L’UNION POLITIQUE
SERA HYBRIDE,
OU NE SERA PAS
La démocratie à l'européenne, malmenée par la gestion de crise, a besoin de nouveaux habits. Tous les acteurs politiques, comme les spécialistes des think-tanks, en conviennent : il faudra bien refonder une Union « politiquement correcte ».
D’un
côté, le Parlement et la Commission, impatients de récupérer leurs prérogatives perdues ces dernières années, poussent vers une intégration fédérale plus forte. Les eurodéputés veulent notamment
reprendre le contrôle sur les outils nés de la résolution de la crise. De
l’autre, le Conseil européen, à l’épreuve des événements, a éprouvé
l’efficacité de l’action intergouvernementale.
Méthode communautaires ou intergouvernementale faut-il vraiment choisir ? Ce n'est pas l'avis d'Angela Merkel. L’Union politique de demain sera sans doute hybride, et sa tête dirigeante demeurera le Conseil. européen. Reste au couple franco-allemand, plus central que jamais, à s'entendre sur la formule et son dosage. Il prend son temps. Sans oublier qu'une Union politique, aussi parfaite soit-elle, n'a aucune raison d'être si elle n'a pas de public face à elle...
Changement des traités :
quand les opposés convergent
Eurosceptiques et fédéralistes, aux extrémités de
l’échiquier politique, semblent bien seuls à partager la volonté de réviser d'urgence le traité
de Lisbonne.
Ils se mettent en ordre de bataille, révèlent leurs objectifs et leurs projets politiques, avec un point commun : la révision des traités européens. D'un coté, les fédéralistes, avec pour noyau dur le groupe parlementaire Spinelli (en hommage à Altiero Spinelli, l’un des fondateurs des mouvements fédéralistes européens). De l'autre, le gouvernement conservateur du britannique David Cameron qui plaide pour davantage de souveraineté des États membres. Tout débuterait en 2015 par une Convention constitutionnelle, méthode inaugurée en 2002 et consacrée par le Traité de Lisbonne. Représentants des gouvernements, de la Commission, du Parlement européen et des parlements nationaux seraient alors appelés à se réunir autour d'une même table pour proposer un compromis sur les dispositions du futur traité.
Pour le groupe Spinelli, l'intérêt européen prime
Les fédéralistes, rassemblés au Parlement européen autour du groupe Spinelli, représentent 110 députés sur 766, de nationalité et de sensibilité politique différentes. « Placer l'intérêt européen avant tout autre considération », est leur maître-mot. Les Spinellistes ont même publié en octobre dernier un projet de « Loi fondamentale pour l’Union européenne », qui doit servir de feuille de route vers plus de fédéralisme. Parmi ses 25 propositions, « la fin de l'unanimité pour la modification des futurs traités ; la création d'un statut de membre associé de l'Union européenne ; un budget de l'eurozone ». Pour la Française Sylvie Goulard (ALDE, France), membres fondateur du groupe « la situation actuelle n'est plus tenable. Si l'on veut être sérieux, il faudra changer les traités ».
Londres : la souveraineté avant tout
C'est bien une révision des traités qui figure aussi à l'agenda du Premier ministre britannique, qui a promis d'organiser, en 2017, un référendum sur l'avenir de son pays au sein de l'Union européenne. À condition, bien sûr, que le parti conservateur remporte les élections en 2015.
Londres disposerait ainsi du double atout du veto pendant la révision et du référendum à la sortie pour obtenir les aménagements qu'elle réclame à son profit : conserver le marché unique tout en récupérant des compétences attribués à l'Union. « François Hollande et Angela Merkel ne veulent pas que ces pouvoirs soient rapatriés au Royaume Uni », explique l' eurodéputé européen conservateur Ashley Fox (CRE, Royaume-Uni) Le référendum est donc essentiel pour pouvoir négocier». Car si la France et l'Allemagne ne répondent pas aux attentes britanniques, alors le référendum sur un traité révisé pourrait conduire à la sortie du Royaume-Uni de l'Union. « Ce que personne ne veut », rappelle toutefois Ashley Fox.
Un parti milite d'ailleurs ouvertement pour l’option radicale de la sortie, c'est l'UKIP (United-Kingdom Independence Party). C'est sa popularité grandissante qui a conduit David Cameron à promettre un référendum, au risque de se piéger lui-même. « Le Royaume-Uni vivrait mieux en dehors de l'Union. On ne veut pas de gouvernement politique commun avec les autres pays européens », affirme John Stuart Agnew (ELD, Royaume-Uni), membre de l'UKIP et député européen.
27 États pas pressés
Autant dire que le projet spinelliste a aussi peu de chance de voir a jour que celui de David Cameron. Ni Angela Merkel, ni François Hollande, ne sont prêts à tomber dans le piège tendu par le premier ministre anglais. A part lui, aucun chef de gouvernement ne paraît d'ailleurs disposé à affronter par les temps qui courent l'épreuve d'une ratification à 28. Le souvenir du fiasco du traité constitutionnel de 2004 reste dans tous les esprits.
Olivia Schmoll
Les instances hors traités
devront entrer dans les clous
Face à la crise financière, les sommets de l'eurozone, la troïka ou le mécanisme européen de stabilité ont été créés dans l'urgence, par voie intergouvernementale. Le Parlement européen entend mettre un terme à ces entorses à l'orthodoxie communautaire et contrôler toutes les instances hors traités instituées depuis 2011. C'est le sens du rapport des deux eurodéputés Roberto Gualtieri (PSE, Italie) et Rafał Trzaskowski (PPE, Pologne), adopté à Strasbourg le 11 décembre 2013, par 359 voix pour et 115 contre.
Pour redresser la situation et retrouver la confiance des électeurs, le Parlement est prêt à se montrer accommodant. Dans cette optique, le rapport propose aux gouvernements de passer par des voies détournées : des accords entre institutions, ou des clauses passerelles. Envisagées dans le traité sur l'UE, ces clauses permettent de transférer des compétences à l'Union sans recourir à une révision des traités.
En contrepartie, le Parlement européen souligne « qu'il est la seule institution de l'Union européenne qui représente directement les citoyens au niveau de l'Union, qu'il est l'organe parlementaire de l'Union économique et monétaire (UEM) et que sa participation appropriée est essentielle pour assurer la légitimité démocratique et le bon fonctionnement de l'UEM ».
Olivia Schmoll
Gouvernance de l’Union :
la méthode Merkel
À contre-pied de ceux qui présentent les méthodes communautaire et
intergouvernementale comme deux voies antagonistes pour faire avancer
l'Union, Angela Merkel les considère, elle, comme des instruments
complémentaires. En novembre 2010, devant les étudiants du collège d’Europe de
Bruges, elle avait exposé sa « méthode de l'Union ». Celle-ci recourt tantôt à
l'intergouvernemental, qui privilégie la souveraineté des États et
minimise le rôle de la Commission et du Parlement, tantôt à la
méthode communautaire, qui attache une grande importance à la
supranationalité de l'Union européenne avec d'importants pouvoirs
conférés aux institutions : la Commission, le Parlement et le
Conseil.
« Une position coordonnée de l’Europe n’est pas nécessairement le résultat de l’application de la méthode communautaire. Cette position commune est parfois aussi le fruit de la méthode intergouvernementale. Et ce qui est fondamental ici, c’est tout simplement le fait d’avoir une position commune. Ce que j’ai appelé « la méthode de l’Union » est ainsi une combinaison effective de la méthode communautaire et de l’action coordonnée des États membres ».
Olivia Schmoll
Un nouveau traité serait inutile selon un rapport
remis à Hollande
Le think tank Synopia a présenté à François Hollande, en octobre 2013, un rapport intitulé « Refaire l'Europe : Esquisse d'une politique ». Le Français Pierre de Boissieu, l’Italien Antonio Vitorino, le Néerlandais Tom de Bruijn et le Britannique Stephen Wall, quatre personnalités ayant occupé des fonctions de premier plan dans le domaine des affaires européennes ont signé ce rapport, qui a pour ambition de « proposer une démarche d'ensemble pour la zone euro et pour l'Europe des 28 ».
Pour ses auteurs, la création de nouveaux traités successifs empêche une lisibilité claire de l'Union européenne : « Dans aucun État membre les électeurs ne comprennent encore la signification de cette succession de traités. Les efforts accomplis pour "rapprocher les institutions européennes des citoyens" ont largement échoué. » Ils préconisent donc une alternative aux révisions de traités réclamées par certains eurodéputés. « Il faut cesser de procéder constamment à des modifications des traités, comme si des nouveautés institutionnelles pouvaient produire par elles-mêmes les politiques adaptées. Les traités en vigueur comportent la flexibilité nécessaire et toutes les bases juridiques requises pour l'action », écrivent les auteurs du rapport.
Un nouveau traité est donc considéré comme « l'ultime recours », puisque « pratiquement tout peut être fait sur la base des traités actuels, aussi bien en ce qui concerne la zone euro que l'Union européenne dans son ensemble. L'Union a aujourd'hui besoin de simplicité, de clarté, de sincérité. »
Olivia Schmoll
Le couple franco-allemand, toujours au centre du jeu
Davantage de supranational ou d'intergouvernemental, le dosage sera d'abord arrêté par Angela Merkel et François Hollande.
Six
mois après la contribution de leurs deux pays pour le renforcement
de la compétitivité et de la croissance en Europe, le président français et la chancelière allemande se sont rencontrés le 18 décembre à Paris. Juste avant,
lors de son discours d'investiture devant le Bundestag, Angela Merkel a
affirmé la volonté de son nouveau gouvernement de modifier les traités européens
pour accroître le contrôle des politiques économiques et
budgétaires par Bruxelles. Une position à contre-pied de ce que
veut Paris, qui préfère poursuivre l’intégration sans s'exposer à un désaveu de ses électeurs.
François
Hollande a souligné l’importance d’avoir « un
horizon commun qui doit devenir un agenda commun ».
Une des premières dates de ce calendrier sera le conseil des
ministres franco-allemand, le 19 février prochain. Ce sera
l’occasion de discuter des enjeux à venir, même si ces
discussions se préparent davantage en coulisses, à travers
d’innombrables rencontres informelles entre ministres, députés et
diplomates des deux pays tout au long de l’année.
Aux côtés du chef d’État et de la chancelière, les conseillers « Europe » jouent un rôle primordial dans les négociations. Philippe Léglise-Costa pour François Hollande à Paris, et Franz Neueder, l’adjoint de Nikolaus Meyer-Landrut pour Angela Merkel à Berlin, nous ont livré les points-clés de l’année à venir.
Quels sont les points sur lesquels la France et l’Allemagne s’entendent pour faire avancer l’Europe ?
Franz
Neueder (adjoint de Nikolaus Meyer-Landrut pour Angela Merkel à Berlin) :
Pour lutter contre la crise de l’euro, nous avons besoin d’un
mélange de croissance et de consolidation budgétaire. Sur ce point,
la France et l’Allemagne sont d’accord. C’est absolument
« common sense ». Traditionnellement, la France met
plutôt l’accent sur la croissance. Mais très vite après les
élections françaises, nous avons trouvé un compromis avec le pacte
pour la croissance et l’emploi en juin 2012. On l’a fait et ce
n’était pas si difficile que ça. Il y a certainement beaucoup
plus de sujets sur lesquels la France et l’Allemagne sont d’accord
que de sujets sur lesquels nous ne sommes pas d’accord. Souvent,
les experts et les médias attendent des grands changements. Mais en
réalité, il vaut mieux avancer par petits pas. Un chef d’État qui
fait de grands projets sait qu’il n’en verra pas les résultats
avant la fin de son mandat.
Philippe Léglise-Costa (conseiller « Europe » de François Hollande) : Nous avons trouvé un équilibre franco-allemand entre la nécessité d’assainir les finances publiques et le besoin de relancer la croissance. Dans l’Union économique et monétaire, nous avons dit qu’il fallait une politique économique de la zone euro, un programme de convergence fiscale et sociale, et une gouvernance clarifiée avec un président permanent de l’Eurogroupe. Nous nous sommes également entendus sur la mise en place de mécanismes de résolution et de supervision bancaire, malgré de plus en plus de réticences allemandes. Il reste les accords contractuels, sur lesquels nous n’avons pas encore trouvé de solution ; c’est le plus difficile, car il s’agit de déterminer comment structurer la coordination des politiques économiques. Et pour cela, il faut un mécanisme de solidarité, un instrument de financement. Il ne faut fermer aucune porte : l’Allemagne est contre une mutualisation des dettes, on ne pourra donc pas le faire dans les prochaines années. L’idée d’un très grand budget de la zone euro est aussi à garder, mais on en est loin.
Quels sont les enjeux pour le couple franco-allemand en 2014 ?
Franz
Neueder :
Nous (la CDU, parti conservateur, ndlr) venons de former une
grande coalition avec le parti social-démocrate (SPD), mais la
politique européenne de l’Allemagne ne changera pas pour autant.
Le chapitre consacré à l’Europe dans l’accord de coalition
prévoit une grande continuité, y compris pour les deux axes que
souhaite renforcer la chancelière : l’Union monétaire et la
coordination des politiques économiques. Concernant les autres
enjeux, ce n’est pas encore clair, nous verrons avec le temps. Un
sujet s’est ajouté à l’agenda : celui des réfugiés après
les événements de Lampedusa. Le budget annuel reste l’un des
grands thèmes avec le marché intérieur, la libéralisation des
chemins de fer européens, l’énergie et le climat. Les deux pays
sont sur la même ligne concernant les enjeux climatiques d’ici à
2030 et privilégient tous deux les énergies renouvelables, même si
la part du nucléaire diminue moins vite en France qu’en Allemagne.
Philippe Léglise-Costa : François Hollande et Angela Merkel sont à la tête de leur pays jusqu’en 2017. Ce qui leur laisse trois ans et demi ensemble. C’est bien et c’est rare. Cela permet une certaine stabilité dans la coopération franco-allemande. Les grands sujets pour cette période ? Les instruments de croissance, la problématique de l’énergie, du climat et de l’industrie, la défense, mais aussi la libre circulation des personnes. Ce dernier sera l’un des thèmes de la campagne des élections européennes de 2014, d’où l’importance de l’accord européen, encouragé par la France et l’Allemagne, sur les travailleurs détachés. Par ailleurs, il y aura bien sûr les commémorations du centenaire de la Première Guerre mondiale, celles des 70 ans du débarquement en Normandie et des 25 ans de la chute du mur. Ce sont des rencontres symboliques, mais le symbolique joue un rôle important dans les relations franco-allemandes.
Gaëlle Henry
Marina Strauss
A la recherche d'une histoire captivante
À la veille des élections de juin, les institutions se
sont données pour mission de remobiliser les citoyens en créant une
nouvelle narration européenne.
Dans le parc Léopold, au coeur des Institutions européennes bruxelloises, le bâtiment Eastman se prépare à une nouvelle vie. Caché par de hauts panneaux, cerné par les engins de rénovation, il vibre chaque jour depuis un an sous les avancements des travaux. Inauguré en 1935 comme clinique dentaire, il rouvrira en 2015 en tant que
Maison de l’histoire européenne. « Dans ce musée, le visiteur débutera l’exposition permanente par une salle introductive thématique, qui parle de géographie, d’Antiquité ou encore du mythe de la déesse Europe. Ensuite, le reste de l’exposition déroulera l’histoire chronologique du continent. »
Pour être exact, sur les quatre étages à grimper après la première salle, la quasi totalité de l’espace est dédiée aux années récentes de l’Europe. « Le comité d’experts a décidé de mettre les projecteurs sur le 20ème siècle et en particulier sur la construction européenne. » Une mise en lumière loin d’être anodine. La Maison de l’histoire européenne, imaginée par l’ancien président du Parlement européen Hans-Gert Pöttering, est « avant tout un projet politique », comme l’avoue sans sourciller Catherine Dupont, historienne en charge du contenu du musée. Pour le Parlement, promoteur de ce coûteux projet (environ 50 millions d’euros sans compter les futures dépenses de fonctionnement), il s’agit de « rappeler aux citoyens pourquoi et comment l’Europe s’est construite. » Face aux chiffres sans appel de l’Insee, qui montrent une baisse constante de la participation aux élections européennes (49,5% en 1999 contre 43% en 2009), les politiques à Bruxelles font un douloureux constat : l’Europe manque cruellement d’un public.
Une nouvelle histoire pour l'Europe, et pour le public européen
À quelques rues de là, la Commission bricole elle aussi son gimmick pour lutter contre le désintérêt des citoyens. Le projet, « Un nouveau récit pour l'Europe », est porté par José Manuel Barroso en personne. L’ambition affichée n'est pas modeste : le président de la Commission souhaite « écrire l’histoire 2.0 de l’Europe », grâce à la mobilisation d’intellectuels des 28 pays. « L’Europe de la Paix était une grande histoire. Le problème, c’est que la nouvelle génération ne se reconnaît plus dans ce récit. Il faut donc qu’on propose une nouvelle histoire », explique Torsten Laksafoss, assistant du député Danois qui imagina ce projet en 2012. Une nouvelle narration européenne confiée au pôle communication de la Commission, et non au pôle culture.
Trois États généraux ont été programmés, pour un coût d’un million d’euros : Varsovie en juillet dernier, Milan en décembre et le dernier à Berlin en mars prochain. Les invités (la Commission paie déplacements et nuits d’hôtel), sont une centaine à chaque fois, choisis dans les hautes sphères culturelles et scientifiques de l’Europe. Amenés à échanger et travailler entre eux lors d'ateliers, leurs réflexions devraient conduire à la publication d’un « manifeste » à l’Automne 2014. « Dans ce document, il faudra que transparaissent les différents visages de l’Europe d’aujourd’hui ». Sur le site de la Commission, quelques contributions sont déjà publiées (vingt-trois depuis le lancement en avril) : elles traient sans distinction des grands auteurs qui ont influencé l’Europe, des chaînes bilingues comme Arte ou encore des échanges universitaires Erasmus.
La Maison de l’histoire européenne et "Un nouveau récit" sont deux projets ambitieux pour les institutions. Demandant beaucoup d’investissement depuis plusieurs années, le fruit de ce travail ne pourra cependant être récolté avant l’échéance des élections européennes. « On ne changera pas l’Europe aussi rapidement, reconnaît Torsten Laksafoss, mais au moins on lance un processus à long terme. »
Clémence Lesacq
Luuk Van Middelaar :
« J’essaie de sortir de la version bruxello-centrée des choses »
Au Conseil européen, derrière la voix du président Herman Van Rompuy, se cache l'historien philosophe Luuk Van Middelaar. Première plume du premier président des 28 dirigeants européens, ce Néerlandais de 40 ans rédige des récits riches en références. Dans son fameux discours de la remise du Prix Nobel de la Paix attribué à l'Europe en 2012, il replace cette récompense dans une histoire mondiale de la Paix, citant Hérodote, Abraham Lincoln ou encore la tombée à genoux de Willy Brandt en 1970 devant le mémorial juif de Varsovie.
Comment racontez-vous l’histoire de l’Europe ?
J’essaie de replacer l’histoire des institutions dans une histoire plus
longue, et dans un espace plus large. J’essaie de sortir de la vision
bruxello-centrée des choses, où l’Europe serait née en 1950 avec la
déclaration Schumann. L’Europe est un continent qui a deux millénaires
et demi derrière lui. Et si l’on veut que les gens comprennent la
politique dont on leur parle, il faut évoquer cette histoire plus
longue. Sinon, l’Europe et sa politique paraissent virtuelles, sans
ancrage dans la vie politique de nos nations.
Où en est-on d’un « passage à l’Europe des citoyens » ?
Il est en cours… « le passage à l’Europe », cette prise de conscience progressive que nous devons affronter ensemble les défis de l’avenir, les gouvernements l'ont eue. Mais le problème de la construction de l’Europe c'est qu’elle a toujours été un mouvement du haut vers le bas. Ce ne sont pas les citoyens qui ont voulu l'Europe, et ils l'ont vite considéré comme un « machin » sans intérêt. Mais aujourd’hui, pour la première fois, à travers la crise de l’euro, les gens ressentent ce que signifie être Européen, partager une monnaie et des institutions. On comprend qu’il faut s’intéresser à ce qui se passe partout en Europe, car ça peut avoir un impact direct sur notre épargne ou notre emploi. C’est une douloureuse prise de conscience de notre destin partagé. Les institutions font beaucoup d’efforts pour intéresser les gens à l’Europe. Mais au final, les mouvements de l’histoire avec un grand H ont plus d’effet à cet égard !
Cette prise de conscience dans la douleur ne risque t-elle pas de créer exclusivement une colère contre l’Europe ?
C'est ce qu'on voit aujourd'hui : la frustration, et dans certains pays, un sentiment de trahison. Pour certaines nations, l’Europe a longtemps été une bonne nouvelle : une source de croissance et d’enrichissement. Maintenant, tout ça se retourne violemment contre leur population. En même temps, ce choc est en train d’être absorbé : les gens ne sont pas contents, sont critiques, mais ils ne rejettent pas en bloc tout ce qui a été fait ensemble. La plupart des Européens veulent rester dans l'Europe. Ils sont prêts à accepter les contraintes de cet « être ensemble » et à accepter que l’Union européenne ne soit pas qu’une source de bénéfices mais parfois aussi de contraintes. On ne peut pas participer à l’Europe en voulant simplement être le consommateur d’un grand marché. Il y a maintenant un certain réalisme par rapport à ça. D’autre part, la communication de Bruxelles n’est plus la même. Jusque là, elle était uniquement positive. L’euro, par exemple, était juste une « success story », même quelques semaines avant la crise en Grèce. On n’a pas armé les gens et les opinions publiques au fait qu’il pouvait y avoir des temps mauvais. Aujourd'hui, on ne se contente plus de donner uniquement les bonnes nouvelles.
Les chiffres montrent une baisse constante de la mobilisation aux élections européennes. Pensez-vous que cette prise de conscience de notre citoyenneté va pousser les gens à voter davantage en 2014 ?
Pour moi, il n’est pas du tout exclu qu’il y ait plus d’électeurs qui votent en 2014. Après, vous pouvez me dire que ce sont les électeurs de Marine Le Pen et qu’on préférerait qu’ils rentrent chez eux, mais bon… Nous sommes dans un moment de forte politisation, qui peut inciter les gens à voter davantage. C’est positif.
Propos recueillis par Clémence Lesacq