Vivre ensemble

S’adapter aux activités de l’humain ? La biodiversité a le mode d’emploi. Pour éviter de disparaître, les espèces n’ont d’autre choix que de modifier leur mode de vie. Silencieusement, le vivant surprend par sa capacité à se métamorphoser. Les animaux sont-ils parvenus à apprivoiser les effets destructeurs de nos activités ? La mésange, le moustique, et le sanglier… En plongeant dans l’univers de ces trois espèces, il semblerait que cette adaptation ne soit pas toujours gage d’une existence meilleure.

Phoques-Article-3.jpg
Phoques-Diapo 1.jpg
Phoques-Diapo 4.jpg
Phoques-Diapo 5.jpg
Phoques-Diapo 3.jpg

Crédits :

  • Phoques gris photographiés à l'archipel des Glénan, dans le Finistère, décembre 2023. ©Célestin de Séguier

« J'ai nagé avec les phoques pour la première fois il y a sept ou huit ans sur l’archipel des Glénan et depuis, j’en vois de plus en plus. Ce sont des animaux très sympathiques qui viennent jouer dans les palmes. » Erwan Le Guilloux est patron pêcheur à bord du Dishual à Loctudy, petit port du Finistère sud. Il a été le témoin du retour de l’espèce protégée dans ce territoire breton. Devant son bateau en bois vert, « le plus ancien du port », l’ancien biologiste voit le retour du grand prédateur d’un bon œil : « C'est le signe que l’écosystème marin est en bon état. »

Dans le Finistère sud, après avoir disparu à cause de l’exploitation humaine, les populations de phoques gris sont en hausse. D‘effectifs nuls au début des années 2000, la population a atteint 45 individus en avril 2023. Cette augmentation n’est pas liée aux naissances locales, aucune n’a encore été recensée dans le sud de la Bretagne. Elle serait due à l’élargissement des colonies anglo-saxonnes dont certaines populations trouvent ici des sites de repos, d’alimentation et du calme, loin des humains. Pour l'association Bretagne Vivante, qui réalise le suivi scientifique des phoques sur l’archipel des Glénan, la zone constitue un habitat naturel propice pour l’espèce, à la limite sud de son aire de répartition.

article1.JPG
Erwan Le Guilloux devant son bateau le Dishual, à Loctudy. © Célestin de Séguier
bretagnefinnnnnnallll-01.jpg

Dans le port de Concarneau, face à l’archipel des Glénan, le raillement des goélands argentés résonne face à la criée. Ils se battent pour les restes des pêches de la nuit. À bord de l’Idéfix, Marc Chaduc attache ses amarres et range son matériel. Il rentre du large où il a déposé ses pièges à crustacés. « Les phoques, on n’a rien contre eux mais, ils n’ont rien à faire là », lance le marin de 50 ans en débarquant une caisse à poissons. Sur les pontons, le retour du phoque gris ne fait pas que des heureux.

« Je peux comprendre l’énervement de certains pêcheurs. Si je vois un phoque demain, je n’ai pas forcément envie de lui serrer la main. » Mathieu Claquin, 26 ans, est patron de pêche à Audierne et dirige son bateau, le Noz Dei II, depuis six ans. Il est confronté, comme beaucoup, au phénomène de déprédation. Avec son régime alimentaire opportuniste, le phoque gris n'hésite pas à se servir dans les filets des pêcheurs. « Hier, j’ai retrouvé quatre têtes de bar dans un filet. Si tu vas chercher 200 kilos de poissons et que tu ne trouves que les têtes, tu perds ton gasoil, du temps et tes filets sont abîmés… Les phoques, c’est des emmerdes, ils bouffent tout ce qui traîne. » Pour certains professionnels, le phoque serait donc un concurrent.

Lamya Essemlali, présidente et cofondatrice de Sea Shepherd France, association vouée à la protection des écosystèmes marins et de la biodiversité, balaye cet argument. « Pour les pêcheurs, qui considèrent que l’océan est leur garde-manger exclusif, un poisson pêché par un phoque sera toujours un poisson de trop. » Elle estime que si les marins pêchent moins, ce n'est pas à cause du phoque, mais avant tout le fait de la surpêche : « D’une manière générale, on pêche trop, on pêche mal, on a des méthodes qui ne sont pas sélectives. »

Dans les mailles du filet

0:00
0:00

L'affaire du phoque décapité

Retour sur une enquête judiciaire qui a marqué le Finistère

De plus, l’opportunisme alimentaire du phoque gris peut parfois se faire à ses dépens. Il arrive que certains individus restent bloqués dans les mailles des filets et se noient. La mortalité par pêche accidentelle reste très difficile à déterminer car les déclarations par les pêcheurs sont rares. Selon Marine Leicher, cheffe de projet oiseaux marins et milieux insulaires à Bretagne Vivante, environ 30% des individus qui s’échouent à la côte seraient victimes des filets. Sans compter les cadavres qui ne l’atteignent jamais.

En 2019, une affaire de capture accidentelle prend une ampleur nationale inédite. La tête d’un phoque est retrouvée à la jetée du port de Concarneau, accrochée à un cordage. Après enquête de la gendarmerie maritime, un procès est ouvert ; Sea Shepherd et d’autres associations environnementales se portent partie civile. Le coupable, un marin pêcheur, reconnaît avoir décapité l’animal.

Depuis son port d’attache, dans l’intimité d’un café, un pêcheur finistérien se souvient de deux phoques morts dans ses engins de pêche. Il se remémore l’hésitation ressentie avant de jeter l’animal mort par-dessus bord : « Ça me faisait mal au cœur de juste le balancer, alors j’ai coupé des moustaches pour garder quelque chose de ma capture. » Il raconte : « Malgré ma vigilance, je les ai eus à un mois d'intervalle pendant l’hiver 2021. »

En dépit de l'obligation de déclaration des prises accidentelles instaurée le 1er janvier 2019, le fileyeur n’a pas fait les démarches. « Flemme, flemme d’être emmerdé. Sincèrement je pense que les trois-quarts des gens qui capturent des phoques sur la zone ne les déclarent pas. » Pour Bretagne Vivante, l’association en charge du comptage des phoques, la sous-déclaration des pêches accidentelles empêche les scientifiques d’estimer correctement leur nombre, leur fréquence et leur incidence réelle sur les colonies bretonnes.

« Le risque, c’est qu’on nous interdise de pêcher »

L’homme de mer, qui n’a pas souhaité dévoiler son identité, craint pour sa profession. « Ça me fait chier de tuer des phoques mais je veux sauver ma peau de pêcheur. Le risque pour nous, c’est d’avoir Sea Shepherd sur le dos, que ça devienne médiatisé et qu’on nous interdise de pêcher. » Le pêcheur a en tête le dossier de la capture accidentelle de dauphins dans le golfe de Gascogne, longtemps fer de lance de l’organisation de protection des écosystèmes marins. Après des années de campagne, elle a réussi à imposer un mois d’interdiction de toute pêche en février, entre 2024 et 2026. « Les phoques, c’est potentiellement le prochain sujet délicat et quand je vois l'omerta, non merci », s’inquiète le pêcheur.

Phoques-Article-2.jpg
La pêche au filet est la principale responsable des captures accidentelles de phoques gris. © Célestin de Séguier

Au comité des pêches du Finistère à Ergué-Gabéric, près de Quimper, Morgane Ramonet, chargée de mission, abonde dans le même sens : « Dans l’imaginaire collectif, le dauphin c’est Flipper et le phoque c’est Brigitte Bardot. » Les professionnels de la pêcherie craignent de voir le sujet récupéré par l’opinion publique et leur activité interdite. La Finistérienne prétend même que les pêcheurs jouent un rôle dans la prolifération des phoques qui « vont au supermarché [en se servant dans les filets] au lieu de pêcher eux-mêmes. »

Un dialogue difficile

Le comité de pêche ne demande pas l’instauration d’une régulation du nombre de phoques mais, c’est un argument avancé par certains pêcheurs lors des réunions de concertations. Ils seraient favorables à des quotas d'abattage. « Pour éviter de pêcher les phoques, tuons les phoques, c’est logique », s’agace Lamya Essemlali, présidente et cofondatrice de Sea Shepherd France. Pour la militante, l’attitude des pêcheurs ressemble à celle des éleveurs de brebis face aux loups. Dans les deux cas, « ça dénote d’une incapacité à partager les espaces naturels avec les autres espèces : on s'accapare tout. La cohabitation avec les prédateurs, on n’y arrive pas. »

Pour Marine Leicher, cheffe de projet à Bretagne Vivante, la solution passe par le dialogue : « Il y a besoin de créer du lien entre pêcheurs, chercheurs, et acteurs socio-économiques, d’avancer ensemble et de créer un climat de confiance. » Cela pourrait passer notamment par l’accompagnement des pêcheurs dans la mise en place de moyens techniques comme des caméras embarquées ou des pingers - répulsifs acoustiques accrochés sur les filets. Or, la difficulté principale reste de libérer la parole et à ce jour, « il n’y a pas assez de dialogue ».

Une clinique pour les phoques échoués

À Brest, l’Acmom, association pour la conservation des mammifères et des oiseaux marins, recueille chaque année une vingtaine de phoques échoués sur le littoral. Les animaux sauvages guérissent, cicatrisent puis reprennent du poids avant de pouvoir rejoindre la mer. Immersion avec les soigneurs et leurs jeunes protégés.

0:00
0:00

Homo Sapiens

« Laisse-moi tranquille »

0:00
0:00

Canis Lupus

« Tu me fais peur »

Le loup et l’humain, deux espèces qui ne se comprennent pas. D’un côté, les humains subissent de plus en plus les attaques contre leurs brebis. Ingrid et André, éleveurs dans les Alpes, réussissent à cohabiter avec lui. Leur voisine Isabelle, elle, ne trouve pas de solution.
De l’autre côté, les loups jouent avec leurs propres règles, et se moquent des clôtures. Ils se battent pour survivre sur leur territoire loin des fusils. Entre la perception des humains et celle des loups, un récit de vie avec Canis Lupus et Homo Sapiens, une tentative de dialogue.

Loup1Retouche.jpg
Ingrid et André Briclot ont 450 brebis. Ils réussissent à les protéger contre les deux meutes de loups qui vivent près de leur exploitation.
Loup2Retouches.jpg
Le patou est un chien de montagne des Pyrénées qui est utilisé pour protéger les troupeaux contre les prédateurs.
Loup3Retouche.jpg
Ingrid Briclot dans l’enclos de ses brebis qu’elle vient de rentrer pour l’hiver.
Loup4Retouches.jpg
Sur les pièges-photos, Ingrid et André Briclot voient régulièrement des loups s'approcher de la clôture, sans chercher à la franchir.
Loup5Retouches.jpg
André Briclot prend soin de ses brebis qui n’ont plus subi d’attaque de loup depuis treize ans.
Loup6Retouches.jpg
Douze chiens de berger, des patous, protègent le troupeau d’Ingrid et André Briclot contre les attaques de loup.
Loup7Retouches.jpg
Ingrid et André Briclot, éleveurs de brebis à Turriers, commune des Alpes-de-Haute-Provence.
Loup8Retouches.jpg
Isabelle Samuel et son conjoint Brahim sont éleveurs dans les Alpes-de-Haute-Provence. Leur troupeau vit toujours sous la menace du loup.
Loup9Retouches.jpg
Isabelle Samuel ne trouve pas la solution contre la prédation du loup sur son troupeau de brebis.
Loup10Retouches.jpg
Le chien de protection vit avec le troupeau et le protège contre des attaques de loups.

Sources :

  • Rigaux, P. (2020). Loups un mythe vivant. Delachaux et Niestlé
  • Morizot, B. (2016). Les Diplomates, cohabiter avec les loups sur une autre carte du vivant. Wildproject
  • Amari, M. (2023). Des loups, des humains et la Mort, ou comment cohabiter avec les loups. École Normale Supérieure, Département de Biologie, PSL Université Paris
  • Hansen Wheat, C., Larsson, L., Berner, P., & Temrin, H. (2022). Human directed attachment behavior in wolves suggests standing ancestral variation for human dog attachment bonds. Ecology and Evolution, 12(9), e9299
  • Bettenfeld, P. (2023). Quand il n’y a plus de cerfs, les loups mangent des loutres. Planète Vie. Consulté le 15 décembre 2023

Crédits :