Municipalité, ruralité, solidarité
Vidéo d'Almamy Sané

Dans les Vosges, les élu·es s’entraident face à la charge de travail et aux difficultés de mener à bien des projets. Une manière aussi de contrer leur propre isolement et celui de leurs administré·es.
Pour faire vivre son village, « il faut se battre en permanence et ne rien lâcher ». Maire de Mattaincourt, 825 habitant·es, Joris Huriot ne connaît que trop bien la machine administrative. « Quand on dépose un dossier pour des subventions, des fois on nous dit “votre projet n’est pas assez structurant pour le territoire”. Mais implanter un banc ou une table dans une commune de 50 habitants, c’est structurant localement », lâche l’élu de 32 ans.
Laboratoire de la ruralité, les Vosges se distinguent par des expérimentations pensées par et pour les communes rurales. Créé en mai 2021, Rur’agilité rassemble maires vosgien·nes, services de l’État et associations du département. Le dispositif est notamment à l’origine du label Villages d’avenir, implanté à l’échelle nationale en décembre 2023, qui apporte aux communes de moins de 3 500 habitant·es une aide à l’ingénierie. Sur 113 demandes émanant de communes vosgiennes, 64 ont décroché le label.
Frédéric Balaud, maire de Lerrain, devant la résidence senior qui verra le jour au printemps 2025. © Lucie Campoy
Le développement de projets d’aménagement et la gestion politique au quotidien sont depuis longtemps au cœur de la logique des communautés de communes (CC). Le département des Vosges en compte dix. Lerrain, 452 habitant·es, est membre de la CC Vosges Côté Sud-Ouest qui regroupe 60 villages représentés par un·e conseiller·e au moins. Pour son maire Frédéric Balaud, « la com’com a permis de s’ouvrir sur le monde rural. Avant l’intercommunalité, c’était un peu chacun pour soi. »
Participant aux réunions mensuelles, l’agriculteur de 61 ans s’est appuyé sur les élu·es voisin·es afin de valoriser son projet de résidence senior auprès de Villages d'avenir. La structure permettra aux personnes âgées de rester à Lerrain ou d'y emménager. « Il nous fallait des témoignages pour savoir si les maires nous soutenaient. Ils ont tous fait des courriers pour dire qu’il y avait un gros intérêt par rapport à la Poste et à la boulangerie grâce au maintien de la population. »
Véritables couteaux suisses, les élu·es en milieu rural se doivent de connaître tout le monde, de s’intéresser à tous les domaines, d’être disponibles 24 heures sur 24. Lionel Leclerc, maire de Mortagne, 181 habitant·es, est en poste depuis 2005, après avoir été conseiller dès 1995. L’ancien agent EDF multiplie les casquettes : conseiller à la communauté d’agglomération de Saint-Dié-des-Vosges, membre de plusieurs commissions à la préfecture et à l’Association des maires ruraux des Vosges, associé au plan France ruralités sur différents dossiers. « Tout cela me permet de rencontrer du monde. Quand je vais à la préfecture, j’en profite pour aller au bureau du contrôle de légalité. À force, les gens commencent à me connaître », sourit l’élu de 64 ans.
Dès qu’il a eu vent de l’aide régionale Coup de pouce rural en novembre 2024, il a appelé le chef de service développement territorial à la région Grand Est avec qui il avait travaillé au conseil départemental. « Il m’a dit “Ah ! Vous n’êtes pas en retard, les robinets ne sont pas encore ouverts”», se souvient Lionel Leclerc. Il a conscience que son ancienneté est un atout pour se créer un réseau : « Aujourd’hui, pour les nouveaux élus, c’est une usine à gaz quand il faut joindre quelqu’un. Après mon élection en 2005, le conseiller départemental a pris une journée pour me faire visiter le siège à Épinal. On a fait tous les bureaux et il m’a présenté. J’ai eu de la chance avec lui. »
Anne-Marie De Sousa et Lionel Leclerc, respectivement maires de Brouvelieures et de Mortagne, font cause commune pour le maintien d'une boulangerie dans les alentours. ©Lucie Campoy
Pour les maires qui cumulent un emploi avec leur casquette de maire, dégager du temps pour les relations publiques est plus difficile. Anne-Marie De Sousa est agente d’entretien hospitalier. À 61 ans, c’est son premier mandat en tant que maire de Brouvelieures. « Je n’ai pas le temps d’être dans des commissions donc j’ai délégué. Je passe déjà beaucoup de temps à la mairie et quand j’ai des réunions, je planifie avec mon responsable ou je prends sur mes jours de repos. » Débordée, elle a failli rendre son écharpe tricolore après la crise du Covid. Suivre des formations avec l’Association des maires des Vosges (AMV88) lui a donné des outils pour faire face à ses multiples responsabilités d’élue.
L’AMV88 propose depuis 1952 une formation chaque mois sur la gestion du stress dans l’exercice d’un mandat électoral, le droit de l’urbanisme, la recherche de financements, la gestion des conflits, la transition écologique ou encore la cybersécurité. Des réunions, du conseil juridique et un espace de discussion sur leur intranet sont aussi mis à disposition. L’association, qui regroupe 506 maires vosgien·nes sur 507, traite entre 600 et 800 questions par an. « On vit au quotidien les aventures des mairies, observe le président Dominique Peduzzi, également maire de Fresse-sur-Moselle et président de la CC des Ballons des Hautes-Vosges. L’essentiel de l’entraide, de la solidarité, du partage d’expériences se passe dans les réunions. »
Je pense qu’il faut s’unir pour faire pression.
La mobilisation prend parfois le chemin de la débrouille. Pour monter un dossier bien ficelé, éviter les pièges administratifs et réglementaires, rien ne vaut la coopération directe d’élu·e à élu·e. À Lerrain, dont la place principale réunit boulangerie, salle polyvalente et restaurant, la résidence senior sera livrée au printemps 2025. Mais un imprévu joue les trouble-fêtes. Pour des raisons fiscales, la commune ne pourra pas récupérer les 20 % du fonds de compensation de la TVA des huit logements en cours de construction, bien que le conseil municipal a budgétisé cette somme. Un trou de 300 000 euros.
Le sujet a le don d’énerver le maire Frédéric Balaud qui espère une dérogation préfectorale, unique moyen de débloquer la situation. « Ça va poser un problème pour la suite du développement du village, nos finances ont été calées. Ce soir, il y a une réunion de com’com, on va voir si on ne peut pas monter ensemble à la préfecture [deux autres communes sont concernées par ce souci de TVA, ndlr]. Je pense qu’il faut s’unir pour faire pression. »
Si la plupart des communes labellisées ont porté des projets seules, certaines ont décidé de la jouer collectif. Sept maires se mobilisent pour conserver la boulangerie de Brouvelieures, seul commerce de proximité. Le boulanger proche de la retraite cherche un·e repreneur·euse, pour l’instant sans succès. La vendeuse réalise des tournées à domicile dans trois villages tous les jours, sauf le mercredi. Une micro-entreprise de livraison se charge de douze autres communes. « On ne veut pas en arriver au dépôt de pain. Il faut penser aux personnes âgées. Des petites mamies attendent le pain comme le facteur, ce sont des moments d’échange », défend l’élu. L’idée est de trouver un boulanger et de l’aider à s’installer.
L'unique restaurant et la boulangerie de Brouvelieures sont en recherche de repreneur·euses. © Lucie Campoy
Réunissant près de 2 000 habitant·es, les villages de Brouvelieures, Mortagne, Belmont-sur-Buttant, Domfaing, Fremifontaine, Les Rouges-Eaux et Vervezelle ont été labellisés ensemble et l’étude commerciale devrait s’achever en janvier 2025. Du bon sens pour Lionel Leclerc. « Porter le projet seul, c’est difficile et onéreux. Alors que là, le maire de Fremifontaine gère davantage le business avec son œil d’entrepreneur et moi, un peu foufou, j’ai les idées et un pied à la préfecture. » Le premier édile de Mortagne se projette déjà : « Le restaurant mitoyen est à vendre avec de potentiels repreneurs. On pourra aller chercher son croissant et boire un café à côté. »
Être maire en milieu rural est une responsabilité de tous les instants. Une mission chronophage et contraignante, difficile à concilier avec la vie personnelle et professionnelle. Certain·es élu·es choisissent de démissionner ou de ne pas se représenter à la fin de leur mandat. Les candidat·es au fauteuil de maire se font de plus en plus rares.