Les marchand·es de proximité accommodent la ruralité


Article et photos de Louise Pointin
Infographie d'Amanda Marmillod
Vidéo de Chantal Ried et Jules Schnitzler

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Près de 21 000 communes françaises sont dépourvues de commerces. Dans le Jura, des initiatives visent à faciliter l’accès aux services pour les habitant·es des zones reculées. Épicerie, poste, boulangerie, espace de jeux : ces dispositifs mobiles ou fixes renforcent le lien social.

Itinéraires sinueux pour les ambulant·es

Sur les routes du Haut-Jura comme dans de nombreux secteurs ruraux, les commerçant·es ambulant·es apparaissent peu à peu comme une solution au manque de services. Mais le chemin de l’itinérance est un parcours du combattant.

Quatre villages, plus de 50 kilomètres, sept heures sur la route : chaque matin, depuis septembre, David-Alexandre Seiller sillonne le Haut-Jura au volant de son épicerie itinérante, l’Happy’cerie. Dès 6 heures, il charge les produits secs, installe charcuteries, viandes et fromages dans sa vitrine réfrigérée, puis il part récupérer pains et légumes chez la boulangère et le primeur du coin.

8 h 30 : première halte de sa tournée. Son circuit change chaque jour. Du lundi au vendredi, il gare son camion vert et gris dans une vingtaine de villages différents. « C’est un peu sport mais on prend le rythme ! Ça faisait longtemps que j’avais envie de me lancer en itinérance. » Le déclic arrive en janvier 2024, quand le Jurassien est licencié pour raison économique de son poste de commercial dans l’industrie de la lunette.

Il part d’un double constat : Châtelneuf, son village, est à une quinzaine de kilomètres du premier magasin et les commerçant·es ambulant·es ont disparu. « J’ai lancé un sondage auprès d’une cinquantaine de communes autour de chez moi pour savoir si elles aimeraient voir passer un épicier. Je me suis dit que si elles étaient partantes, je me lançais. » Le résultat est sans appel : près de 90 % des communes se montrent intéressées.

« Aujourd’hui, tout ce dont nous avons besoin au quotidien existe en camion. Mais les itinérants restent encore des acteurs méconnus, constate Pierre-Daniel Calonne, auteur d’un manifeste pour l’itinérance en milieu rural avec l’association Mon P’tit camion. Cela suscite une forme de méfiance et un mauvais accompagnement. »

David-Alexandre Seiller parcourt une vingtaine de communes au volant de son épicerie. ©Louise Pointin

Des débuts tâtonnants

De son côté, David-Alexandre Seiller a été aiguillé par la BGE, un réseau associatif d’accompagnement à la création d’entreprise. Lui aussi a appris sur le terrain. « Les organismes d’accompagnement n’ont pas les connaissances suffisantes pour pouvoir accompagner sur la spécificité du commerce ambulant. Les commerçants vont chercher les informations ailleurs mais on ne trouve que des informations parcellaires », explique Pierre-Daniel Calonne.

Une fois son budget et son dossier montés, David-Alexandre Seiller doit encore démarcher les différents organismes de financement. « J’ai eu de la chance parce qu’un commerçant ambulant passait dans le village des parents de ma banquière et elle voyait que ça fonctionnait. Le réseau Initiative France [réseau d’associations d’accompagnement des auto-entrepreneur·euses, ndlr] était beaucoup plus réticent parce que je n’étais pas sédentaire. »

Une mauvaise image colle à la peau des itinérants. On vit dans une société très sédentaire alors ça interroge.

Dans le même temps, David-Alexandre Seiller doit établir le parcours de sa tournée avec le camion racheté à un boulanger ambulant de la Marne sur Leboncoin. Dans les villages dépourvus de commerces, L’Happy’cerie est accueillie à bras ouverts. Mais dès qu’un commerce fixe est installé dans le secteur, ça coince. « Un seul maire s’est montré dubitatif parce qu’il y avait une épicerie dans le village d’à côté. Je lui ai répondu que pour les personnes sans voiture, c’était déjà trop loin », défend l’épicier. Alexandre Vallès, directeur de Mon P’tit camion, déplore qu’une « mauvaise image colle à la peau des itinérants. On vit dans une société très sédentaire alors ça interroge. C’est aussi valable pour les clients ».

Une gestion lourde

À 16 heures, le car scolaire dépose les enfants sur le parking au pied de l’église de Chemin, commune de 326 habitant·es. Certains parents attendent dans leurs voitures. Même après un an d’existence, ils jettent encore des regards intrigués vers le camping-car blanc et rose poudré de l’Envolée beauté, le salon d’esthétique itinérant d’Alice Paris, qui stationne là une fois par semaine. « Il faut que les gens me voient et osent rentrer. Mais une fois que c’est fait, ils reviennent. » Au début, elle comptait beaucoup sur la clientèle de son ancien salon. Désormais, elle accueille une nouvelle cliente presque chaque semaine. « Les itinérants doivent convaincre de venir chez eux, encore plus que les commerces fixes. Et ça, ils doivent le faire à plusieurs endroits », explique le directeur de Mon P'tit camion.

Une fois ses derniers soins prodigués, Alice Paris doit encore tout éteindre, nettoyer le camion, le ranger pour éviter qu’un produit ne tombe pendant le trajet. Dans un salon fixe, elle ne le ferait qu’en fin de journée. En itinérance, c’est à chaque arrêt : « J’ai à peu près vingt minutes d’aménagement au début et à la fin de chaque demi-journée. »

À cela s’ajoutent la route et la communication pour se faire connaître partout où elle se gare. « Toute la gestion représente à peu près 40 % du temps d’un commerçant itinérant. C’est autant d’énergie qui n’est pas utilisée pour développer son activité. Ça prend d'autant plus de temps que les fonctions ne sont pas mutualisées. Ce sentiment d’isolement peut décourager ou créer une frustration », analyse Alexandre Vallès.

Alice Paris a travaillé en salon pendant quinze ans avant de devenir esthéticienne itinérante. © Louise Pointin

Leurs horaires, leurs produits et surtout une proximité avec leur clientèle : Alice Paris et David-Alexandre Seiller ont trouvé une vraie liberté dans cette nouvelle activité. Leurs commerces ne sont pas encore rentables mais ils se voient continuer longtemps. L’esthéticienne itinérante envisage de garer son salon d’esthétique dans des centres de rééducation ou des maisons de retraite de son secteur : « J’aimerais leur apporter un petit moment de douceur dans leur semaine. »

Les commerçant·es itinérant·es, les absent·es des politiques publiques

La solution de l’itinérance commerciale a été évoquée une première fois par le Sénat en mars 2022 dans son rapport « Soutenir le commerce en milieu rural ». Les sénateur·ices ont rediscuté du sujet en mai 2023 lors d’un débat sur la France rurale. Depuis, aucune mesure n’a été prise. Les lieux polyvalents et les livraisons restent privilégié·es pour remettre des commerces en zone rurale, selon le manifeste de Mon P’tit camion et Bière Truck. Seule l’Agence nationale de cohésion des territoires s’est emparée du sujet. En mars 2023, elle a proposé de subventionner l'achat d’un camion à hauteur de 20 000 euros. Un dispositif d’aide encore peu connu.

Amanda Marmillod ©

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