission des affaires juridiques (JURI) compte élaborer un rapport d’initiative législative à ce sujet. Elle ne se concentrera pas seulement sur l’aspect financier. »

Dans le même sens, Dennis De Jong  a rappellé à la Commission ses responsabilités à la fin de son discours: « J’attends une initiative rapide et de qualité de votre part sur le sujet » . 

Texte et photos : Elsa Vande Wiele et Sophie Allemand

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