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Laurie Correia & Emma Conquet
Le bibliobus de Strasbourg fait un arrêt tous les mercredis sur la place du centre socio-culturel (CSC), rue Virgile, à Koenigshoffen. Chaque semaine, les enfants Romary et Naroura viennent y assouvir leur soif de lecture.
Le bibliobus jaune s’arrête - comme tous les mercredis - sur une des places centrales du quartier. Entre 10h30 et 12h15, les lecteurs, sacs jaunes à la main, investissent le lieu. Si le bibliobus est surtout fréquenté par des enfants entre 6 et 12 ans, il propose également 5 000 livres, revues, CD et DVD aux adultes. A 11h30, Fabien Romary, 41 ans, et sa fille Elise, 7 ans, posent leur vélo devant le centre socio-culturel du quartier. Quelques minutes plus tard, Magda Naroura, 36 ans, vient rendre les livres de ses fils Ilyas et Rayane. Elle est accompagnée du petit dernier, Kenzi, 1 an, calme dans sa poussette.
Un bus ludique
Le mercredi après-midi, Fabien Romary s’occupe de ses enfants, Elise 7 ans et Bruno 11 ans. La lecture est au cœur de leur éducation. Pour lui, emprunter des livres est primordial. “Je viens là toutes les semaines avec Elise”, confie-t-il. Ce gestionnaire immobilier dynamique, féru de lecture a transmis sa passion à ses enfants. Depuis qu’ils ont emménagé dans le quartier, il y a sept ans, le bibliobus est un incontournable. Elise y trouve son bonheur. Habitant à seulement 300 mètres du bus jaune, elle s’y rend parfois seule à vélo. Mais il ne faut pas louper le coche car les horaires sont restreints. Bruno n’est pas libéré de l’école suffisamment tôt pour s’y rendre, et le choix reste limité. “C’est vrai que nous utilisons le bibliobus régulièrement mais nous ne pouvons pas nous contenter de cela”, déclare Fabien Romary. Pour lui, ce dispositif est une façon ludique de proposer des livres à sa fille, qui apprend à lire. “Elle est contente de monter dans un bus, c’est amusant”. Le jeune quadra, à la silhouette élancée, fréquente beaucoup de bibliothèques.
C’est vrai que c’est un certain budget.
Mais avoir accès à la lecture est une priorité
Pour Magda Naroura, le bibliobus est davantage une nécessité. “C’est très compliqué d’aller dans d’autres bibliothèques avec la poussette, il faut trouver une place pour se garer”, explique-t-elle. Ses deux enfants sont satisfaits du bus, et Magda précise que c’est aussi un lieu de rencontre avec les habitants du quartier. Depuis que la famille s’est installée rue des Capucins - il y a cinq ans - elle s’y rend chaque semaine. Rayane, 5 ans, ne s’en lasse pas, Ilyas, lui, pense en avoir fait le tour, du haut de ses 8 ans. Ainsi, la famille achète régulièrement des livres au centre ville. “C’est vrai que c’est un certain budget. Pour une famille de cinq personnes, ça devient vite cher, précise-t-elle. Mais avoir accès à la lecture est une priorité”.
L’histoire des Foulouh est aussi liée à celle du Hohberg. "On a grandi avec le Hohberg, il a évolué, on a évolué avec lui", souligne Najima. Sa petite sœur approuve. Au fil des années, cette cité de Strasbourg s’est développée avec ses commerces, ses établissements scolaires, ses services sociaux et administratifs. "C’est pratique, il y a tout à proximité", ajoute Mouna, en agitant son doigt autour d’elle.
Rester au Hohberg, c’est avant tout rester près de sa famille. "Ils ont besoin de moi, j’ai besoin d’eux", déclare Mouna, en lançant un regard complice vers sa mère. Cette dernière l’a beaucoup soutenue à la naissance de sa fille. "C’est vraiment ma deuxième maman, confirme Sana au sujet de la grande madame. On aime aller chez notre grand-mère, on se retrouve souvent chez elle le week-end, c’est spontané." dit-elle, la main posée sur sa poitrine. La famille s’en amuse d’ailleurs : "Si pendant quelques semaines, elle ne nous invite pas à manger, ça va paraître bizarre", plaisante Amal. A ce moment, Mouna revient de la cuisine, un gâteau et un saladier de friandises dans les mains. A peine posés sur la table, les enfants se ruent dessus avec joie.
"On a grandi avec le Hohberg"
Pour Amal comme pour les autres, cette proximité géographique crée une relation particulière. Alors, quand Mouna évoque l’idée de s’installer dans une maison dans la campagne strasbourgeoise, ses enfants refusent catégoriquement. "On a nos habitudes ici, et on aime ça, rétorque sa fille Sana. J’ai jamais quitté le quartier, c’est sécurisant parce qu’on sait pas comment ça se passe ailleurs. Et puis je peux voir mes grands-parents, ma tante, mes oncles, mes petits-cousins, ma cousine, mes parents, mon frère…" Sa grand-mère sourit. La jeune femme de 18 ans n’envisage pas de s’éloigner à plus d’un quart d’heure à pied de la cité.
Arrivé du Maroc dans les années 1970, Haddou Foulouh s’est installé au Hohberg avant de faire, quelques années plus tard, une demande de regroupement familial. Sa femme Louisa et leurs enfants l’ont rejoint en 1977. "Il faisait froid, j’avais 7 ans, c’était en février", se souvient Najima, en soufflant sur sa tasse de café. La famille n’est jamais repartie.
Parents et voisins
Au moment de quitter le cocon familial, les enfants de Louisa et Haddou ont choisi eux aussi de s’installer dans la cité. Rue Sénèque, dans l’immeuble voisin, résident Ahmed, sa femme Zoulikha et leurs trois enfants "On se voit du balcon !", s’exclame Anissa, ignorant sa console de jeu quelques instants. A seulement quelques mètres de là, rue Tacite, vivent Mouna, Sana et le reste de la famille. Quant à Najima, elle vient juste de quitter le Hohberg, pour la route des Romains toute proche. Seul Karim, le cadet, s’est "éloigné". Avec sa famille, il réside dans un quartier pavillonnaire de Lingolsheim, à cinq kilomètres de Koenigshoffen. "C’est trop loin, se désole Louisa les bras croisés, à pied, je ne peux même pas y aller." Cette femme de 70 ans, coiffée d’un hijab et les mains teintées de henné, est le véritable pilier de la famille. Et elle aime savoir ses enfants près d’elle : "Je profite de mes petits-enfants, ils grandissent à côté de moi."
Grand étang
Son poisson, Loïc le préfère "en papillote ou en barbecue." À 16 ans, il est "venu en vélo d'Ostwald pour participer au concours de pêche à la truite." Avec un certain succès : il finit de vider et de nettoyer les sept poissons pêchés pendant la matinée, et s'apprête à rentrer chez lui. Pas question de participer à la marinade. Ni de sociabiliser avec les anciens. Bien de son temps, il compte partager les photos de sa pêche sur son compte Instagram (le_carpiste_67).
"Quand ça veut pas, ça veut pas", soupire de son côté Julien Etienne, 32 ans, venu exprès pour le concours depuis Belval, dans les Vosges, à une centaine de kilomètres de là. Deux truites seulement ce matin : "C’est la fin de la saison de pêche, les poissons vont commencer à frayer – se reproduire. " Qu'à cela ne tienne, il compte bien se consoler avec la marinade : "Je suis venu avec un ami et je connais deux ou trois personnes ici."
Vers 14 heures et des poussières, Victor et Paulo sortent de l'apéro. Ils ne participent ni au concours ni au repas : ce sont plutôt des boulistes – Victor a été président pendant huit ans du club de pétanque de Cronenbourg. C'est là qu'il a rencontré René, membre actif de l'APP, et personnage haut en couleur : "Quand c'est la semaine où Annie et René tiennent le bar, c'est vraiment la folle ambiance." Pour Paulo, c'est une première au club de pêche, mais, gagné par la bonne humeur générale autour de la buvette, il prévoit d'y retourner le dimanche suivant pour le tournoi de belote.
Devant le chalet, Jacky, la moustache jaunie par le tabac, observe les pêcheurs du grand étang. Pour ce membre assidu de l'association "depuis plus de vingt ans", l'avenir du site est menacé. "Un jour, la ville reprendra le terrain et construira. Ce serait bien que ça dure encore quinze à vingt ans."
Banquet
À l'intérieur du chalet, les grandes tables de banquet accueillent une bonne cinquantaine de participants. Le repas, qui coûte 12 euros, est ouvert au public. Ni Yolande Buchmann ni son mari Patrice ne sont pêcheurs. Attablée avec deux autres couples de la paroisse protestante de Saint-Paul, cette dernière explique : "Nous venons deux fois l'an pour des repas. J'y retourne depuis que je suis en retraite." Arrivée à Kœnigshoffen à l'âge de 1 an elle est attachée au site : "Ce lieu fait partie de mon enfance. Ça a toujours été très convivial et, en fait, l'ambiance n'a pas trop changé."
Pas étonnant, vu le nombre de têtes chenues dans la salle. Venu avec sa mère de 95 ans pour la marinade, Charles Muller ressemble à la plupart des commensaux. À "bientôt 73 ans", il occupe ses loisirs en allant tous les jours au chalet pour "retrouver les copains et regarder les parties de cartes." De son coté, Yolande Buchmann s’interroge : "Le jour où les vieux n'entretiendront plus le site, qu'est-ce que ça va devenir ?" Et convient : "C’est normal de ne pas vouloir passer la journée avec des vieux quand on est jeune".
Cuisine
Des jeunes, il y en a pourtant les nuits d'été autour des étangs. "Ils viennent ici pour faire la fête, explique Benjamin Breuil, le président de l'association, qui s'active en cuisine. De temps en temps, je descends la nuit pour leur dire de ne pas laisser de cadavres de bouteille partout. Mais dans l'ensemble, c'est plutôt bon enfant." Il précise aussi qu'ils ne participent pas aux activités de l'association. Et déplore, comme Yolande, "le manque de jeunes bénévoles".
À 36 ans chacun, Benjamin Breuil et son vice-président, Thomas Kuhm font figure d’exception : "On est les plus jeunes à gérer une APP dans la région." Tandis que, dans la salle, les anciens prennent l'apéro, Thomas Kuhm vérifie la bonne tenue des préparatifs : "J’aime ce rôle. Cela représente énormément de temps et d’heures. Mais il fallait qu’on s’y intéresse pour que l’association se pérennise." Quitte à mettre parfois la pêche de côté. Benjamin Breuil, va plus loin : "Il faut être impliqué à 200%. Pour moi, c’est comme une deuxième activité." Et la charge de travail ne va pas en s'allégeant.
À côté d'eux, Dominique Furst, octogénaire au regard pétillant et cuistot du jour, prévient : "C’est la prochaine génération. C’est eux qui feront la marinade." Et de désigner deux grands bacs métalliques remplis à ras-bord du mets tant attendu. Il en connaît la recette par cœur. Sans révéler ses petits secrets, il décrit les ingrédients utilisés : "Beaucoup de crème fraîche, de la moutarde à l’ancienne, du thym et du poivre." La préparation doit mariner pendant une semaine et demie pour apporter au poisson tendresse et goût.