Elles sont nombreuses, les dynasties de cavalier·es, à survoler de génération en génération cet univers à part qu’est celui du cheval et de l’équitation professionnelle.
Un simple coup d'œil sur la liste des participant·es aux grands concours de saut d’obstacles français et on a compris: une poignée de familles est omniprésente. Paris, Levallois, Angot, Delaveau, Leprévost, Navet… Des noms qui brillent dans les manèges du monde entier depuis des décennies. Les parents champions voient leurs descendant·es prendre les rênes, pressé·es de suivre leurs pas. Leur point commun: être le fruit d’un héritage familial entièrement voué à l’équidé, son élevage et au concours équestre. Tout est lié.
L’histoire est souvent la même. Ça commence par une envie. Dans les années 1950, les chevaux sont encore au cœur de la vie paysanne. Acheter un cheval, quand on est éleveur·euse laitier·ière, rien de bien compliqué. Il faut un champ: on trouvera bien un coin dans les hectares de pâturages. Il faut de la paille: la grange en regorge. En guise de box: une petite place dans l’étable suffira. Il faut par contre être prêt·e à mettre la main à la poche: comparé aux 2 000 euros nécessaires pour acquérir une vache, un cheval coûte a minima le double.
Tiercé gagnant
Pour Guy Paris, installé à Couvains dans la Manche, comme cinq générations avant lui, c’était une évidence: “Ma Mayflower, j’en suis comme tombé amoureux. Quand je l’ai vue, menue, élégante, sa robe bai clair [poils marrons aux crins noirs, ndlr], je n’ai pas hésité longtemps.”
Le néophyte se passionne et crée son haras, lieu de naissance et d’élevage de chevaux de sport. Dans cet environnement, son fils Fabrice s’oriente naturellement vers les concours.
Dans le même village normand, Germain Levallois fonde en 1989 le Haras de Semilly. Lui aussi insuffle chez ses deux enfants Éric et Richard le virus du cheval. Le premier devient champion du monde en 2002. Le second prend la suite de son père. Depuis quinze ans, l’affaire familiale occupe le podium des meilleurs haras de France. Idem chez les Navet, au cœur de la campagne de Seine-et-Marne. Alain, le père, érige le Haras de Baussy en 1970 à Longueville. Trois enfants y voient le jour: Sylvie, Thierry et Éric. Tiercé gagnant: une juge de saut d’obstacles, un éleveur et un quintuple champion de France de saut d’obstacles.
Une orientation toute tracée
La fratrie a fait ses premiers pas au milieu des écuries. Une deuxième génération qui vit et dort cheval, mue par la compétition. Le multiple champion français et européen Florian Angot, finaliste aux Jeux olympiques d’Athènes en 2004, est lui aussi un parfait exemple de cette inclination des enfants d’éleveur·euses et de cavalier·es à s’inscrire dans le sillage de leurs parents. Charlène Lourd, sociologue de l’Institut français du cheval et de l’équitation (IFCE), décrypte le phénomène des familles de cavalier·es: “Comme la maison est partie intégrante des écuries, l’orientation n’est pas subie mais clairement choisie. Les héritiers ne se forment pas beaucoup en école puisque leur temps personnel est déjà dédié aux écuries. Leurs carrières sont linéaires.”
“Monter à cheval, il n’y avait que ça à faire. Autour de chez nous, il n’y avait pas de cinéma, pas de bar, pas de restaurant. ”
À 50 ans, Florian Angot, basé au Tronquay à 10 km au nord de Bayeux, se souvient des “week-ends entiers passés à suivre [ses] parents. On dormait tous dans le camion, juste à côté des chevaux, avec Grégory, Cédric et Reynald.” Les quatre frères montent dès leur plus jeune âge. “Monter à cheval, il n’y avait que ça à faire”, confie le champion. “Autour de chez nous, il n’y avait pas de cinéma, pas de bar, pas de restaurant. On ne sortait la voiture que le week-end, pour les concours.” Entre frangins, c’est à qui aura les meilleurs chevaux.
Ce microcosme est bâti sur un modèle économique bien rôdé. Les éleveur·euses (et parents de champion.nes) gagnent leur vie grâce aux ventes de chevaux de sport. L’âge, le lignage et les performances font varier les prix d’achat de 150 000 à deux millions d’euros. Dans les haras, quand les enfants montent les meilleurs chevaux élevés par les parents, tout le monde est gagnant. Les héritier·es ont accès à des chevaux de haut niveau qui les font progresser plus vite que les autres. Grâce aux succès en concours, les prix des bêtes s’envolent. Et leur présence sur les parcours permet aux propriétaires de repérer le bon étalon avec qui faire saillir leur jument.
Héritier·es d’une carrière
Ces cavaliers et cavalières se connaissent depuis le plus jeune âge, s’observent, analysent les chevaux, remarquent l’amélioration ou les faiblesses des autres. Souvent, ces passionné·es tombent amoureux.ses. Et le schéma se perpétue avec une troisième génération. Dévoués corps et âmes à leurs carrières, les parents ne tiennent pourtant pas le discours auquel on pourrait s’attendre.
Pénélope Leprévost, multi-médaillée et championne olympique en 2016 à Rio, confesse sans problème avoir longtemps poussé sa fille Eden, 20 ans, sur une autre voie. Même chose pour Patrice Delaveau, vice-champion du monde en 2014, lui-même fils de champion. Il confiait en 2017 au Parisien “essayer souvent de décourager Valentine [sa cadette] de faire ce métier, qui est difficile et très prenant”. Fabrice Paris a tenté de détourner son aînée de l’équitation professionnelle. Il espérait pour Pauline une carrière “moins éprouvante, plus rentable, avec de vrais horaires”. Tous leurs efforts n’ont pas suffi à rebuter leurs descendant·es. Loin de là. Ils et elles restent déterminé.es, marqué.es au fer rouge par le milieu qui les a vu naître. Peu importe la pression et les attentes qu’impose de porter leurs noms.
Mina Peltier
La Dynastie Paris
C’est l’histoire d’une famille liée par l’amour du cheval. Derrière le portail du haras des Paris, au cœur des terres normandes, c’est aussi une entreprise qui se dévoile. Un sacerdoce, entre élevage et concours: portraits à quatre voix.
Épisode 1: Le fondateur
Épisode 2: Le successeur
Épisode 3: Les descendant·es
Fanny Gelb