Mon Europe, ma bataille

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TERRAIN MINÉ

Turów, le charbon de la discorde

Alexis CÉCILIA-JOSEPH et Louise SCHÖNESHÖFER

À la frontière entre la Tchéquie et l'Allemagne, une mine de charbon polonaise menace l'approvisionnement en eau des Tchèques. Inquiète du projet d'extension de la mine, Prague a saisi la justice européenne qui a ordonné l'arrêt des activités.

© Alexis CÉCILIA-JOSEPH  et Louise SCHÖNESHÖFER
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POLEXIT

SOS : État de droit en détresse

Adrien FUZELLIER, Lucile MARCON et Manon MARTEL

Depuis 2015, la crise de l’État de droit s’intensifie en Pologne. Au milieu du bras de fer entre Varsovie et Bruxelles, des citoyens brandissent le drapeau européen pour rester dans l’Union européenne. Leur but : défendre une justice indépendante, symbole des droits fondamentaux.

100 000 Polonais sont descendus dans la rue le 10 octobre 2021 pour manifester leur souhait de rester dans l'Union européenne.© Monika FRACKOWIAK

“Nous restons ! Nous restons !” Un slogan entonné par près de 100 000 manifestants. Des drapeaux bleus et or brandis dans les rues de Varsovie comme des étendards. Le dimanche 10 octobre 2021, les Polonais ont répondu à l’appel de l’ancien président du Conseil européen et leader de l’opposition Donald Tusk pour “sauver la Pologne”.

Le gouvernement de Mateusz Morawiecki s’est lancé dans une confrontation sans précédent avec l’Union européenne (UE) depuis la décision de la Cour constitutionnelle polonaise, contestant la primauté des traités européens sur le droit national, le 7 octobre. En cause: la réforme de la justice engagée par le parti au pouvoir, Droit et Justice (PiS), depuis 2015. Celle-ci menace l’indépendance des juges polonais et donc l’Etat de droit. Mais une limite a été franchie pour l’UE lorsqu’une chambre disciplinaire de la Cour suprême polonaise a été créée afin de révoquer des juges en les exposant à des poursuites pénales. La Cour de justice de l’Union européenne a demandé de faire cesser l’activité de cette chambre. Ce jugement n’étant toujours pas respecté par Varsovie, l’UE a sanctionné le pays en gelant la validation du plan de relance polonais. “Un chantage” selon le Premier ministre polonais Mateusz Morawiecki, qui va jusqu’à accuser la Commission européenne de vouloir déclencher une “troisième guerre mondiale”. Ce bras de fer sans précédent fait craindre le risque d’une sortie de la Pologne de l’Union européenne, un “Polexit”.

Des juges montés au créneau

Abandonner les valeurs européennes ? Impensable pour les 3500 juges polonais membres de l’association Iustitia. “L'Union européenne est fondée sur des principes tels que la protection des droits humains, l'État de droit et la démocratie. explique Monika Frackowiak, juge au tribunal du district de Poznan. Ces valeurs sont essentielles pour tous les citoyens polonais et bien sûr pour les juges polonais.” Pour elle, résister est une évidence : “Bien sûr que je vais ignorer le verdict de la Cour constitutionnelle, assure-t-elle. Je reconnais les principes européens et la priorité du droit européen. Pour moi, cela a toujours été naturel. Je suis une juge européenne, pas seulement polonaise.” En décidant de ne pas appliquer la décision de la Cour constitutionnelle, elle prend le risque d’être suspendue. Une sanction déjà prononcée pour dix juges dans le reste du pays. À chaque nouvelle suspension, l’association manifeste au pied des palais de justice polonais pour alerter l’opinion publique. Car si le gouvernement ne semble rien vouloir entendre, la rue les entendra peut-être. “Avec les politiciens que nous avons, oui, j'ai peur d’un Polexit, explique Monika Frackowiak. Ils jouent à un jeu très dangereux. On ne sait jamais ce qui pourrait arriver dans un avenir proche, mais je crois que la société civile polonaise ne le permettra pas.”

Droits fondamentaux et valeurs européennes : même combat

Les drapeaux de l’UE ne flottent pas seulement dans les manifestations pour le maintien de la Pologne dans l’Union européenne, comme celles de début octobre. Les Polonais qui défilent contre les discriminations faites aux personnes LGBTQ+ ou pour le droit à l’avortement les agitent aussi. Sylwia Gregorczyk, militante pro-européenne, raconte qu’avant toutes ces manifestations l’hymne polonais est suivi de l’Ode à la joie, l’hymne européen. La lutte pour les droits fondamentaux et les valeurs européennes, c’est “un combat commun, considère-t-elle. Les droits humains ne diffèrent pas d’un pays à l’autre, ce sont juste les droits humains. Si un État membre ne les respecte pas alors tout le système s’effondre.”

À presque 40 ans, cette avocate polonaise est très engagée. Et depuis l’arrivée au pouvoir du parti Droit et Justice en 2015, sa détermination s’est encore renforcée. Sylwia Gregorczyk obtient en 2019 le retrait d’autocollants “zones anti-LGBT” d’un magazine. Deux ans auparavant, elle avait lancé l’initiative “Tribunaux libres” pour sensibiliser le grand public à l’importance d’avoir une justice indépendante.

“Si on ne se sent pas assez soutenus, on risque de perdre l’envie de se battre.”

C’est d’ailleurs à ce titre qu’elle reçoit, en novembre dernier, avec les autres membres du projet, le prix du citoyen européen par le Parlement à Bruxelles. Il récompense les actions qui sont en adéquation avec les valeurs de la Charte des droits fondamentaux de l’UE. “Nous étions fiers d’être récompensés par le Parlement européen car on sent qu’on appartient à une seule famille qui partage les mêmes valeurs”, se souvient-elle dans un sourire.

En novembre 2021, Sylwia Gregorczyk, au milieu, a reçu le prix du citoyen européen à Bruxelles. © Sylwia GREGORCZYK

Pour beaucoup de militants comme Sylwia Gregorczyk, l’Union européenne doit en faire plus. Ils militent pour qu’elle ne soit pas seulement un ensemble de valeurs mais aussi un soutien actif de leur cause. “J’aimerais que l’UE fasse tout son possible, appelle la militante. Et qu’elle utilise tous les outils disponibles dans les traités pour nous aider. La société civile polonaise est très dynamique, les gens sont courageux. Si on ne se sent pas soutenus, on risque de perdre l’envie de se battre.” La bataille risque de continuer au moins jusqu’aux prochaines élections, prévues dans deux ans, au cours desquelles le PiS remettra en jeu son pouvoir.

Le portefeuille comme moyen d’action

Priver la Pologne de son droit de vote ? Cette menace d’utiliser l’article 7 du traité de l’Union européenne, évoqué dès novembre 2017, a été jugée trop risquée par les États membres. Pour faire pression sur Varsovie et y maintenir l'État de droit, l’UE attaque d’abord là où ça fait mal : au portefeuille. Dans la foulée de la décision de la Cour constiutionnelle polonaise, considérant le droit polonais supérieur aux règles européennes, l’UE a lancé la procédure “État de droit”, bloquant ainsi les fonds européens alloués à la Pologne. En ne validant pas le plan de relance polonais d’après-Covid de 36 milliards d’euros, la Commission européenne a privé Varsovie de son premier acompte du plan de relance européen, soit 3 milliards d’euros. Des fonds sans lesquels la politique sociale, priorité du PiS, ne peut être menée. Face à ce qu’il qualifie de “chantage”, le ministre polonais de la justice a menacé l’UE d’utiliser systématiquement son droit de veto lors des votes. Cette situation sera l’un des grands défis de la future présidence française du Conseil de l’UE qui débutera en janvier 2022. Emmanuel Macron a déjà annoncé vouloir dégeler le plan de relance d’ici quelques semaines.


Trois questions à ... Jacques Rupnik, politologue spécialiste de l'Europe centrale

Jacques Rupnik, spécialiste de l'Europe centrale.© DR

On a vu l'importance des manifestations pro-européennes en Pologne. Reflètent-elles ce que pensent tous les Polonais ?

Le langage employé par le Premier ministre polonais, mais surtout par le ministre de la Justice fait craindre à certains qu’on aille vers un divorce. Cela a considérablement mobilisé une partie de l’opinion polonaise contre le gouvernement actuel. Les Polonais s’affichent comme pro-européens parce qu’ils ont beaucoup bénéficié de leur appartenance à l’Union européenne. Ça a été le grand récit de 1989 : le retour à l’Europe, l’intégration européenne (NDLR : qui rejoindra l’UE en 2004). Mais il ne faut pas imaginer que toute la société polonaise se mobilise, la Pologne reste une société divisée. Dans la mesure où le gouvernement actuel est eurosceptique, souverainiste et veut se démarquer par rapport aux “intrusions” de la Commission européenne, l’UE est devenu un thème fédérateur pour l’opposition. L’Europe est ainsi devenue un clivage majeur de politique intérieure. Le consensus sur l’Europe a été brisé, et c’est une relative nouveauté.

Dans la situation actuelle, est-ce qu'un Polexit est envisageable ?

Le Polexit ne me semble pas à l’ordre du jour. Pourtant, cette possibilité n’est pas exclue car le bras de fer avec l’UE n’est pas terminé. Le conflit avec l’Europe était déjà latent, mais il s’est cristallisé avec la déclaration de la Cour constitutionnelle polonaise, le 7 octobre dernier, qui a remis en cause la primauté du droit européen. Même si la question de la sortie de l’UE n’a pas été posée ouvertement, on peut tout imaginer. Peu de gens envisageaient le Brexit, pas même David Cameron quand il a lancé le référendum. En Pologne, vous avez 80 % de l’opinion publique qui est favorable à l’UE, ce serait un peu suicidaire pour un gouvernement de se lancer dans une campagne pour en sortir. Et puis, quand on connaît la géographie et l’histoire de la Pologne avec le grand voisin russe à l’Est, on réfléchit à deux fois avant de claquer la porte de l’UE.

Que peut faire l'Union européenne pour éviter que la Pologne ou d'autres membres ne soient tentés d'en sortir ?

Les Polonais savaient parfaitement ce dans quoi ils s’engageaient en rejoignant l’UE, personne ne les a forcés à le faire. Il y a des traités, ils les ont adoptés par référendum. Et s’il y en a qui remettent en question ces principes, et bien il faut clairement marquer la limite. Il y a des partages de souverainetés, mais ils sont volontairement et démocratiquement acceptés. Le gouvernement polonais n’est plus de cet avis. Selon lui, il n’y a rien dans les traités qui l’empêche d’avoir son propre processus de nomination des juges. Certes, mais il est aussi présumé dans les traités qu’il s’agit d’une justice indépendante. Et si la justice n’est plus indépendante, l'État de droit européen ne peut plus fonctionner. C’est une des valeurs fondamentales de l’UE qui est atteint, et à ce moment-là, la Commission européenne doit agir. Comme l’UE est obligée de s’immiscer dans la politique polonaise pour régler cette crise, le gouvernement y voit une preuve d’intrusion excessive. C’est un cercle vicieux malheureusement.

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LASSITUDE

Chypre, d’espoirs en désillusions

Laura AYAD et Pierre THEVENET

Sur l’île de Chypre, occupée au nord par la Turquie, nombreux sont les habitants à se revendiquer pro-européens. Mais après plusieurs tentatives de réunification avortées, l’Europe a fini par décevoir, jusqu’à ses plus ardents partisans.

En adhérant à l’UE en 2004, les Chypriotes espéraient accélérer le processus de réunification. © Étienne COPEAUX

“Ce qui s’est passé, c’est que nous avons peu à peu cessé de penser que ce que nous faisions était utile” : constat implacable d’une militante pro-européenne, partagé par de nombreux habitants. Sur l’île de Chypre, divisée en deux depuis l’invasion par la Turquie en 1974, l’Union européenne concentre les motifs de déception. Ilke Dagli, originaire de Chypre-Nord, longtemps militante au sein de l’Association européenne de Chypre, ne fonde plus en l’Europe les mêmes espoirs qu’auparavant. “Après mes études au Royaume-Uni, j’avais à cœur de revenir à Chypre pour participer au processus de paix sur l’île”, explique-t-elle. Mais elle a vite mesuré la difficulté de la tâche : “Quand nous avons commencé après l’adhésion en 2004, les gens s’impliquaient vraiment et répondaient positivement à notre initiative. Mais au fil du temps, l’absence de changement a fait qu’ils se sont lassés de l’Union européenne… Cette absence d’impact nous a poussés à nous dire que, peut-être, ce que nous faisions ne servait à rien.”

L’Union européenne, pas à la hauteur ?

Pour Ilke comme pour beaucoup de Chypriotes, la désillusion est d’autant plus importante que les attentes étaient grandes. Comme l’explique Giorgos Kentas, professeur de politique internationale à l’Université de Nicosie, nombreux sont ceux qui voyaient en l’Union européenne une chance de résolution du conflit identitaire sur l’île : “Bien que les Chypriotes se sentent fiers de leur participation à l'Union et à la zone euro, ils estiment en même temps que l'UE les a laissés tomber sur deux questions cruciales : la réunification de l’île avec le Plan Annan (voir encadré), et le fameux plan de sauvetage financier de 2013, qui a provoqué la pire crise économique depuis 1974.”

“Personnellement, je me sens européen grâce à la frontière avec la Grèce (...) Mais je ne vote pas aux élections européennes. Jamais.”

L’Union européenne peinant à endosser son rôle de garante de la paix, l’espoir de voir l’intégration servir de catalyseur à la réunification de l’île s’est peu à peu évanoui. Ces dernières années, l’île connaît d’ailleurs une percée de l’euroscepticisme, qui, si elle n’a rien d’originale en Europe, se distingue par sa progression rapide dans un pays traditionnellement très europhile.

“Personnellement, je me sens européen grâce à la frontière avec la Grèce. On a les mêmes traditions, la même nourriture, le même hymne… Mais je ne vote pas aux élections européennes. Jamais”, affirme Pambos, un étudiant de 25 ans. À la suite de l’invasion turque, sa famille a été forcée de déménager dans le sud de l’île, laissant au jeune homme un sentiment de déracinement : “Je me sens comme un réfugié sur ma propre île… J’ai parfois l’impression que l’Union n’est d’aucune aide pour les problèmes des Chypriotes.”

L’Europe, un allié malgré tout essentiel

Est-ce à dire que les Chypriotes rejettent foncièrement l’Europe ? Pour Théotime Chabre, doctorant en science politique qui a résidé pendant un an et demi à Chypre-Nord, la réalité est plus nuancée : “Il s’agit moins d’un rejet de l’Union européenne que d’une méfiance à son égard.”

Car aussi décevante qu’elle soit en tant que médiatrice, l’Union européenne n’en demeure pas moins un partenaire nécessaire pour Chypre. C’est l’avis général au sein de la classe politique chypriote, peu touchée par l’euroscepticisme : que ce soit dans la majorité ou dans les partis d’opposition, presque tous conçoivent que l’appui de la Communauté européenne reste important pour éviter une escalade des conflits sur l’île. La découverte d’importantes réserves de gaz au large de Chypre n’a fait que renforcer cette conviction : si ces gisements ouvrent la voie à une possible autonomie énergétique et à de lucratives exportations, cette nouvelle manne renforce encore les rivalités avec le voisin turc.

“L'Union n'acceptera jamais une solution à deux États.”

“Pour nos responsables politiques, l'appartenance à l'UE est le plus grand atout du pays, car c’est un signe de confiance pour les investisseurs”, expose Giorgos Kentas. “Et puis, du point de vue du conflit territorial, ils considèrent que l'adhésion à l'Union accroît le sentiment de sécurité sur l'île.”

L’Union européenne, indispensable ? Sur cette question, le politologue constate qu’un profond fossé s’est creusé entre la classe politique et la société civile. À cette ligne de fracture, s’ajoutent les divisions au sein même des deux nations chypriotes : si au sud comme au nord, des îliens militent pour la fin de la division de l’île, peu s’accordent sur les termes d’un plan de réunification. Or de son côté, l’Union continue de rappeler son inflexibilité quant à l’existence de deux nations chypriotes indépendantes : en visite sur l’île en juillet 2021, la présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, a rappelé que l’UE “n’acceptera jamais, jamais, une solution à deux États. Nous sommes fermes et très unis là-dessus”. Une déclaration intervenue après l’octroi d’une aide d’1,2 milliard d’euros à Chypre pour relancer l’économie locale… Et qui prouve en tout cas que, malgré ses divisions, l’île ne peut se passer du soutien de la communauté européenne.

Chypre, une île coupée en deux depuis près de 50 ans

Le Plan Annan, porté par les Nations Unies en 2004, vise à réunifier l'île de Chypre. Depuis son indépendance, obtenue en 1959, l'ex-colonie britannique est convoitée au sud par la Grèce et au nord par la Turquie. Après une tentative ratée de coup d'État par les Grecs en 1974, les Turcs parviennent à occuper le nord de Chypre la même année. Depuis, une frontière coupe le pays en deux d'est en ouest, traversant la capitale, Nicosie. Les Chypriotes grecs sont chassés de leurs maisons du nord par les colons turcs, et des troupes militaires, envoyées par la Turquie, s'emparent du territoire. En 2004, alors que Chypre veut devenir membre de l'Union européenne, la réunification de l'île devient une priorité. Du nom du secrétaire des Nations Unies Kofi Annan, le Plan Annan est soumis par référendum aux habitants de l'île. S'il est plébiscité à 65 % au nord de l'île, occupée par la Turquie, ce dernier est largement rejeté dans le sud.
Les Chypriotes grecs reprochent au Plan Annan un trop grand nombre de concessions accordées au Chypriotes turcs, tel que le maintien des troupes envoyées par la Turquie. Ce refus est vécu au nord comme une validation du statu quo actuel, et entraîne un immense transfert de biens immobiliers des Chypriotes grecs vers les colons turcs.
Chypre est ainsi entrée dans l'Union européenne sous le statut de “pays divisé”. Si tous les citoyens chypriotes bénéficient de la citoyenneté européenne, la législation de l'UE ne s'applique, en revanche, qu'au sud de la ligne de fracture.


Mon Europe, Ma Bataille > Allo Ue Bobo > C'est Compliqué...

C'EST COMPLIQUÉ...

Hongrie - UE : Je t’aime, moi non plus

Sarah DUPONT

Depuis son arrivée au pouvoir, Viktor Orbán ne cesse de dénoncer le “diktat” de Bruxelles. L’historien Roman Krakovsky analyse cette défiance malgré l’attachement des Hongrois à l’Union.

Roman Krakovsky est historien, spécialiste de l’Europe centrale et orientale et maître de conférences à l’Université de Genève. © Roman KRAKOVSKY

En 2019, l’Eurobaromètre indiquait que 79 % des Hongrois se sentaient attachés à l’Union européenne. Pourtant, la popularité du Fidesz et de Viktor Orbán témoigne d’une réelle défiance vis-à-vis de ces institutions. Comment l’expliquer  ?

Le principal argument de Viktor Orbán contre l’Union européenne est qu’elle ne permet pas la défense de la nation. Il ne dit pas qu’il ne faut plus respecter la démocratie, la liberté d’expression, la liberté d’élection, le système multi partis… Mais il considère que ces principes démocratiques, au fondement de la démocratie libérale de l’UE, ne sont plus prioritaires. C’est la survie de la nation qui est primordiale. Viktor Orbán propose une alternative au modèle libéral, la “démocratie illibérale”. Un contre-modèle qui ne respecte pas nécessairement l'État de droit et ses valeurs. Il assume être discriminatoire à l’égard de certaines minorités. C’est ainsi qu’on obtient une grille de lecture pour comprendre pourquoi ces populations sont à la fois profondément pro-européennes et remettent en cause, non pas l’Europe en soi, mais le modèle actuel d’une Union européenne libérale.

En avril 2022, les Hongrois retourneront aux urnes pour les élections législatives. Ce scrutin peut-il déboucher sur un réchauffement des relations Hongrie-UE ?

En octobre, une coalition des partis allant de la gauche à l’ancienne extrême-droite a investi un unique candidat pour faire face à Viktor Orbán, le conservateur Peter Marki-Zay. Un pari ambitieux : il est toujours difficile de se réunir face à un ennemi commun sans un socle de valeurs partagées. Car lorsque l’ennemi disparaît, la coalition se dissout. Mais pour le moment, l’objectif premier pour Peter Marki-Zay est d’attirer d’anciens électeurs du Fidesz pour faire pencher la balance de son côté. Pour ce faire, le nouveau candidat a tendance à empiéter sur les plates-bandes d’Orbán sur des questions comme la défense de la nation et les frontières. Ses propos sont certes moins agressifs mais tout de même anti-migrants, LGBTphobe… On assiste à une droitisation de son discours. Le 8 décembre, la Commission européenne a désapprouvé le plan de relance national de la Hongrie, faute d’engagements en faveur d’une plus grande indépendance de la justice. Peter Marki-Zay dénoncera-t-il cette décision pour séduire l'électorat du Fidesz ? Son opinion sera déterminante pour saisir sa véritable position vis-à-vis de l’Union européenne.

Cet élan populiste existe en Hongrie, mais on l’observe dans d’autres pays de l’Europe centrale, comme en Pologne ou en République tchèque. Que nous dit-il sur nos propres démocraties ?

En Europe occidentale, nous avons tendance à “orientaliser” ces enjeux, ramener ce qui se passe dans ces pays à une forme d’exceptionnalité. On accuse souvent l’héritage communiste et la difficile transition économique de ces pays au moment de l’adhésion à l’Union, dans les années 1990-2000. En réalité, ce qui s’y joue aujourd’hui, les critiques à l’égard du libéralisme, des principes de l’Etat de droit, la défense d’une forme de souveraineté… n’est pas si différent de ce que revendiquent les leaders populistes occidentaux. Entre Éric Zemmour et Viktor Orbán, beaucoup d’idées sont similaires. Ce qui se passe en Hongrie, ou en Pologne, peut être vu comme une forme d’avertissement de ce qui pourrait arriver en Europe occidentale. Nous avons aussi des partis populistes, parfois très virulents comme l’AFD en Allemagne, qui ont un discours très proche de celui porté par le Fidesz, ou le PiS au pouvoir en Pologne, sur certaines questions (immigration, LGBT, droit à l’avortement…). L’unique différence, c’est qu’en Hongrie et en Pologne, ces partis sont au pouvoir et solidement installés. Ils disposent d’une majorité parlementaire confortable, comme en Hongrie, qui leur permet de faire passer des lois, sans avoir à négocier avec l’opposition.

Peut-on imaginer une Europe gouvernée par des majorités populistes ?

Les leaders populistes rêvent d’une Europe des nations souveraines, réduite à son utilité économique. Mais cette conception ferait perdre tout son sens au projet européen, puisqu’il n’y aurait plus de solidarité entre les pays membres. Pourquoi la France accepterait-elle de contribuer au budget européen, aujourd’hui à hauteur de 18 %, pour financer des fonds structurels hongrois, alors même que son gouvernement refuse les principes de l’État de droit ?