Vengeance en réseau

Avec le développement à grande vitesse des réseaux sociaux, le phénomène de "revenge porn" ou vengeance pornographique est en plein essor. Cet acte réalisé par l’auteur, dans un moment de colère, est maintenant régi par un cadre légal très précis.

Illustration d’Evan Renaudie

Le 3 mars 2016, une adolescente de 15 ans s'est jetée sous un train à Lisieux. Des photos d'elle dénudée, diffusées à son insu, circulaient de portable en portable dans son lycée. Comme elle, de nombreuses personnes sont victimes de "revenge porn", ou vengeance pornographique. Des images ou vidéos d'elles à caractère sexuel ont été publiées sur les réseaux sans leur consentement. 

L'avocat strasbourgeois Nicolas Clausmann a défendu des jeunes femmes victimes de vengeance pornographique. Il décrit l'agression comme « une pénétration dans la vie privée de la personne par surprise et avec violence ». Pour lui, la réaction des victimes varie selon leur personnalité : « Dans les meilleurs cas, c'est vécu comme une intrusion dans la vie privée. Pour d’autres, c’est vécu comme un viol. »

Le phénomène touche pour 90 % les femmes et 10 % les hommes. Il n'est pas nouveau mais les réseaux sociaux ont augmenté le risque de diffusion des contenus. Depuis plusieurs années, il est même devenu une marchandise permettant à des sites spécialisés d'en tirer profit. Aux États-Unis, Kevin Bollaert, fondateur et administrateur du site de revenge porn Ugotposted.com a été reconnu coupable de 27 chefs d'accusation et a été condamné à 18 ans de prison. En France, des sites comme video-ex-copine.net ou vengetoi.com permettent à quiconque de poster des contenus pornographiques de leurs ex-petites amies.

« Les hommes se sentent libres de publier ces images car leur ancienne compagne leur a fait "don" de leur image », explique le sociologue Christophe Colera. « Ce qui est intéressant, c'est qu'il y a un public pour cela, une sorte de "communion" de tout le genre masculin à ce sacrifice », analyse le sociologue.

Nicolas Clausmann

Avocat au barreau de Strasbourg depuis janvier 2008.

Christophe Colera

Docteur en sociologie et chercheur associé au laboratoire DynamE (Dynamiques Européennes, UMR 7367) de l’Université de Strasbourg. Auteur de "La Nudité. Pratiques et significations", 2008, Ed. du Cygne.

Extrait du site vengetoi.com

Une difficile pénalisation du revenge porn

Face à l'expansion du phénomène, la loi pour une République numérique du 7 octobre 2016 crée l'infraction de vengeance pornographique. « Avant cette loi, s'il y avait consentement lors de la captation des photographies ou vidéos, on pouvait très difficilement poursuivre les auteurs », rappelle Hortense Bessière, avocate à Strasbourg et enseignante en droit de la propriété intellectuelle et e-réputation. En mars 2016, la Cour de cassation avait considéré que la diffusion d’un contenu réalisé avec le consentement d’une personne dans un lieu privé n’était pas une infraction. Les auteurs de "revenge porn" étaient jusque-là condamnés par des moyens détournés : atteinte à la vie privée, harcèlement ou requalification en violence. « Ça dépendait surtout du dossier et des preuves. Maintenant ça sera beaucoup plus simple, on a une infraction », approuve Me Bessière.

La sanction a également été alourdie. Avant les auteurs risquaient un an d’emprisonnement pour une atteinte à la vie privée à caractère sexuel. Avec cette nouvelle loi, la peine encourue passe à deux ans et 60 000 € d’amende.

Malgré ces nouvelles dispositions légales, porter plainte peut rester difficile pour les victimes. Si elles entament une procédure, les images ou vidéos personnelles sont exposées à davantage de publicité. « Quand on dépose plainte il faut bien se dire qu’il va y avoir la police, les magistrats qui vont voir les images. Ça peut être un passage très difficile pour les victimes », décrit Me Clausmann.

La volonté de détruire l'autre vient soulager la détresse personnelle

Les clients de Me Luttringer, avocat de la défense dans quatre affaires de vengeance pornographiques, ne pensaient pas enfreindre la loi. « Ils ont conscience que moralement, ce qu’ils font n’est pas acceptable, mais je pense qu’au moment où ils publient ces documents, ils ne se rendent pas compte qu’ils commettent une infraction », analyse l'avocat strasbourgeois. Pour lui, leur acte est davantage « un égarement dans un moment de détresse, de solitude et de tristesse ». Un constat que dresse aussi le sociologue Christophe Colera : « Mal-être, échecs, crise de la masculinité expliquent peut-être le désir de s'acharner sur une ex. La volonté de détruire l'autre vient soulager la détresse personnelle. »

Reconnaissant que ce geste peut engendrer de grandes souffrances, Me Luttringer en appelle tout de même à une prise de conscience chez la victime. « Lorsque l’on accepte que le compagnon prenne la photographie, on se place dans une situation où potentiellement ce genre de choses qui ne devrait pas arriver arrive », commente-t-il.

Cette prise de risque serait en partie due au développement des réseaux sociaux influençant les comportement de chacun selon Hortense Bessière : « C’est comme ça aujourd’hui, on aime se montrer. Il y a des stars qui en jouent pour faire le buzz. Chez les ados, il y a ce côté un peu provoquant à se prendre en photo. » Même si elle reconnaît qu’ « ils sont hyperconnectés et connaissent davantage les risques de diffusion des images », elle craint cependant qu’ils n’aient pas conscience que ces images puissent ressortir dans le futur. 

Loi pour une République numérique

Selon Article 226-2-1 du code pénal, est puni de 2 ans d’emprisonnement et de 60 000€ d’amende, en l'absence d'accord de la personne pour la diffusion, de porter à la connaissance du public ou d'un tiers tout enregistrement ou tout document portant sur des paroles ou des images présentant un caractère sexuel, obtenu, avec le consentement exprès ou présumé de la personne ou par elle-même.

Hortense Bessière

Avocate au barreau de Strasbourg depuis 2005, spécialiste du droit de la propriété intellectuelle et de l'e-réputation.

Cour de cassation

Arrêt de la cour de Cassation du 16 mars 2016 : N’est pas pénalement réprimé le fait de diffuser, sans son accord, l’image d’une personne réalisée dans un lieu privé avec son consentement.