EDF, un monopole devenu encombrant
Avec la forte augmentation des prix de l’énergie depuis l’automne 2021, la libéralisation du marché européen est sous le feu des critiques. En France, cette ouverture à la concurrence se matérialise à travers l’Arenh qui oblige EDF à céder une part de sa production à prix coûtant. Si le dispositif a longtemps permis aux Français de bénéficier d’une énergie à des prix avantageux, il montre désormais ses limites.
Par Loris Rinaldi
« L’Arenh ça ne marche pas et ça ne marchera jamais. » Le sénateur communiste de la Seine-Saint-Denis, Fabien Gay, ne décolère pas contre le mécanisme d’Accès régulé à l’énergie nucléaire historique (Arenh). Mis en place en 2012, ce dispositif spécifiquement français vise à affaiblir le monopole d’EDF, seule détentrice de l’industrie nucléaire, sur la production et la fourniture d’énergie sur le territoire national, en ouvrant à la concurrence son marché de l’électricité. Cette ouverture voulue par l’Union européenne doit offrir une garantie de prix bas pour le consommateur et donner l’occasion à d’autres fournisseurs d’investir dans leur propre production comme le renouvelable.
Dans les faits, l’Arenh oblige EDF à vendre au prix coûtant de 42 € le mégawattheureune part de sa production à d’autres fournisseurs comme Total, Eni ou encore Mint Energie. Ainsi, EDF répercute ce prix de vente avantageux dans le coût de l’électricité qu’elle cède aux utilisateurs de son réseau. Cela revient à faire baisser le montant facturé. Les Français bénéficient ainsi des investissements réalisés historiquement dans son parc nucléaire. « Grâce à ça les Français payent leur énergie moins cher que les autres pays européens », explique Jacques Percebois, économiste à l’université de Montpellier. Pourtant, la crise de l’énergie commencée en automne 2021 a rebattu les cartes.
Une production en berne
D’abord, EDF ne s’y retrouve plus. En effet, l’Arenh oblige chaque année le premier producteur et fournisseur français à fournir à ses concurrents l’équivalent de 100 térawattheures d’électricité. Une quantité censée représenter 25% de sa production nucléaire. Mais cette obligation, EDF peine à la tenir en cette période de tension. L’année 2022 a été marquée par une chute de la production nucléaire. En cause, les fermetures de réacteurs à la suite de problèmes de corrosion causés par les retards en matière de maintenance, eux-mêmes conséquences de la crise sanitaire du Covid. Résultat, en lieu et place des 360 térawattheures d’électricité nucléaire produits l’année dernière, ce sont environ 300 térawattheures qui sont attendus cette année. À cela s’ajoute la décision prise en début d’année par le gouvernement d’allouer encore plus d’électricité aux autres fournisseurs. EDF doit donc céder une part plus importante d’une production devenue plus faible. De fait, elle peine à satisfaire ses propres clients, les particuliers et les entreprises.
À cela s’ajoute la décision prise en début d’année par le gouvernement d’allouer encore plus d’électricité aux autres fournisseurs. EDF doit donc céder une part plus importante d’une production devenue plus faible. De fait, elle peine à satisfaire ses propres clients, les particuliers et les entreprises. Pour honorer ses commandes aux utilisateurs tout en respectant l’Arenh, le géant de l’électricité est même contraint de se fournir au prix de gros, bien moins avantageux financièrement. Or, c’est ce recours qui se répercute ensuite sur le prix que payent les consommateurs et est en partie responsable de la hausse des factures en janvier 2023.
De plus, avec la flambée actuelle des prix de l’électricité, l’Arenh engendre un manque à gagner considérable pour EDF. Cette dernière doit vendre le mégawattheure à ses concurrents 42 € quand elle pourrait le vendre plus de 500 € sur le marché de l’énergie (chiffre de juillet 2022). Par ailleurs, ce tarif de 42 €, inchangé depuis 2012, ne correspond pas aux coûts réels de production : « Pour EDF, on est en réalité plus proche de 50 € voire de 60 € pour produire un mégawattheure », révèle Jacques Percebois. Cela revient à vendre à perte. Par ailleurs, ce tarif de 42 €, inchangé depuis 2012, ne correspond pas aux coûts réels de production : « Pour EDF, on est en réalité plus proche de 50 € voire de 60 € pour produire un mégawattheure », révèle Jacques Percebois. Cela revient à vendre à perte.
Par ailleurs, ce tarif de 42 €, inchangé depuis 2012, ne correspond pas aux coûts réels de production : « Pour EDF, on est en réalité plus proche de 50 € voire de 60 € pour produire un mégawattheure », révèle Jacques Percebois. Cela revient à vendre à perte.
Des promesses non tenues
En échange de ces prix bas consentis par EDF, il était espéré des fournisseurs alternatifs qu’ils s’engagent dans le développement de leurs propres moyens de production, en particulier dans le secteur du renouvelable. Un accord jugé non respecté par Fabien Gay, sénateur communiste de la Seine-Saint-Denis : « On voit bien qu’en dehors des gros fournisseurs, les investissements n’ont pas eu lieu, le système ne fonctionne pas », assure-t-il. Une affirmation combattue par Géry Lecerf, président de l’Association française indépendante de l’électricité et du gaz (Afieg). « La loi ne posait pas une obligation d’investir, mais évaluait simplement si des investissements avaient été permis », nuance-t-il. Il ajoute : « Plutôt que dans le renouvelable, les investissements recherchés étaient dans le nucléaire et l’hydraulique, mais on ne peut pas investir dans le premier et les barrages sont sous des concessions bloquées par les gouvernements successifs. »
Les fournisseurs, notamment parmi les plus modestes, rappellent les difficultés à satisfaire les objectifs attendus : « Faire à la fois de la distribution et de la production, ça demande beaucoup d’efforts pour un petit acteur », souligne Julien Courtel, porte-parole pour la coopérative de fourniture Enercoop.
Quel avenir pour l’Arenh ?
Mais pour cette coopérative qui a longtemps refusé l’Arenh, préférant proposer à ses clients une électricité dénucléarisée, le dispositif se révèle toutefois être une bouée de sauvetage en période de crise. Face à l’augmentation des prix, Enercoop a pris la décision de rejoindre l’Arenh en 2023 : « Y avoir recours nous permet de ne pas répercuter la hausse des prix sur nos clients et d’équilibrer notre modèle économique. » Au lieu d’acheter à prix fort sur le marché européen toute leur électricité, ils bénéficient avec l’Arenh d’une portion à bas coût.
Alors que ce mécanisme doit prendre fin en 2025, se pose la question de l’après. Faut-il le faire disparaître, le reconduire à l’identique ou sous une forme remaniée de contrats à long terme entre EDF et les fournisseurs ? « Pour le moment on n’en sait rien », reconnaît Jacques Percebois. Pour lui, une chose est sûre : « En cas de maintien de l’Arenh il faut impérativement augmenter le prix auquel EDF vend à ses concurrents. »