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Athlètes handisport: rêves bridés

Azilis Briend, Martin Falaizeau & Émie Stervinou

© Martin Falaizeau

INDISPENSABLES AIDANT·ES

Les valides qui aident des personnes en situation de handicap pratiquant un sport doivent concilier compétences sportives et qualités humaines. Ils déplorent que leur statut soit encore mal reconnu.

Elle est concentrée, ne tremble pas. Le regard pointé sur la rampe qui lui sert à lancer ses balles. Du bleu, du blanc, du rouge, les couleurs des boules de boccia. “Stop, vers toi, vers toi, stop. Là c’est bon. Tu vas à 14”, lance Mathilde Troude. Son assistant, Iliès, exécute fidèlement les directives en plaçant une à une les balles sur la rampe, dos au jeu, mais face à Mathilde. “Dans le jeu, elle c’est la tête et moi, je suis ses mains”, sourit le jeune homme de 24 ans en regardant sa partenaire faire glisser ses balles à l’aide d’une baguette en métal qu’elle tient dans la main. D’autres, comme Yanis, utilisent une licorne: une tige malléable reliée à un casque. “Comme ça, c’est bon?”, demande son assistante encore novice. Yanis acquiesce et lance sa balle qui vient se placer tout proche du jack, l’équivalent du cochonnet à la pétanque.

Apparue en 1984 aux Jeux paralympiques pour des personnes en fauteuil roulant atteintes au niveau des quatre membres, la boccia se joue de manière individuelle ou collective, jusqu’à trois joueur·ses par équipe. Chaque joueur·se dispose de six balles au début de chaque manche. La France compte aujourd’hui plus de 3 000 licencié·es, ce qui en fait le sport le plus pratiqué par les personnes en situation de handicap. Chaque mardi matin, Mathilde, membre de l’association Handisport Richebourg, s’entraîne à la Fondation Mallet. Un foyer d’accueil médicalisé qui a pour mission d’accompagner les personnes en situation de grand handicap comme Mathilde, Yanis ou Najim.

Iliès guide Mathilde dans sa pratique de la boccia depuis plusieurs mois. © Azilis Briend

L’autonomie des joueur·ses de boccia étant limitée, beaucoup ont besoin d’être assisté·es pour leur pratique en club. Une aide qui va de l’installation à la manipulation du matériel, de la mise en place de situations d’entraînement aux confrontations sportives. “On est à la fois leur assistant de jeu, leur ami et leur auxiliaire de vie”, explique Iliès, qui a mis plusieurs mois à gagner la confiance de Mathilde, et inversement. “Il m’entraîne depuis plus de deux ans et il me donne beaucoup de son temps. Sans lui, je ne pourrais pas exercer mon sport”, confirme la jeune femme originaire de Saint-Malo, en Ille-et-Vilaine, passionnée de boccia depuis l’enfance. Elle fait aujourd’hui partie du collectif France et se retrouve régulièrement sur le podium au côté d’Iliès lors de compétitions internationales.

Il y a deux ans, Iliès ne connaissait rien au monde de la boccia. L’ancien étudiant en Staps – qui s’est spécialisé en sport adapté en troisième année de licence – est devenu en peu de temps l’assistant de Mathilde et sportif de haut niveau. “Tout comme Mathilde, j’ai été inscrit sur la liste ministérielle, qui reconnaît mon statut. J’ai dû passer différents tests mais pour sportifs valides”, détaille Iliès. En revanche, “si Mathilde vient à concourir avec l’équipe de France, un staff lui sera mis à disposition dont des assistants”. La reconnaissance des sportifs en situation de handicap sur la liste de haut niveau date de 1993.

Les grands oublié·es

Certain·es pratiquant·es se déplacent avec un déambulateur. © Azilis Briend

Le rôle de ces personnes valides auprès des sportif·ves en situation de handicap ne s’arrête pas à la performance. Elles interviennent aussi dans les actes de la vie quotidienne, en fonction de l’ampleur de la déficience. “Yanis, l’un de nos joueurs avec un très lourd handicap, va participer à une compétition pour le collectif France en mars prochain. Il a besoin d’un lit médicalisé et c’est à nous, les assistants, de faire la démarche pour lui en trouver un, explique Iliès. Il faut aussi des chambres avec des salles de bain adaptées pour pouvoir les doucher. En fait, on doit constamment tout planifier.” Le jeune homme passe aujourd’hui 15 à 20 heures par semaine à l’entraînement auprès de Mathilde, en plus de son travail d’éducateur sportif à la Fondation Mallet.

“Ça m'est arrivé de poser des jours pour pouvoir partir avec elle. Ce n’est pas normal de devoir faire ça, surtout en haut niveau.” Pour lui, l’aide financière apportée par les fédérations n’est pas suffisante. “Mathilde dépense 10 000 euros de sa poche sur une année. Ça va du matériel de boccia aux frais pour son fauteuil roulant, en passant par le prix des stages et des compétitions. Évidemment, les assistants payent aussi les frais de déplacement”, déclare le jeune homme.

“Ça m'est arrivé de poser des jours pour pouvoir partir avec elle.”

Il pointe également un manque d’accompagnement de la part des fédérations, aussi bien au niveau du staff médical que du matériel technique nécessaire à la pratique de la boccia. “En Angleterre, en Espagne et au Portugal, il y a un vrai staff médical, du bon matériel. Tout comme en Asie où il existe une réelle culture boccia. Les joueurs sont d’ailleurs rémunérés et ne payent pas leurs compétitions. En général, dès qu’un pays organise les Jeux, j’ai l’impression que ça va beaucoup mieux pour la discipline. Espérons que ce soit le cas avec ceux de Paris.”

Rêver plus grand

Une meilleure reconnaissance du statut d’assistant renforcerait l’accès aux droits de ces personnes qui accompagnent les sportif·ves atteint·es d’un handicap. Et ce, pour n’importe quelle discipline paralympique. Malgré tout, les choses progressent et l’investissement des guides, assistant·es de jeu et accompagnateur·ices grandit au fil du temps. En boccia, ils ne se contentent plus de ramasser les balles ou de déplacer les rampes. Les assistant·es réfléchissent à la stratégie et au contenu des séances d’entraînement afin d’atteindre la très haute performance. “C’est beaucoup de remise en question parce que je vois peu ma famille ou mes amis. Financièrement, c’est compliqué… Mais l’humain prend le dessus. Je ne me vois pas abandonner Mathilde qui a beaucoup de potentiel”, avoue Iliès. Il sait que la complicité qui règne dans le binôme permet de mieux gérer les émotions autant qu’elle influe sur les performances. “Si je ne vais pas bien, elle n’ira pas bien et vice versa. Si on gagne, c’est à deux. Pareil si on perd.”

Compétitrice dans l’âme, tout comme son guide, Mathilde se prend à rêver d’équipe de France. Peut-être aux côtés de grands noms de la boccia, comme Samir Vanderbeken et son assistant Thomas Walgraef, champions d’Europe par équipes en 2019. Les Jeux paralympiques de 2024? Iliès est confiant: “On ne sait pas encore quand ça se fera mais elle a toutes ses chances. Sa sélection est “un défi qu’on saura relever ensemble à l’entraînement”.

Azilis Briend

“Dans les pas de son guide”

Déficient visuel et triathlète, Ludovic Petitdemange milite pour une pratique partagée entre valides et non-valides, à travers l’association A2Cmieux qu’il préside.

L’association A2CMieux créée en 2018 a pour but d’aider et d’accompagner les déficients visuels à pratiquer des activités sportives telles que la natation, la course à pied ou encore le vélo. “On accompagne des clubs pour accueillir les déficients visuels et créer des binômes avec leurs adhérents, indique Ludovic Petitdemange. Nous avons constamment besoin de guides, tous niveaux confondus.” Le triathlète ajoute: “Pour la course à pied, on fait en sorte de mettre un valide avec un niveau un peu plus élevé que le sportif en déficience visuelle, afin qu’il puisse s’entraîner dans les pas de son guide.”
Coopérant avec l’Institut national des jeunes aveugles (INJA), l’association A2CMieux accueille tous les profils: étudiants, retraités, pères ou mères de famille, pratiquants valides en quête de nouvelles expériences sportives... “On se charge de les former au mieux et qu’ils puissent se familiariser à toutes les techniques de guidage afin que les sportifs en situation de handicap puissent s’insérer au mieux dans un club valide.”