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Au cœur d'un groupement forestier

Une plongée avec ceux qui achètent des forêts pour les protéger.

À la fin de la Deuxième Guerre mondiale, il faut du bois pour reconstruire la France. Le massif bourguignon devient l’un des principaux pourvoyeurs. Mais toutes les essences ne se valent pas. Plus rentables et productifs, les résineux prennent de l’ampleur et remplacent progressivement les forêts de feuillus. Désormais, ce mode de sylviculture intensive ne fait plus l’unanimité. En 2003, une nouvelle forme de gestion naît : c’est la création du groupement forestier de sauvegarde des feuillus du Morvan. L’idée est simple : chaque personne peut acheter une part du groupement. L’argent sert ensuite à acquérir des parcelles de forêts. Aujourd’hui, le groupement compte plus de 1200 sociétaires et possède plus de 400 hectares de terrain.

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L'Eurométropole de Metz compte plus de 36 000 points lumineux. Crédit : Jade Lacroix

Il est 1h20 dans le quartier de Devant les ponts, à Metz. Tous les lampadaires sont éteints, l’obscurité quasiment complète n'est perturbée que par quelques fenêtres encore allumées. Dans le noir, une chauve-souris chasse des insectes. Ce mammifère nocturne a besoin de cette obscurité pour se nourrir. Mais il est menacé par la pollution lumineuse. « La lumière agit comme un repoussoir, elle fait fuir les chauves-souris de leur habitat ou au contraire les empêche de sortir. Cela rend leur chasse beaucoup plus difficile », explique Giacomo Jimenez, de la Commission pour les chiroptères de Lorraine. Face à l'extinction des espèces nocturnes, l'Eurométropole de Metz a plusieurs outils pour agir : la trame verte et bleue, et la trame noire. La première veut protéger les espèces aquatiques et terrestres. Quant à la trame noire, c'est un corridor écologique caractérisé par une certaine obscurité, permettant à la biodiversité nocturne de s'épanouir. Dans l'Eurométropole de Metz, 28 communes sur 46 se sont engagées dans cette démarche. En moyenne de minuit à 5h du matin, les lampadaires et éclairages publics y sont éteints. « Le travail se concentre sur l’extinction des lumières et sur la rénovation du parc d’éclairage », souligne Lisa Salmon, chargée de mission biodiversité et paysage à l’Eurométropole. Selon elle, les quartiers du centre-ville restent allumés ainsi que ceux « jugés sensibles du fait de la présence de caméras de vidéoprotection et/ou d’une forte activité nocturne ».

Une réflexion menée avec trois bureaux d’étude

Si certaines communes de l'Eurométropole éteignent les lumières la nuit depuis une décennie, c'est en 2019 qu'une réflexion autour d'une trame noire comme corridor écologique, commence. L'Eurométropole a alors commandé une enquête à trois bureaux d’études : TerrOïko, dédié aux technologies environnementales, Auddicé biodiversité, spécialisé dans la transition énergétique, et Dark Sky Lab. « C’est le seul bureau d’études dédié à la pollution lumineuse de France, voire même du monde », s'enorgueillit Sébastien Vauclair, le fondateur de Dark Sky Lab. Pendant un an, des membres de ce bureau ont travaillé avec la collectivité. « On a réalisé des cartographies pour caractériser la pollution lumineuse. Pour cela, on rallume les points lumineux la nuit pour observer les variations en fonction de l’heure, de la météo...On a aussi pris en compte les usages de la ville. Avec tous ces éléments on a établi des préconisations : rénovation du parc d'éclairage, extinction des lumières, comité "environnement nocturne"… »

Un changement de municipalité

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Marie Diligent a suivi une formation de sensibilisation à la pollution lumineuse en 2022. Crédit : Marie Diligent

Ce travail de réflexion a été commandé par la municipalité précédente, qui rassemblait socialistes et écologistes. Mais en 2020, c’est François Grosdidier, alors membre des Républicains, qui est élu maire de Metz et qui devient aussi président de l'Eurométropole. Le changement à la tête de la mairie fait passer le projet de trames noires au second plan. Une politique d'extinction est finalement mise en place en octobre 2022, surtout en réaction à la flambée des prix de l’énergie. Quant au Plan local d’urbanisme (PLUi) de l’Eurométropole de Metz adopté en 2023, il évoque la trame noire uniquement comme un dispositif à renforcer, une réflexion qu’il reste à mener. Il ne prévoit pas de mesures spécifiques. « C’est une recommandation, pas une forme de réglementation », insiste Lisa Salmon, de l’Eurométropole.

Reste que les zones éteintes sont fragmentées au lieu de former un corridor continu qui permettrait à la faune nocturne de se déplacer. C'est pour cette raison que l’association des Amis de la Terre Moselle s'est opposée à ce PLUi. « Il doit faire un rappel sur les problématiques écologiques mais ce n’est pas le cas. Les urbanistes et promoteurs mettent encore des lumières partout même dans les nouveaux éco-quartiers », s'indigne Marie Diligent, trésorière de l’association, engagée contre la pollution lumineuse.

Une pétition avec plus de 11 000 signatures

Si la situation actuelle frustre les associations environnementales, l'extinction nocturne rencontre aussi l'opposition de citoyens. « C’est une atteinte à nos libertés de mouvement », assène Cédric Borr, coupures de journaux et courrier en main, dans un fast-food du centre de Metz. Cet habitant de l’Eurométropole a lancé une pétition en février 2023. Intitulée "Non à l’extinction de l’éclairage public entre minuit et 5h", elle a rassemblé plus de 11 000 signatures. « Je suis sensible à l’écologie mais pas celle punitive », proclame le Lorrain. Dans les rues de Metz, tous les avis ne sont pas si tranchés. « Il faut conscientiser les gens et ne pas voir l’écologie comme quelque chose d'archaïque », clame Jean*, un agent de sécurité sur le marché de Noël diplômé en environnement. Lui est favorable aux trames noires. « Il faudrait tout éteindre. Parler de la peur de la nuit c’est pour promouvoir plus de sécurité ». Christian, 64 ans et ouvrier sur un chantier, ne se sent pas concerné par le problème. « Bah oui, moi je dors la nuit ! »

*Le prénom a été modifié

L’impact de la pollution lumineuse sur la biodiversité

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Carte de la pollution lumineuse en France métropolitaine en 2022. Crédit : Light Pollution Map

28% des vertébrés et 64% des invertébrés vivent partiellement ou exclusivement la nuit. La pollution lumineuse impacte leur mode de vie, notamment celui des chauves-souris. Dans une étude menée pendant sept ans sur une espèce de ce mammifère, la sérotine commune, des chercheurs de l'observatoire Vigie-Chiro ont réussi à estimer l'impact de la pollution lumineuse. Elles seraient « moins abondantes dans des paysages pollués par la lumière artificielle ». L’étude conclut également que la pollution lumineuse « pourrait se traduire par un temps de chasse plus restreint ainsi qu’une désynchronisation avec les pics d’activité des insectes dont elles se nourrissent, et donc se répercuter sur l’état des individus, leur fécondité et survie, voire sur les populations ». Entre 2006 et 2019, la sérotine commune a perdu 30% de ses effectifs en France métropolitaine.

Les chauves-souris ne sont pas les seules concernées. En 2023, l’office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques (OPECST) estimait qu’un tiers des insectes attirés par des lumières artificielles meurent avant la fin de la nuit. Cela représente entre 400 à 1600 insectes par nuit et par lampadaire. Une donnée à multiplier par le nombre de points lumineux en France, 11 millions. « C’est un génocide ! » pour le fondateur du bureau d’étude Dark Sky Lab. Un autre sujet de préoccupation pour la préservation de la faune et de la flore : les LEDs. Utilisé depuis les années 2000, ce type d’ampoule produit une lumière bleue. « C’est le pire ! C’est la deuxième cause de mortalité pour les insectes. Et contrairement aux insecticides qui sont la première cause, la lumière bleue tue tous les insectes sans discrimination », soutient Marie Diligent. La dangerosité de la lumière bleue pour la biodiversité a été prise en compte dans la réglementation. Les lampadaires installés depuis 2020 doivent obligatoirement utiliser une lumière chaude, inférieure à 3000 kelvin. Le halo doit aussi se concentrer vers le sol et non vers le ciel, où les oiseaux et chauves-souris se déplacent. Mais la lumière n’a pas que des impacts sur les animaux. Toujours selon l'OPECST, la perturbation de notre horloge biologique de par l’exposition à la lumière peut entraîner « une altération du sommeil, des troubles de la mémoire, de l’humeur, de l’attention, mais également des risques cardio-vasculaires, ainsi qu’une augmentation des risques de cancer du sein et de la prostate, de diabète ou d’obésité ».

Son avenir ne tient qu’à un fil. Éliminé des forêts d'Europe de l'Ouest au siècle dernier, le lynx boréal a été réintroduit au compte-gouttes à partir des années 1980. Avec plus ou moins de succès : si la population est relativement stable dans les Alpes et le Jura, elle vacille dans les Vosges et dans les régions allemandes du Palatinat et de la Forêt-Noire. Le plus grand félin d’Europe est victime de braconnage, d’accidents de la route, de l’urbanisation qui fragmente son habitat et complique sa reproduction… De part et d’autre du Rhin, de nombreux passionnés veulent croire qu’il a toujours sa place dans l’écosystème forestier. Reportage en France, en Allemagne et en Suisse.