“Terre de Jeux 2024”, “Commune de préparation pour les Jeux”: ces deux labels ont séduit des centaines de petites communes pour faire vivre l’esprit olympique dans toute la France. Mais derrière l'enthousiasme de certaines d’entre elles, d’autres peinent à créer de véritables projets.
“Ouvrons grand les Jeux.” Le slogan des 33ᵉ olympiades, défini par Tony Estanguet, président du Comité d’organisation des Jeux olympiques de Paris (Cojop), est un appel direct à diffuser l’esprit du sport sur tout le territoire. Pour ce faire, le comité a mis en place dès 2019 les labels “Centre de préparation aux Jeux” et “Terre de Jeux 2024”. Si le premier est réservé aux communes en mesure d’accueillir des athlètes, Terre de Jeux 2024 se veut beaucoup plus large. Plus de 4 500 collectivités ont déjà vu leur dossier de candidature accepté. Seul critère: mettre en avant leurs installations ou leurs associations sportives. La liste officielle comporte un grand nombre de villages, parfois très ruraux, qui ont décroché ce label censé promouvoir l’esprit olympique et la pratique du sport pour tous·tes.
Au parc municipal de Bindernheim (1 040 habitant·es), dans le Bas-Rhin, une grappe d’enfants est encouragée par Valérie Bosal. “Elle court comme une gazelle, Odile!”, fait remarquer l’institutrice. Dans cette commune nichée à 35 minutes au sud de Strasbourg, les événements se succèdent à l’approche des Jeux d’été. “Avec la mairie, on développe plusieurs thèmes sportifs à destination des enfants”, poursuit Valérie Bosal. Depuis septembre, les plus petit·es ont pu s’initier aux jeux de balle, à la pétanque et aux sports de raquette. En cette fin d'année 2023, les voici en train de courir sur la piste qui entoure le city-stade.
Promouvoir l’esprit olympique
“Lors du passage des drapeaux olympiques le 14 juin dernier, nous avons pu réunir quatre athlètes de la région, dont Raphaël Voltz, médaillé d’argent paralympique au tir en 2012, et Catherine Martin, qui a fait les paralympiques de handbike en 2008”, se félicite Christian Gerber, adjoint à la culture, aux loisirs et au sport.
Sur les plaquettes de présentation, le label Terre de Jeux n’exige rien de particulier des nombreuses communes lauréates. Le Cojop se contente de fournir la charte graphique à utiliser pour communiquer autour du label. Bindernheim est allée plus loin, en affichant devant sa mairie les cinq anneaux olympiques. “Le Cojop a averti qu’on ne devait pas afficher le drapeau olympique ni les sponsors officiels des Jeux. Là, ce ne sont que les cinq anneaux, donc ça passe à peu près”, sourit l’adjoint.
“Sur ce genre de projet, si tout le monde ne s’y met pas, c’est mort, on ne peut rien faire.”
Plus généralement, l’élu ne comprend pas que davantage de communes n’aient pas franchi le pas. “On a carte blanche pour organiser ce que l’on veut!, affirme-t-il. Le Cojop nous accompagne un peu quand même, on participe à des réunions en visioconférence.”
Acquérir le label ne suffit cependant pas à initier un véritable engouement sportif. À Fursac (1 400 âmes) dans la Creuse, Christophe Camporesi, adjoint à la vie associative, partageait le même enthousiasme que son homologue alsacien. Il a vite été refroidi par la faible implication des habitant·es. “On n’a pas utilisé ce label à bon escient, regrette-t-il. J’avais vu avec l’école pour éventuellement faire des choses ensemble, mais ça n’a pas suivi. L’un des élus de la commune, qui est sportif, s’était également proposé pour mettre en avant le label, mais il n’a jamais donné suite.”
Ce manque de participation s’explique en grande partie selon l’adjoint par la composition sociale de son village: “La moitié des habitants a plus de soixante ans et une grande partie de la population active est agricultrice. On est une commune très rurale, avec peu de jeunes. Sur ce genre de projet, si tout le monde ne s’y met pas, c’est mort, on ne peut rien faire.”
L’importance du tissu associatif
Dans le cas de Fursac, le tissu associatif n’a pas non plus été à la hauteur. Il s’agit pourtant d’un maillon essentiel dans l’apport de bénévoles et de matériel pour que les petites communes labellisées parviennent à monter des projets. Aubusson, troisième ville la plus peuplée du département (3 200 habitant·es), rassemble plusieurs dizaines d’associations sportives. “Le label a été un levier pour réunir les associations autour d’un projet commun”, se réjouit Agnès Florentin, co-responsable de Terre de Jeux dans la commune.
Le comité départemental olympique et le Département organisent l’opération “La Creuse fait ses Jeux”. Huit communes recevront une demi-journée d’olympiades entre avril et mai 2024, dont Aubusson le 12 avril. “Des activités seront proposées pour les personnes de tous âges. On va aussi créer une course en relais pour les handisports. La totalité du centre-ville sera dédiée aux sports”, ajoute la co-responsable. La rivière la Creuse, qui traverse le bourg, accueillera les animations de canoë-kayak.
Ambiguïté autour du mot "label"
La déception due au manque de mobilisation humaine s’est doublée pour Fursac d’une frustration autour de son projet de construction de gymnase. “On voulait profiter de l’élan olympique que le label nous offrait pour que cela facilite des subventions, notamment par l’Agence nationale du sport (ANS), raconte l'adjoint Christophe Camporesi. Mais nos demandes sont restées sans suite.” Comme expliqué sur le site officiel, “le label n'a pas vocation à financer les investissements des entités labellisées”. En revanche, la foire aux questions du site indique que des appels à projets sont possibles, dans le cadre de partenariats avec différents organismes du sport.
Le Cojop concède une “ambiguïté autour du mot ‘label’, qui a pu faire sous-entendre que le financement en était un élément central”, précise la cheffe de projet engagement, Noémie Vincent. Certains plans existent en partenariat avec l’ANS, comme le plan “5 000 terrains de sport”, lancé par Emmanuel Macron fin 2021. Cette initiative, dotée d’une enveloppe de 109 millions d’euros pour l’année 2023, se limite à certains types d’infrastructures: terrains de basket, blocs d’escalade, skateparks, etc. Les gymnases ne figurent pas sur la liste des projets éligibles consultable sur le site de l’ANS.
Dans certains cas en revanche, le Cojop peut financer des initiatives plus modestes. À Bindernheim, la commune a décidé de renommer son stade municipal, le stade du Leh, en “Stade du Leh-Stéphanie Frappart”, en hommage à la première femme à avoir arbitré des compétitions masculines internationales de football. “Les valeurs de l’arbitrage sont universelles. C’est aussi une salutation aux arbitres bénévoles du coin. Elle a été très touchée par notre initiative”, souligne l'adjoint Christian Gerber. La plaque qui ornera l’entrée du stade “sera financée à 100% par le Cojop”, assure-t-il. Noémie Vincent confirme: “Cela s’inscrit dans le programme ‘Sport et parité’. Seules 1% des infrastructures sportives en France portent le nom d’une personnalité féminine. Notre but est d’encourager les collectivités en les conseillant dans leur choix et en leur fournissant la plaque de changement de nom.” Ladite plaque arborera elle aussi les couleurs et l’habillage de Terre de Jeux.
Le CPJ, un label (trop) généreusement distribué?
Le label “Commune de préparation pour les Jeux” (CPJ) s’articule autour de la capacité d’une commune à accueillir des délégations olympiques et paralympiques. L’idée reste là encore de favoriser le sport sur l’ensemble du pays. Avec son complexe sportif La Base, géré en société d’économie mixte, la commune du Temple-sur-Lot (Lot-et-Garonne, 1 059 habitant·es) réunit en un même lieu tout le nécessaire pour un stage de préparation sportive: une capacité d’hébergement de 280 personnes, avec 30 chambres pour les personnes à mobilité réduite (PMR), un service de restauration et un personnel formé.
Ce complexe reçoit des délégations olympiques depuis les années 1980. À l’approche de Paris 2024, le carnet de réservations est bien rempli, avec entre autres la venue de l’équipe de France de judo féminin ou encore celle de paracanoë. Mais Jean-Michel Vrech, président du conseil d’administration du site et adjoint à la mairie, ne cache pas sa “grosse déception” quant aux conditions d’attribution du label (qui lui non plus n’ouvre pas la voie à des financements directs). “On pensait qu’il y aurait des filtres plus étroits. Cela nous aurait permis de nous démarquer et de recevoir plus de monde.” Selon lui, le label CPJ a été trop largement décerné. Plus de 1 000 communes sont répertoriées par le site officiel du CPJ.
“Le CPJ est juste devenu un instrument de communication politique.”
“Tous ne sont pas à même d’accueillir convenablement des délégations olympiques”, peste Jean-Michel Vrech. Il estime que le trop grand nombre de communes CPJ a tendance à perdre les délégations dans leurs recherches, ce qui oblige des structures comme la sienne à redoubler d’efforts pour attirer leur attention. “Le CPJ est juste devenu un instrument de communication politique”, juge le directeur de La Base, Bruno Blucheau.
Au complexe sportif, les financements se font sur le long terme, et non sur la seule période olympique: “Nous avons investi nous-mêmes douze millions d’euros depuis 2009. Notre structure doit perdurer bien au-delà des Jeux olympiques.” Après les Jeux de Tokyo, en 2021, Emmanuel Macron avait enjoint aux athlètes français “d’en faire beaucoup plus”. Un coup de pression qui inquiète Bruno Blucheau: “En fonction des résultats sportifs, on ne sait pas de quoi sera fait l’après-2024. On craint que les fédérations perdent des financements en cas de mauvais résultats. Ce qui veut dire moins de stages et de réservations dans des complexes comme le nôtre.”
Les responsables des labels assurent que ceux-ci ne disparaîtront pas une fois la flamme olympique partie. “Terre de Jeux sera repris par l’Agence nationale du sport, c’est en cours de réalisation”, annonce Noémie Vincent. Reste à savoir si l’engouement des communes ne s’éteindra pas.