Unis dans l'austérité

La réunification de l'Allemagne, vingt-cinq ans après la chute du Mur, préfigure-t-elle l'union économique en train de se faire? En l'absence d'un grand frère, rien n'est moins sûr. Et qui peut croire encore aux avantages de la monnaie unique ? La Lettonie, qui a adopté l'euro le 1er janvier.

Les autres membres du club semblent n'avoir d'autre choix que de se plier volontairement aux nouvelles disciplines économiques et budgétaires du semestre européen. Sinon, gare aux diktats de la troïka. Les bons élèves, comme l'Irlande, peuvent sortir de sa tutelle mais sans échapper à la surveillance. D'autres, comme la Slovénie, l'esquivent de justesse. La Grèce, elle, doit faire profil bas pour sa présidence du Conseil de l'Union.

Appartenir à l'UEM impose l'austérité, rendue légitime par l'intérêt commun: un pas de travers et le voisin doit mettre la main au portefeuille !  Difficile, pour le moment, de vanter la preuve par le résultat: chez aucun, la situation socio-économique ne s'améliore dans une Europe en panne de croissance.


Berlin © Sarah Ennemoser/Cuej



Kaléidoscope berlinois 

Berlin-Est et Berlin-Ouest fêtent leurs noces d'argent en 2014. Ces visages racontent l'expérience allemande de la réunification. Elle est variée et malléable, selon les biographies et les générations.

Berlin © Sarah Ennemoser/Cuej



Le prix de la réunification  

 
 

La réunification allemande a commencé dans l'euphorie, mais les épreuves ont vite suivi. L'Allemagne les a surmonté seule. Ce qui peut expliquer l'attitude de la chancelière Angela Merkel envers les autres pays européens. A quel prix l'Allemagne s'est-elle réunifiée ? Qu'est-ce que l'Europe peut apprendre de son expérience ?

Berlin, ville branchée, est un laboratoire d'expériences. La capitale allemande est neuf fois plus étendue que Paris. Elle garde en elle les mémoires contrastées de la réunification, avec ses joies et ses souffrances.


« Comment avons-nous vécu la réunification? C’était la période la plus belle de notre vie », raconte Bodo Broschat. Il avait trente ans au moment de la chute du mur, en novembre 1989, et il est aujourd’hui grand-père. De son atelier de gravure à la Alte Münze, l'ancienne imprimerie des marks est-allemands, il pouvait voir la partie ouest de Berlin. Aujourd'hui, le bâtiment accueille des spectacles et des défilés de mode. Le changement pour Bodo Broschat n'a eu que des bons côtés. Il est devenu graveur indépendant et travaille chez lui une jolie maison en bois de pin dans un quartier résidentiel de la partie orientale de Berlin.

Visite de l'ancien poste
de travail de Bodo Broschat, l'usine
de fabrication
des pièces allemandes
au centre de Berlin
© Sarah Ennemoser/Cuej

Camillo Vetter, un ancien cuisinier, dit tout autre chose : « Le chancelier Kohl nous avait promis des horizons florissants, mais de nombreuses personnes ont été abandonnées. La Treuhand (organisme chargé de la privatisation des biens de l’ex-RDA) a fermé beaucoup d’usines, y compris la mienne » raconte ce résident de Friedrichshain, quartier populaire à l'est de Berlin. Il travaillait dans la cantine d'une usine d’installation de ventilation.


Camillo Vetter fait partie des 2,5 millions de personnes mises au chômage entre 1989 et 1991. Pendant quatre ans, jusqu’en 1994, 4000 des 14000 entreprises gérées par la Treuhand ont été fermées. Pour les Allemands de l'Est, peu habitués au chômage, ce fut un choc. Aujourd'hui, le sexagénaire survit avec « Hartz IV », comme les Allemands appellent les indemnités chômage. Cela ne représente que 382 euros par mois. Il gagne un peu plus grâce à un mini-job dans un établissement public.


La réunification a provoqué un bouleversement économique et social. Après 2000, des réformes structurelles ont été engagées sans état d’âme. Au final, la réunification a coûté à l'Allemagne entre 1300 et 1600 milliards d’euros, une somme énorme qu'elle a dû acquitter seule. Cette période difficile explique en partie le discours et la politique européenne d’Angela Merkel. La chancelière allemande prône l’augmentation de la compétitivité, la discipline financière, le respect des règles européennes et, si nécessaire, une modification des traités. Son message subliminal est : pourquoi les pays européens ne pourraient-ils pas sortir de la crise par eux-mêmes, si l'Allemagne y est parvenue ?

L'aventure des réformes

Quelle fut la méthode allemande pour absorber le choc de la réunification ? Premier pilier : un « impôt de solidarité » créé au début des années 1990. Il prévoit que chaque Allemand paye une taxe fédérale pour la reconstruction et les aménagements dans les régions à l'Est. Cette mésure de solidarité se terminera en 2019, mais le gouvernement allemand aimerait garder la taxe pour d’autres réformes.


Le deuxième pilier, sous forme d'une vague de réformes en profondeur, est mis en place dans les années 2000. L'Allemagne était devenue « l’homme malade » de l’Europe, avec un chômage en flèche et une croissance en berne. Le gouvernement du chancelier Gerhard Schröder entame les réformes « Hartz ». Parmi les mesures radicales figurent la réduction des indemnités chômage, la libéralisation du marché de travail provoquant la multiplication des jobs peu payés et précaires, et le rattachement des bureaux d'aide sociale aux agences de l'emploi.


Le but était de réduire le taux de chômage de moitié. Au début des années 2000, quatre millions de personnes étaient sans emploi. Ils sont 2,8 millions aujourd’hui. Il y a eu une forte amélioration des performances de l'économie allemande qui est devenue la première de l'UE. Le revers de la médaille : le grand écart entre riches et pauvres. Le taux de pauvreté n'a jamais été aussi élevé : 15,2 % des Allemands vivaient avec un revenu inférieur à 60 % du revenu médian en 2012. Cela concerne même un Berlinois sur cinq. Dix ans après, il y a encore des doutes sur le "socialement juste" des réformes, surtout de la loi Hartz IV.

L'Allemagne, le bon modèle pour l'Europe ?

« De loin on voit l'Allemagne comme un pays fort où tout fonctionne bien, mais de près, ce n'est pas tout à fait ça, il y a encore des inégalités entre l'Ouest et l'Est», commente Sylvain Perrier, un artiste français qui habite depuis 15 ans à Berlin. Son atelier se trouve dans une piscine désaffectée, le Stattbad à Wedding, le nouveau quartier des artistes. Le Français observe la grande mutation urbaine qui s'est produite à Berlin, avec des prix devenus prohibitifs au centre-ville.


Le modèle allemand, à l'aune de la réussite économique et de la justice sociale, ne semble pas si équilibré. « Je ne dirai pas que c'est le bon exemple à suivre pour toute l'Europe », estime Peter Krause, chercheur à l’institut économique allemand (DIW) à Berlin. « Il y a encore des grands écarts entre les salaires et les risques de pauvreté ». Faut-il y voir l'ancien clivage Ouest-Est d'avant la chute du mur? « C'est plutôt un problème de disparités régionales » qui n'est pas réglé, commente ce démographe.


Réunifier un pays, comme l'Allemagne, qui fut divisée à l'issue de la deuxième guerre mondiale, est un enjeu différent que de tenter d'unifier des pays européens qui n'ont pas de langue et d'histoire nationale communes. Quant aux mesures fiscales et sociales décidées par le gouvernement allemand, elles seraient impossibles aujourd'hui à mettre en œuvre de manière harmonisée dans l'espace européen.


« Pour la jeune génération, l'Allemagne réunifiée est la référence commune, et c'est une réussite » souligne Peter Krause. Et ce symbole, plus encore que les méthodes déployées en Allemagne, pourrait bien être une inspiration pour les peuples d'Europe.  

Sarah Ennemoser 

Marina Strauss


Logo de la Présidence grecque 
La chute du Mur, peint par Kani Alavi © Sarah Ennemoser/Cuej


Les budgets des Etats à la loupe


Cinq pays sous programme d'aide

Depuis 2010, les programmes de stabilisation financière sont accordés à la demande des pays de la zone euro en crise : ceux qui ne peuvent plus se financer sur les marchés.


Sur décision de l'Eurogroupe, ces programmes d'aide financière permettent d'accorder des prêts via les différents fonds mobilisés par les Etats membres de l'eurozone : le Fonds européen de stabilité financière (FESF) ou le MES (Mécanisme européen de stabilité). Ces fonds disposent d'une capacité de prêt de 750 milliards d'euros, auxquels s'ajoute l'assistance financière du FMI.


En échange de ces prêts, les pays sous programme signent des mémorandum, par lesquels ils s'engagent à mettre en œuvre des réformes pour redresser leur économie. Les membres de la troika (Commission, BCE, FMI) veillent à leur exécution. L'objectif principal étant de pouvoir rembourser les créanciers internationaux. 

© Marion Paquet/Cuej
© Aurélie Albert/Cuej




Grèce : une présidence 

en classe éco 

En crise, le pays a considérablement réduit le budget de sa présidence. Une modestie qui permet à Athènes, en attente de nouvelles aides, de redorer son blason. 


« Notre présidence sera austère », a annoncé Evangelos Venizelos, le ministre grec des Affaires étrangères. Du 1er janvier au 30 juin, la Grèce présidera le conseil de l'Union européenne dans l'ombre de la tourmente financière : elle reste le pays le plus en crise de la zone euro. 


Alors cette année, pas de dépenses ostentatoires ! Fini les traditionnels cravates et foulards offerts aux invités. Et la centaine de réunions organisées dans le pays se dérouleront dans un lieu unique : le palais Zappeion à Athènes. « Pour faire des économies dans les transports et la sécurité », explique Dimitris Kourkoulas, secrétaire d'État en charge des Affaires européennes. Le budget de la présidence se veut sobre : « Il ne devra pas dépasser 50 millions d'euros », prévient Alexandros Vidouris, de la représentation permanente de la Grèce à Bruxelles. Trois fois moins que celui de la présidence française en 2008. 


Les effectifs de la représentation permanente de la Grèce à Bruxelles, en charge d'organiser les réunions du Conseil, sont aussi limités : une quarantaine d'employés de plus au lieu d'une centaine lors de la dernière présidence en 2003. « Juste les personnes nécessaire », précise le dipomate. Parmi eux, Kostas Kairis. Fraîchement diplômé en communication, il est l'un des stagiaires grecs recrutés pour l'organisation de la présidence. « Je ne suis pas payé pour ce stage, qui dure six mois, pas même un ticket repas ou des frais de transport, mais ça fait bien sur un CV. » À 26 ans, il a renoncé à chercher du travail dans son pays et espère trouver un emploi auprès des institutions européennes à Bruxelles. 


En Grèce, 27 % de la population active est au chômage, dont 60 % des jeunes de moins de 24 ans. « Nous partageons les efforts des Grecs, soutient Alexandros Vidouris. Nos salaires ont été réduits de 40 % et nous allons mettre les priorités grecques à l'ordre du jour des conseils des ministres. Il faut rappeler les valeurs de l'Europe à l'heure où les Grecs assimilent l'Union européenne à la troïka et aux conditions de vie extrêmement difficiles qu'elle impose. » En présentant le logo de la présidence –  facturé 12 000€, à comparer aux 100 000€ dépensés par la présidence allemande en 2007 – Evangelos Venizelos insiste : « Le pays doit montrer qu'ils respecte ses citoyens. Ils se privent des biens nécessaires pour contribuer à son redressement budgétaire.»

Des efforts à poursuivre

La Grèce espère redorer sa réputation, mais le défi sera difficile à relever. Alors que le pays peine à remplir les conditions du deuxième plan d'aide et a déjà reçu pour plus de 240 milliards d'euros de prêts internationaux, il devrait encore manqué 3,8 milliards pour boucler son budget 2014 après la fin du programme d'assistance de l'Eurozone en août.












Si la promesse du retour à une croissance économique et à un équilibre budgétaire durables, aptes à rembourser le Fonds monétaire international (FMI) n’est pas tenue, ce dernier, dont le programme se poursuit jusqu'en 2015, pourrait cesser d'accorder son aide financière au pays. Son statut lui interdit en effet de financer une dette insoutenable. Dans ce cas, l'Eurozone devrait compenser le retrait du FMI pour lui éviter la faillite. L'objectif est de ramener l'endettement hellène à 124 % du PIB d'ici 2020 et substantiellement sous les 110% en 2022 , alors qu'il culmine à 174 % cette année. Difficile à atteindre selon FMI : « Le redressement économique de la Grèce est fragile et il fléchira si les autorités ne poursuivent pas les réformes fiscales et structurelles », a prévenu Poul Thomsen, en charge de la Grèce au FMI, le 24 novembre.


Les ministres des finances de la zone euro, réunis mensuellement au sein de l'Eurogroupe, tentent donc de repousser le plus loin possible l'heure de vérité, afin d'éviter la collision entre un nouveau constat d'échec et les élections européennes.


Avec retard, la dernière mission de la troïka en Grèce a abouti le 17 décembre à un accord provisoire. Celui-ci a permis au pays de recevoir à la fin de l'année une nouvelle tranche d'1 milliard d'euros  bloquée depuis septembre. « La Grèce a répondu aux quatre demandes de la troïka », a assuré  Jeroen Dijsselbloem, le président de l’Eurogroupe. À savoir, supprimer 12 500 emplois de l'administration publique, ou encore privatiser trois entreprises. Mais les discussions continuent entre la troïka et les autorités grecques pour finaliser un nouvel examen du programme d'ajustement. Au menu des problèmes à régler rapidement par Athènes : le montant du trou budgétaire pour 2014, le projet de loi sur la nouvelle taxe foncière, la levée du moratoire sur les saisies immobilières, un changement dans les règles de licenciement collectif et la poursuite du plan de restructuration de la fonction publique. 
Le logo de la présidence grecque.


Jeroen Dijsselbloem, se dit confiant dans l'aboutissement de ces négociations, conforté par les derniers bilans économiques réalisés par les autorités grecques : leur banque centrale estime qu'après six années de récession, la croissance devrait reprendre en 2014. Autre objectif presque atteint : le quota de privatisations exigé par la Troïka. L'austérité grecque réussira-t-elle à rassurer les créanciers ? Elle a six mois pour convaincre .

Marion Paquet


 

L'Irlande en liberté conditionnelle

Après trois ans sous tutelle marqués par de lourdes restructurations économiques, le pays peut à nouveau se financer sur les marchés sans aide internationale. L’Irlande n’a plus le droit à l’erreur.

Le 15 décembre, l'Irlande a été le premier pays à sortir d'un programme d'assistance de la zone euro, sous les applaudissements conjoints de ses créanciers et des marchés financiers. « Nous retrouvons notre souveraineté », s'est félicité son ministre des finances, Michael Noonan. « Le cas irlandais prouve qu'un programme a un début et une fin », a salué de son côté Oli Rehn, commissaire européen en charge de l'économie et des finances. « La politique d'austérité a fait ses preuves », conclut-il.


Pendant trois ans, les contribuables irlandais ont dû accepter la tutelle de leurs créanciers en échange de quelque 67, 5 milliards d'euros de prêts qui les ont sauvé de la débâcle. « Le pays a, dans les grandes lignes, tenu tous les engagements spécifiés dans le memorandum, le document négocié avec la Commission qui précise les mesures à appliquer en échange d'un prêt », explique un haut fonctionnaire de la Direction Générale (DG) Économie et finance en charge du dossier à Bruxelles. Mais il a dû accepter un plan d'austérité drastique : augmentation des impôts, avec la création d'une taxe sur la propriété par exemple, ou encore participation forcée des Fonds de retraite à la restructuration du secteur bancaire. 


Autre exigence : la réduction des dépenses, en privatisant par exemple une vingtaine de lignes de bus du réseau national des transports. À force de réductions de dépenses et de prélèvements supplémentaires, le pays a réalisé des économies équivalents à 20 % de son PIB. Mais la Commission européenne n'est pas entièrement satisfaite : son dernier rapport sur le renflouement pointe notamment du doigt un système juridique qu'elle juge trop dispendieux et un système de santé aux dépenses excessives qui manque d'efficacité.

La surveillance continue

De plus, depuis l'entrée en vigueur du two-pack le 30 mai 2013, la fin du programme d'assistance n'implique pas la fin de la surveillance. « Nous nous rendrons à Dublin deux fois par an avec le FMI pour vérifier que les finances du pays lui permettent de rembourser ses créanciers internationaux, explique un haut fonctionnaire européen en charge du dossier sur l'Irlande, et ce, tant que le pays n'aura pas remboursé 75 % de sa dette. » Une surveillance qui devrait durer au moins jusqu'en 2031, d'après les estimations dont il dispose. « Est-ce que l'Irlande retrouve sa souveraineté ? Je ne sais pas, constate-t-il. Cette souveraineté soit désormais  s'exercer au sein du nouveau cadre juridique de l'Union européenne. »


L'Irlande s'est notamment engagée à poursuivre les réformes pour ramener son déficit en dessous de 3 % de son PIB, contre 7,5 % actuellement. « Même si le programme d'aide s'arrête, l'Irlande doit respecter les objectifs compris dans le pacte de stabilité et de croissance et le semestre européen , qui concernent tous les pays de la zone euro », précise ce haut fonctionnaire. Un challenge, d'après lui : « Le gouvernement prévoit d'économiser 2,5 millions d'euros cette année. C'est son cinquième budget d'austérité, mais le pays devra réduire les dépenses et augmenter les taxes pendant au moins deux ans encore pour répondre aux exigences du pacte. » Faute de quoi, il s'expose à de nouvelles recommandations. Or la situation économique reste instable. La dette publique irlandaise atteint 124,4 % du PIB. Le chômage touche 12,5 % de la population, dont 40% depuis plus de deux ans et les Irlandais se préparent à payer encore plus de taxes, comprises dans le budget 2014.

Des banques à consolider

À court terme, la préoccupation principale de l'Irlande est son secteur bancaire. Sa réorganisation était la priorité et la première condition du programme d'aide. Celles-ci ont été nationalisées mais ne sont pas sorties d'affaire, d'après Mario Draghi, le président de la BCE, qui a tiré la sonnette d'alarme le 16 décembre devant la commission des affaires économiques et monétaires du Parlement européen. Alors que les évaluations de bilans réalisés par la banque centrale irlandaise ne montrent pas de déficit, ils révèlent que les banques irlandaises manquent de provisions. Elles détiennent trop de prêts improductifs – car les emprunteurs ne peuvent plus rembourser - ainsi que d'actifs immobiliers risqués. Des ajustements pour prévenir les risques d'insolvabilité sont nécessaires. Pour entretenir la confiance des marchés, « le problème bancaire doit être réglé avant que les stress tests du mécanisme de supervision bancaire ne soient complètement réalisés », a averti Mario Draghi. Plus sévères que ceux réalisés par la banque centrale irlandaise, ils pourraient révéler des trous supplémentaires dans les bilans et porter préjudice à la présomption que la dette publique irlandaise est soutenable.


La perspective d'un nouveau besoin de recapitalisation de ses banques est d'autant plus risquée pour l'Irlande qu'elle a choisi de sortir du programme sans demander de ligne de crédit supplémentaire. Les investisseurs ont  bien accueilli cette décision et l'Irlande peut emprunter a des taux stables de l'ordre de 3,5 %. « Mais le gouvernement aurait pu demander une aide supplémentaire, comme une autorisation de découvert en cas de besoin », souligne un haut fonctionnaire de la DG Économie et Finance. Une telle ligne de crédit aurait surtout assuré à l'Irlande la faculté d'en appeler à l'OMT, l'arme secrète de la BCE pour décourager de spéculer contre la dette publique. L'Irlande, encouragée par l'Allemagne, a choisi de s'en passer pour éviter de se voir imposer en contrepartie de nouvelles conditions à respecter. La voilà seule, désormais, face aux marchés.

Marion Paquet

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L'Irlande sort du programme d'assistance mais le pays doit encore faire des économies. Les taxes pour l'alcool et pour le tabac seront augmentées en 2014.
© Creative commons/Steve Garfield/Flickr 
A Ljubljana © Creative commons/Juanma Perez Rabasco/Flickr


La Slovénie échappe à la mise sous tutelle

La Slovénie ne deviendra pas le sixième pays de l’eurozone sous assistance financière. Le 12 décembre, la Banque centrale du pays a publié les résultats des « stress tests » (tests de résistance) réalisés sur dix des établissements bancaires. « La Slovénie peut entreprendre la remise sur pied de son secteur financier sans se tourner vers ses partenaires européens pour un programme d’aide », affirmait dans un communiqué, Olli Rehn, le commissaire européen chargé des Affaires économiques.


Cependant, le ministre des Finances slovène, Uros Cufer, et le gouverneur de la banque centrale slovène, Bostjan Jazbec, ont annoncé que le pays devra injecter 4,7 milliards d’euros pour recapitaliser ses banques, soit près de 15% du PIB. Trois milliards seront consacrés aux trois principales banques du pays, la Nova Ljubljanska Banka (NLB), la Nova Kreditna Banka Maribor(NKB) et Abanka.


Le gouvernement, qui avait anticipé ces résultats, a aussi prévu des mesures d’assainissement. « Des mesures de privatisation vont être prises, elles concerneront une quinzaine de grandes entreprises, explique Uros Mahkovec, un des représentants permanents de la Slovénie. Une baisse des salaires dans le privé et une réorganisation salariale dans le secteur public seront appliqués. » Avec la Commission, la Slovénie a fixé à 4,5 milliards le volume des mauvaises créances qui seront transférées dans une structure de défaisance ou « bad bank ».


« Le problème, ce n’est pas la quantité que l’on doit fournir mais le temps que l’on a pour réaliser ces opérations, s’inquiète le représentant Slovène. Notre déficit public en 2014 ne doit pas dépasser 3 %, et 2,7 % en 2015 ». Avec un déficit de 5,8 % en 2013, le pays n’est toujours pas à l’abri d’un programme d’assistance.

Aurélie Albert 



Transparence : le mauvais exemple de la troïka 

Les « hommes en noirs », chargés d’assainir les comptes publics des pays sous assistance, essuient de nombreuses critiques. Mais que sait-on de leurs méthodes de travail ? Les eurodéputés ont lancé une enquête, sans grand succès pour l'instant.

Manque de transparence, prévisions erronées, méthodes de travail jugées opaques : la troïka est loin de faire l’unanimité en Europe. Et encore moins dans les pays en crise, où débarquent depuis 2010 les technocrates de la Commission européenne, de la Banque centrale européenne (BCE) et du Fonds monétaire international (FMI), chargés de coordonner les réformes structurelles imposées en contrepartie de l’aide financière. Conspués dans la rue pour leur gestion autoritaire de la crise, caricaturés dans les journaux, les  trois chefs de mission en Grèce de la Commission, de la BCE et du FMI, Matthias Morse, Klaus Mazuch et Poul Thomsen, sont particulièrement visés.


Les eurodéputés viennent de lancer une enquête parlementaire pour faire la transparence sur les activités de ces hommes de l’ombre, et tenter d’élaborer pour la première fois une forme de contrôle sur un trio impopulaire qui semble n’avoir de comptes à rendre à personne. Début décembre, le chef des socialistes du Parlement européen, Hans Svoboda, estimait qu'il fallait progressivement dissoudre cet organe qui agit hors des cadres juridiques traditionnels. De fait, la troïka sert souvent de bouc émissaire aux décisions des ministres de finances de l'Eurogroupe. 

Dans les rues de Barcelone,
en juin 2013.
Les manifestants s'en prennent souvent à la Troïka pour critiquer les programmes d'aide.
© Creative commons/Auditoria Ciudadana Deuda/Flickr

L’enquête menée par la commission des affaires économiques et monétaires (ECON) du Parlement européen a débuté fin octobre. « Le constat est simple, explique l’eurodéputé français Liem Hoang Ngoc (S&D), co-rapporteur du futur rapport. Aujourd’hui, on voit bien que la politique menée par la troïka a causé des problèmes. Cette enquête doit permettre de faire la transparence sur le travail et les choix effectués par les trois institutions. » Pour mener à bien sa mission, la commission ECON a décidé d’auditionner les principaux représentants de la troïka et de leur soumettre 29 questions portant sur leur activité, également adressées aux présidents de l'Eurogroupe et du Conseil européen,  au commissaire chargé de l'euro,  ainsi qu'aux chefs de gouvernement, ministres des Finances et gouverneurs des banques centrales des pays concernés.


La première audition, organisée à Bruxelles le 5 novembre, a été décevante. Plusieurs députés ont critiqué l’absence de réponses concrètes formulées par Klaus Mazuch pour la BCE et Servan Deroose pour la Commission. Par ailleurs, les deux co-rapporteurs divergent sur les méthodes d'enquête. L' autrichien Othmar Karas (PPE) «  préférerait auditionner les fonctionnaires qui sont en place actuellement, regrette Liem Hoang Ngoc. Or un rapport d’enquête n’est intéressant que si il fait la lumière sur le passé ».

Donner au Parlement un mandat fort 

Pour l’heure, l’enquête patine. Le rendez-vous prévu avec le FMI lors de la session plénière de décembre a été reporté. De plus, plusieurs parties prenantes interrogées n'avaient pas retourné leur questionnaire à  ECON à la date butoir fixée au 12 décembre. Résultat, le projet de rapport présenté en commission le 17 décembre, qui doit servir de base au texte final, a été rédigé « à partir d’informations grappillées à droite et à gauche », reconnait Liem Hoang Ngoc. Dans ce document de 14 pages, les deux rapporteurs prennent soin de rappeler que la situation socio-économique des pays sous programme s'est détériorée depuis le début de la crise, et réclament à ce titre qu'à l'avenir, les membres de la troïka soient soumis au contrôle parlementaire. Ils critiquent en particulier l'obligation d'associer la BCE et le FMI à la Commission, inscrite dans un traité intergouvernemental: celui du mécanisme européen de stabilité.


Les eurodéputés entendent soumettre au vote une résolution sur ce sujet avant la fin de la mandature, «

au plus tard pour la session de mars ou d’avril », précise Liem Hoang Ngoc. Les prochaines auditions ont déjà été planifiées en janvier, avec des responsables de la Commission et de la BCE comme Olli Rehn, commissaire européen aux affaires économiques et monétaires, Jean-Claude Trichet, ex-président de la BCE ou encore Jean-Claude Juncker, ancien président de l'Eurogroupe. De même, le Parlement organisera début janvier des missions au Portugal, en Grèce, à Chypre et en Irlande. « Nous voulons que cette enquête permette de présenter un rapport crédible, pour pousser le Parlement qui sortira des urnes en mai à exercer sa mission de contrôle sur la troïka, espère Liem Hoang Ngoc. Car jusqu’à présent, il manquait un contre-poids à l’édifice. »

Esteban Wendling



La zone euro, ça se mérite

Depuis trois ans, les mesures de contrôle de la zone euro se sont considérablement renforcées. La Lettonie, membre de la monnaie unique depuis le 1er janvier, a dû se plier à des exigences toujours plus strictes.

© Hélène Goutany/Cuej 
© Camille Guttin/Cuej 


Il y a cinq ans déjà, la Lettonie, membre de l’Union européenne depuis 2004, frappait à la porte de la zone euro. La Commission européenne rejetait sa candidature, le pays ne remplissant pas les conditions d’entrée. Ces critères de convergence, déterminés par le traité de Maastricht, se limitaient alors au nombre de quatre : taux d’inflation encadré, déficit et dette publique limités, stabilité du taux de change de la monnaie par rapport à l’euro, stabilité des taux d’intérêt.


En mars dernier, la Lettonie pose de nouveau sa candidature. Mais la crise a changé la donne. La surveillance budgétaire a révélé ses failles. L’Union économique et monétaire a durci les contrôles sur ses membres et par conséquent les conditions d’accès pour les candidats. « La logique des critères du traité  n’a pas changé mais la situation économique de la zone euro oui, explique Paul Kutos, chef d’unité à la Commission européenne de la politique monétaire et de l’adoption de l’euro. D’autres éléments importants sont à prendre en compte, comme le solde extérieur du pays et l’intégration du marché. » Mais pas seulement.


C’est avec le lancement du semestre européen en 2011 que les nouveaux outils d’encadrement de la gouvernance économique font leur apparition. Tout au long de l’année, les institutions européennes travaillent désormais, en étroite collaboration avec le États membres, à la coordination des réformes économiques et du redressement budgétaire, politiques qui ont longtemps été du ressort exclusif des États. Bien plus exigeantes, les institutions disposent, dorénavant, de moyens coercitifs avancés.

Une surveillance rapprochée

De nouvelles mesures de vigilance sont venues s’ajouter au Pacte de stabilité et de croissance, adopté en 1997.

Depuis le six-pack, entré en vigueur en décembre 2011,  les États peuvent faire l’objet d’une « procédure de dette excessive ». D’autres indicateurs économiques sont également surveillés dans le cadre nouveau de la procédure d'alerte sur les déséquilibres macro-économiques : balance des comptes courants, passif du secteur financier, coût de la main d’œuvre, prix de l’immobilier, taux de chômage... S'ils franchissent les seuils limites, une « procédure de déséquilibre excessif » peut-être enclenchée. Le two-pack, entré en vigueur le 30 mai dernier, accentue la surveillance sur les choix budgétaires nationaux et peut contraindre un Etat membre défaillant à demander un programme d'assistance assortis de conditions.


Autre mesure de contrôle, les 25 États signataires du pacte budgétaire se sont mutuellement imposés 20 ans d'austérité pour réduire leur dette publique via la fameuse « règle d’or » : le déficit budgétaire structurel de chacun ne doit pas dépasser 0,5% du PIB. Si la trajectoire qui y conduit à moyen terme n’est pas respectée, le gouvernement ou son parlement sont légalement contraints à déclencher un mécanisme de correction. 

De nouvelles institutions indépendantes 

 Les États de l'Eurozone se sont aussi obligés à créer des institutions indépendantes - un institut statistique, un Haut conseil des finances publiques - toujours dans le but de garantir la confiance mutuelle. Enfin, à partir de l’automne 2014, le nouveau système de supervision financière placera leurs établissements de crédit sous surveillance de la Banque centrale européenne.


C’est donc dans une Eurozone totalement rénovée que la Lettonie s'est préparé à entrer. « C’était vraiment important pour nous de remplir les exigences de l’Europe rapidement, assure une diplomate Lettonne basée à Bruxelles. Une petite économie comme la nôtre doit pouvoir être au même niveau que les autres. Entrer dans la zone euro, c’est un paquet : on a des opportunités mais on a aussi des responsabilités. »


Depuis le 1° janvier, en effet, la Lettonie est entrée au conseil des gouverneurs de la Banque centrale européenne, participe à la réunion mensuelle de l’Eurogroupe... et doit également cotiser au Mécanisme européen de stabilité (MES). C'est au prix de ce ticket d'entrée réévalué que les Lettons ont aujourd'hui de nouvelles pièces et de nouveaux billets dans leurs porte-monnaie. La Lituanie ambitionne de les rejoindre au 1° janvier 2015.

Aurélie Albert



 Didier Migaud, président de la cour des comptes et du Haut Conseil des finances publiques
Didier Migaud, président de la Cour des comptes et du Haut Conseil des finances publiques
© Camille Guttin/Cuej 
Olli Rehn, commissaire européen aux Affaires économiques et monétaires  face à Valdis Dombrovski, alors Premier ministre letton (juin 2012)
© Creative commons/Valsts Kanceleja/Flickr 


La Commission met les doigts dans les budgets nationaux

Pour la première fois Bruxelles a vérifié que les projets de budget des Etats de la zone euro sont bien conformes aux recommandations qui leur ont été adressées en juin. Son avis, non contraignant, réduit les marges de manœuvre des parlementaires.

Après le semestre européen, le semestre national. La grande innovation de cette année est passée presque inaperçue en France. Le 15 novembre, en plein débat parlementaire, la Commission rendait son avis sur les budgets nationaux des 17 États de la zone euro. Elle vérifiait si les recommandations adressées par le Conseil européen étaient bien introduites dans les projets de lois de finances. Les satisfecit quasi généraux distribués par Ollie Rehn ont largement contribué à transformer ce nouveau tour de vis en non événement.


Non événement, aussi, la transmission par Bercy à la Commission, le 15 septembre, d’un « programme de partenariat économique » dissimulé dans le désormais classique « rapport économique social et financier » (RESF) annexé au projet de loi de finances. Il  met en regard les prévisions du gouvernement sur l’évolution des finances publiques pour les quatre années à venir et les « réformes structurelles » (retraite, marché du travail, fiscalité) qu’il s’engage à conduire. Ces deux documents constituent la base de l'avis rendu par la Commission en novembre. Car la France ne fait pas seulement l’objet, depuis 2009, d’une surveillance particulière à cause du déficit excessif de son budget, elle est aussi soumise, depuis cette année, à un examen approfondi dans le cadre de la nouvelle procédure d'alerte sur les « déséquilibres macroéconomiques excessifs » entre pays de l’eurozone. 


Ces nouveaux exercices de style visent à donner forme et visibilité à un intérêt commun européen dont doivent désormais tenir compte les choix de politiques économiques et sociales arrêtés par les parlements de la zone euro. Ils s’accompagnent en France d’une intensification des relations entre Bruxelles et Bercy. « Nous sommes en contact permanent avec le Desk France de la DG Ecofin à Bruxelles. Que ce soit la direction des finances ou celle des affaires européennes on échange au moins deux fois par semaine avec nos homologues à la Commission », précise-t-on au Trésor. On évite de parler de contrainte, préférant évoquer « une étape nécessaire pour parvenir à sortir de la crise et mieux coordonner entre elles les politiques budgétaires européennes. »

Des marges de manoeuvre plus réduites

La France avait jusqu'au 1er octobre 2013 pour corriger le déficit « excessif » de son budget, ce qu'elle n'a pas réussi à faire. La Commission lui a concédé deux ans supplémentaires, comme à la Slovénie et à l'Espagne. « C'est une manière de nous permettre de continuer les réformes entreprises, celles du marché du travail ou des retraites, dans un contexte plus relâché. La Commission sait aussi faire preuve de pragmatisme économique quand il le faut », juge un fonctionnaire du Trésor.


Bien qu’il soit globalement favorable, l’avis rendu cette année par la Commission traduit un grand scepticisme envers les actions engagées par le gouvernement. Les réformes des retraites, de la décentralisation et de la fiscalité sont jugées insuffisantes et la Commission invite la France à « prendre des mesures supplémentaires pour corriger les déséquilibres budgétaires et structurels. »


Si pour le moment elle n’est pas invitée à adopter des réformes précises, il n'en est pas de même pour l'Italie. Le 22 novembre, sur la base de l’avis rendu par la Commission, une déclaration conjointe de l'Eurogroupe lui a signifié l'importance qu’il attachait au respect des mesures préconisées par Bruxelles. Cette pression commune des ministres de l’économie et des finances sur les délibérations du Parlement a suscité de vives réactions des partis politique du pays.  

« Bruxelles ne contrôle pas les budgets nationaux »

Certes, la surveillance et la pression commune sur chacun s’accroit, reconnaît-on à Bercy. Mais les Etats restent maîtres de leurs budgets : « Il n'y a pas de droit de veto de la Commission sur les choix des parlements nationaux. Son avis n’est pas contraignant. En dernière instance ce sont les États qui votent librement leur budget. Bruxelles ne contrôle pas les budgets nationaux. » Les parlementaires peuvent choisir de ne pas suivre l'avis de la Commission. Mais la pression exercée par l’intérêt commun est telle que risquer de s'écarter des recommandations et des réformes préconisées revient à s'exposer à la perte de confiance des marchés.

Camille Guttin



La France découvre les contraintes de la règle d’or 

La « règle d'or » budgétaire pourrait imposer au gouvernement français de tailler d’urgence dans ses dépenses publiques, dès avril 2014. Un avertissement lancé en septembre par le Haut conseil des finances publiques.


Cette institution fait office de gendarme de cette règle, qui limite le déficit structurel à 0,5 point du PIB sur deux ans ou 0,25 point par an. C'est une autorité indépendante qui rend compte devant le parlement et non devant le gouvernement. En optant pour un traité intergouvernemental, les États signataires du "pacte budgétaire" ont préféré s'assurer une garantie mutuelle par une surveillance exercée au niveau national, plutôt que de la déléguer aux institutions européennes. Une manière pour les gouvernements de l’eurozone de rendre politiquement plus acceptable auprès des électeurs les contraintes communes pesant sur les budgets nationaux. Car si le Haut conseil est chargé de vérifier la crédibilité du projet de loi de finances par rapport aux objectifs européens, il le fait en tant qu’organe franco-français, sans aucune tutelle de Bruxelles.


Pour Michel Aglietta, macroéconomiste et membre du Haut conseil, « les gouvernements ont tendance à être trop optimistes dans leurs prévisions. Le fait d'être indépendants nous permet d'avoir une certaine légitimité vis-à-vis de nos partenaires européens quant aux prévisions à retenir » . Le Haut conseil considère aussi que ses avis, tous publics et présentés devant le parlement par son président, Didier Migaud, ont un effet dissuasif : « Cela oblige les gouvernements à une certaine discipline budgétaire qu'ils ne respectaient pas avant. »


Dans son avis rendu en septembre, le Haut conseil juge les prévisions de Bercy « plausibles » mais pas « suffisantes » pour empêcher le déclenchement du mécanisme d'auto-correction en avril. Si la réalité constatée s'éloigne de ses prévisions le gouvernement devra alors expliquer pourquoi et présenter un plan pour réduire cet écart.


Les avis rendus par le Haut conseil appuient de fait la fonction de chien de garde confiée à la Commission européenne.  L'organe tient pourtant à affirmer son caractère national et indépendant. Pour Michel Aglietta, « à terme, il faudra aller vers une coordination des Haut conseils de tous les pays de la zone euro si l'on veut que la coordination ne soit pas totalement sous le contrôle de la Commission. » 

Camille Guttin



L’Europe sociale : des chiffres et des miettes

Au printemps, le Conseil européen aura un nouvel outil entre les mains : un « tableau de bord des indicateurs clés en matière sociale et d’emploi ». Pour quel usage ?

Le prochain Conseil européen devra faire avec lui. Le commissaire aux Affaires sociales, Laszlo Andor, fait son retour sur le devant de la scène avec un tableau de bord frappant qui témoigne des inégalités sociales dans l’Union européenne. La crise, avec ses urgences économiques et bancaires, a fait passer au second plan les questions sociales. Le nouvel outil se propose de présenter de manière synthétique les écarts qui se sont creusés entre les pays de l'Union économique et monétaire (UEM) au niveau du chômage, de la pauvreté ou encore des inégalités. 


Après avoir échoué à faire adopter un projet d'assurance chômage pour la zone euro, le commissaire Andor tente de reprendre la main en introduisant un volet social dans le Semestre européen. Pour Laurence Weerts, en charge des politiques de l’emploi et de la gouvernance économique au cabinet de Laszlo Andor : « Il était fondamental, aux yeux du commissaire, qu’au moment où l’on renforçait et coordonnait les politiques budgétaires et économiques, on renforce aussi le pilier social. » 


En présentant sa communication, le 2 octobre dernier, le commissaire Andor a affirmé que ce tableau de bord permettrait d’approfondir le rapport conjoint pour l’emploi, le tout « dans la perspective du Conseil européen de printemps » . À la Direction générale (DG) Affaires sociales, on défend bec et ongles son exploit : « Il s’est battu pour ce tableau de bord. Obtenir un accord sur les cinq indicateurs n’a pas été simple, car il y en a qui sont un peu révolutionnaires, comme les inégalités ou le revenu des ménages. »


Cet auto-satisfecit n’est pas du goût de tout le monde. Le groupe socialiste du Parlement européen, Martin Schulz en tête, a réagi en critiquant un manque d’ambition ainsi que l’inutilité d’indicateurs sociaux non contraignants. Avec ce tableau, rien n’est envisagé, pas même un mécanisme d’alerte. « Au sein de la Commission et des États membres, il n’y a pas de volonté de pointer le moment où ça dérape, admet Laurence Weerts. Les déséquilibres sociaux ne sont toujours pas considérés sur le même plan que les déséquilibres de compétitivité ou économiques.» 

Pour un chômage et salaire minimum de la zone euro 

En novembre 2012, la zone euro semblait pourtant prendre un tournant en matière sociale. La Commission européenne publiait avec enthousiasme son “blueprint” affichant entre les lignes l’ambition de créer une assurance chômage européenne. Mais l'idée n’a pas trouvé d’écho en dehors de la DG Affaires sociales. Laurence Weerts voit derrière ce rejet un raidissement de souveraineté nationale : « Ce sont très clairement les Allemands, les Néerlandais et les Finlandais qui bloquent. Mais si l’Allemagne bouge, les autres suivront.» 


Et ils ont bougé, enfin presque. Au cabinet du commissaire Andor, on a pu croire au changement à l’occasion de la contribution franco-allemande. Les deux pays s’y sont entendu pour « affirmer le modèle économique et social » . Cela afin de « préserver un haut niveau de protection sociale » dans la zone à la monnaie unique. On a même parlé de « salaires minima.» Laszlo Andor a profité de cette ouverture pour publier son tableau de bord.


À quelques mois de la fin de son mandat, le bilan de Laszlo Andor semble se résumer à ses indicateurs sociaux. Reste à savoir à quoi va servir ce tableau de bord, politiquement parlant, car il reste amputé de moyens d’action. Prochain combat du commissaire Andor, si le temps le lui permet.

Loïc Le Clerc




Les 5 indicateurs du tableau de bord social

Laszlo Andor,
commissaire aux Affaires sociales
© Creative commons/
Friends of Europe/ Flickr
Crédit : Loïc Le Clerc/Cuej 



« C’est pire que ce que nous pensions » 


Dans une déclaration commune, les partenaires sociaux européens affirmaient que « la dimension sociale de l’Union économique et monétaire (UEM) doit contribuer au progrès économique et social de l’Union européenne. » Depuis, chacun de ces organismes s’est positionné sur le tableau de bord proposé par la Commission.


Ronald Janssen, conseiller économique à la Confédération européenne des syndicats : 

« Avant que la communication ne soit publiée, on avait déjà un doute sur l’utilité de ce tableau de bord. On s’est tout de suite demandé : à quoi vont servir les indicateurs sociaux ? Et comment est-ce qu’on peut contrebalancer la gouvernance économique sans procédure de sanction ? Après lecture de la communication, c’était pire. En ce qui concerne le tableau de bord, il manque des indicateurs sur la qualité du travail ou sur le droit des travailleurs. On en aurait aimé un en particulier sur le taux des bas salaires. Puis en analysant l’ensemble de la communication, on a bien vu que le commissaire Andor avait dû payer quelque chose, faire des concessions sur la flexibilité du marché du travail. En gros, en publiant « Renforcer la dimension sociale de l’UEM » , Andor renforçait le pilier économique. Et pour finir, le tableau de bord ne permet pas d’agir ni d’avoir une interprétation sociale garantie. Par exemple en le lisant, on voit bien qu’en Espagne, c’est la catastrophe sociale. Et quelle est la conclusion ? Il y a une gouvernance économique contre-productive et donc il faut accélérer les réformes structurelles. »


Liliane Volozinskis, directrice des affaires sociales à l’Union européenne de l’artisanat et des petites et moyennes entreprises (UEAPME) : 

« Nous n’avons pas de problème pour intégrer les indicateurs qui concernent l’emploi et le chômage dans la macro-économie puisque nous avons déjà un indicateur présent. Mais on veut éviter qu’il y ait des chevauchements ou des doublons. Il faut que cela soit à la fois pertinent et cohérent avec ce qui existe déjà. Concernant l’indicateur sur la pauvreté par exemple, il n’y a pas de raison de l’introduire dans les déséquilibres économiques, parce que ce n’est pas l’indicateur le plus pertinent par rapport à la dimension macro-économique. Au sujet de l’emploi, on a les mêmes questions. Par contre, les indicateurs sur le chômage sont tout à fait justifiés.

Comment les résultats des indicateurs vont-ils être utilisés à l’avenir ? Ces indicateurs vont-ils être suivis ou non de décisions qui vont influer sur les politiques? Si oui, comment ? Les indicateurs, c’est important. Ils donnent un bon aperçu de la situation, on voit bien les difficultés mais il faut en tirer les bonnes leçons. »


Business Europe, association patronale européenne qui défend les intérêts des entreprises privées : 

« Pour ce qui est du choix des indicateurs, le chômage a toute sa place dans le tableau de bord, de même pour les inégalités. Quant à la pauvreté, nous trouvons qu'elle n'est pas suffisamment définie pour être intégrée au tableau de bord. C’est pour cela qu’on appelle le Conseil européen à laisser l’indicateur sur la pauvreté en dehors du tableau de bord. Et si jamais un indicateur sur la pauvreté doit finalement être ajouté nous insistons sur le fait qu’il doit se concentrer sur la “vraie” pauvreté et non le “risque” de pauvreté. Mais au final, pour que ce nouveau tableau de bord sur l’emploi et le social ait un sens, ses indicateurs doivent être plus connectés avec l’objectif d’une bonne reprise de l’emploi. » 

Loïc Le Clerc



L'effet troïka customisé

Engager les Etats de la zone euro à réformer leurs économies en contrepartie d'incitations financières c’est l’objectif des "accords contractuels". Si le principe est désormais acté, le Conseil européen a repoussé leur mise au point à octobre 2014. 


Ils sont sur la table depuis plus d’un an mais leur mise en œuvre a encore été reportée, signe qu'un désaccord profond subsiste sur ce nouvel instrument. Les accords contractuels, ou contrats de compétitivité, prévoient d’engager les Etats membres de la zone euro à choisir un bouquet de réformes structurelles à accomplir, en échange d’incitations financières.


Marché du travail, secteur public, éducation, recherche et innovation : les domaines d’application sont divers. Il s’agit d’amener les États à s’approprier des réformes économiques qui bénéficieront à toute la zone euro. La troïka version soft, en somme, et intériorisée. Pour y parvenir, le plus sûr est de proposer à l’État signataire de décider lui-même du contenu de l’accord en impliquant son Parlement national et ses partenaires sociaux. Leur consentement acquis, le contrat sera conclu avec la Commission et le Conseil. 

Prévenir plutôt que guérir

L’aide financière délivrée en contrepartie serait juridiquement contraignante et conditionnée à l’application effective des réformes. Elle servira avant tout à aplanir les résistances des catégories ciblées en compensant la perte de leurs privilèges. Entièrement intégrés au calendrier du Semestre européen, ces contrats s’adresseront à tous les Etats de la zone euro, sauf ceux soumis à un programme d’aide, et sont ouverts aux autres pays de l’UE. 


Pour l’Allemagne, à l’origine de cette idée, les premiers visés sont avant tout les pays du Sud : Italie, Espagne, Portugal, Grèce ou encore Slovénie. Le but est de les engager à assainir leurs économies en amont afin de rétablir leur compétitivité et de rendre ainsi moins probables leurs demandes d’aides financières en cas de crise.

À l’Elysée, on insiste sur la nécessité que ces contrats s’appliquent à tous, y compris aux pays en excédent comme l’Allemagne, qui devrait être encouragée à investir davantage chez elle. La France voit surtout dans ces accords l’occasion de créer une capacité d’emprunts communs et de s’approcher petit à petit d’un budget de l’eurozone. On en est loin. 

Solidarité oui, mais pas trop 

La « nature exacte (prêts, subventions ou garanties), la forme institutionnelle et le volume du soutien » de ces mécanismes de solidarité restent en effet à préciser. Ce qui est sûr, c’est qu’il ne s’agit pas de cette « union de transferts » qui amènerait les pays riches à payer pour les autres. Ces contrats ne doivent pas être conçus comme « des instruments visant à réduire les inégalités en matière de revenus », précise le Conseil européen. « L’objectif est d’arriver à un accord final sur cette pièce du puzzle de l’UEM en octobre 2014 », a annoncé le président du Conseil européen, Herman Van Rompuy le 19 décembre. Soit, en cas de succès, un final en beauté pour son mandat, qui s’achève en novembre 2014. 

Gaëlle Henry