UNE ÉCONOMIE PROSPÈRE
Le monde coupé en deux
Exports
Imports
Production
Les transferts d’armes ont retrouvé un niveau jamais atteint depuis la fin de la guerre froide. D’après le Sipri, une trentaine de pays ont exporté des armes en 2015. A l’inverse, ils étaient plus d’une centaine à importer il y a deux ans. Un chiffre à relativiser: les cinq plus gros exportateurs (Etats-Unis, Russie, Chine, France et Allemagne) équivalent à 74% du volume total. Les ventes sont largement dominées par les dix premiers pays exportateurs: à eux seuls, ils représentent pas moins de 90% de la vente mondiale, dont plus de la moitié uniquement en provenance des Etats-Unis et de la Russie. La somme totale des ventes d'armes est de plus de 28 milliards de dollars.
Du côté des importateurs, ceux qui achètent le plus à l’étranger sont l’Arabie Saoudite, l’Australie, l’Egypte et les Emirats Arabes Unis. La moitié de ces achats est réalisée par les dix premiers Etats du classement seulement.
Les pays membres du conseil de sécurité de l’ONU produisent le plus: les Etats-Unis, la France, la Russie, et le Royaume-Uni. Ces pays avaient une base militaire solide au sortir de la deuxième guerre mondiale, et les Etats-Unis ont la production la plus puissante et la plus sophistiquée.
A la fin du XXe siècle, l’Europe occidentale et centrale développe à son tour ses usines d’armement. La Chine a rapidement rattrapé son retard et est aujourd’hui un fournisseur majeur, capable de créer des armements aussi efficaces que ses concurrents (données insuffisantes sur son potentiel exact). Ce sont d’ailleurs sensiblement les mêmes pays qui produisent et qui exportent le plus.
Les entreprises américaines, reines de la production et de la vente
Classement des entreprises de production d'armes, dans le top 100 mondial. Elles sont hiérarchisées par pays et par millions de ventes, en 2015
A eux seuls, les Etats-Unis comptabilisent près de la moitié des entreprises productrices d’armes dans le top 100 réalisé par le Sipri. L’hégémonie américaine s’affirme autant par le nombre d’entreprises présentes dans ce classement (43) que par leur rang en termes de vente (sept dans les dix premières entreprises mondiales). Avec plus de 228 milliards de dollars de vente en 2015, le pays commercialise cinq fois plus que son allié britannique.
Connue pour ses avions de combat, Lockheed Martin se place en première position et règne sur le commerce mondial de la défense et de la sécurité. L’aviation militaire et les véhicules de combats placent les entreprises en haut du classement des ventes. Ainsi, on retrouve Boeing, BAE Systems, Rolls Royce ou encore Finmeccanica (devenue Leonardo depuis janvier 2017) parmi les plus importantes entreprises d’armement.
La production d’armes se concentre seulement sur quelques pays de l’Europe de l’Ouest et des Etats-Unis. La plupart des entreprises sont installées depuis le début du XXe siècle.
Le fleuron français de l’armement, Thales, n’arrive que onzième dans le classement des ventes en 2015. Pourtant, l’industrie tricolore a repris des couleurs ces dernières années, avec les ventes de 24 rafales à l’Egypte et au Qatar ou encore les 12 sous-marins de DCNS pour l’Australie à l’horizon 2030.
Certaines entreprises travaillent aussi pour l'OTAN (Organisation du traité de l'Atlantique nord) comme Airbus, dont le siège social se situe à Toulouse. La société, spécialiste de l'aéronautique, vend notamment des drones de surveillance et des avions de ravitaillement militaire.
LA GÉOPOLITIQUE RÉGIT LE MARCHÉ
La guerre, un péril qui conforte les ventes d'armes
Zone de guerre
Zone de conflits
Terrorisme
Les plus gros pays exportateurs se situent essentiellement en Occident, dans des zones qui sont éloignées des zones de guerre. En réalité, ces Etats sont impliqués dans des conflits hors de leur sol. Par exemple, la France, avec l’opération Barkhane, a déployé 4 000 soldats au Mali, en Mauritanie, au Burkina Faso et au Tchad. Les Etats-Unis interviennent en Irak et en Syrie pour lutter contre l’Etat Islamique. les pays exportateurs peuvent aussi fournir en armes des groupes rebelles: par exemple, des groupes d’Ukraine de l’Est ont reçu des tanks de la Russie.
La situation est un peu différente pour les pays importateurs d’armes. La plupart ne sont pas non plus en situation de guerre sur leur territoire, mais ils sont en revanche cernés par les conflits. Ils cherchent à s’en protéger en améliorant leurs forces militaires.
L’Arabie Saoudite, prise en tenaille par les conflits yéménite, syrien et irakien, ne cache plus ses efforts pour empêcher l’arrivée de la violence sur ses terres. L’importation d’armes fait partie d’une stratégie globale de défense, avec l’augmentation des dépenses militaires de 52% entre 2014 et 2015. On constate le même phénomène pour son voisin, les Emirats Arabes Unis.
Pour autant, les pays en guerre ne sont pas ceux qui achètent. Selon Jeune Afrique, le continent africain est celui qui importe le moins d’armes au monde. C’est pourtant celui où il y a le plus de conflits. Les importations de ces pays viennent presque essentiellement de la Russie, de la France et depuis quelques années, de la Chine. Les livraisons concernent surtout des armes légères et des avions.
Outre l’Egypte, les plus gros importateurs africains sont l’Algérie et le Maroc, alors que ce ne sont pas les pays les plus menacés. Paradoxalement, le Cameroun, le Niger et le Tchad, en lutte contre l’organisation terroriste Boko Haram, ont de très faibles taux d’importation, à peine 0,6% du total mondial: selon l’ONU, cela est dû à un manque de moyens financiers, ainsi qu’à une mauvaise organisation étatique.
Quant à l'Australie, elle semble éloignée des conflits internationaux. Pourtant, depuis 2010, elle s'arme de nouveau pour protéger ses frontières maritimes. L'Inde est dans une situation semblable: en opposition avec le Pakistan depuis 70 ans, elle n'avait pas connu de telles tensions depuis un attentat terroriste en 2001 au Parlement indien.
L’itinéraire des armes
Exports
Imports
Les transferts d’armes sont indissociables des enjeux géopolitiques. Les plus gros exportateurs d’armes, qui sont aussi les grosses puissances économiques (Etats-Unis, Russie, Allemagne, France, Chine) fournissent en priorité leurs alliés. La Russie vend la plupart de sa production à l’Inde, alors que la Chine fait du Pakistan son principal client. L’origine du conflit entre l’Inde et le Pakistan remonte à l’indépendance des deux pays en 1947 et à la partition du Cachemire. Chaque Etat revendique toujours cette région. Proche du Tibet et du Xinjiang, c’est une région hautement stratégique pour Pékin, qui investit pour garder le contrôle de ces territoires.
Les autres exportateurs mondiaux ont une offre plus diversifiée. Les Etats-Unis, premier exportateur mondial avec 33% du total à eux seuls, vendent à plus de 100 pays différents. La France exporte plus de la moitié de ses armes vers le Moyen-Orient (Egypte, Emirats Arabes Unis ou Arabie Saoudite), pays membres de la coalition internationale contre Daesh en Syrie et en Irak. Le gouvernement français assure que ces pays sont des alliés contre le terrorisme.
Mais ces relations font débat dans l’opinion à cause de l’implication de l’Arabie Saoudite dans la guerre au Yémen.
Les transferts d’armes sont beaucoup plus unilatéraux si l’on regarde les flux pour l’importation. Les gros importateurs ont leur fournisseur privilégié, très souvent leurs alliés historiques. L’Arabie Saoudite reçoit plus de la moitié de son armement des Etats-Unis. Le pacte de Quincy, signé en 1945 entre les deux pays, promettait d’assurer la sécurité du royaume wahhabite en échange de livraisons régulières de pétrole, dont l’économie américaine avait grand besoin au lendemain de la seconde guerre mondiale.
L’Australie surprend dans ce classement des plus gros importateurs, dominé par les pays du Golfe. Depuis 2010, ses achats ont triplé par rapport au début du siècle. Le pays de l’hémisphère sud s’arme massivement, notamment de sous-marins, pour ne pas se laisser distancer par les chinois dans le Pacifique et la zone océanienne.
Les gouvernements ne lésinent pas sur les moyens
Le graphique reprend la part des dépenses militaires dans le budget total des Etats en 2015 pour les cinq plus gros pays exportateurs et importateurs.
Les Emirats Arabes Unis n'ont pas été conservés, car les données de l'année 2015 n'ont pas été fournies.
La part des dépenses militaires dans le budget total de l’Etat est très élevée dans tous les principaux pays exportateurs et importateurs. Alors que la médiane mondiale du budget militaire n’est que de 1,5% en 2015, cette part dépasse systématiquement les 2,7% dans les gros pays de transferts, et monte même à 27% pour l’Arabie Saoudite. Un chiffre impressionnant, qui s’explique selon le Sipri par les opérations au Yémen et les aides militaires au Liban et à l’Egypte, dont le gouvernement saoudien ne laisse pas filtrer les détails.
Mais les gros pays exportateurs et importateurs ne sont pas les seuls à battre des records de budget militaire. L’Oman voit ses dépenses s'élever à 28,2% du budget total. A l’autre extrême, elles représentent 0% du budget du Panama. Depuis 1990, les forces armées de ce petit pays d’Amérique centrale ont été démantelées et remplacées par une police nationale et des services aériens et maritimes.
En 2016, au niveau mondial, les investissements militaires ont représenté 1,77 milliard de dollars, soit 2,4% du PIB mondial. Cela représente une réduction des dépenses pour la troisième année consécutive, ce qui est particulièrement visible en Amérique du Sud et en Afrique. Certains pays, comme le Venezuela et l’Angola, ont été contraints en 2015 à baisser leur budget militaire suite à la chute des prix du pétrole. Une tendance inverse en Europe et en Asie. La Chine a ainsi augmenté ses dépenses de 132% entre 2006 et 2015. En Europe, seuls la Suède, le Luxembourg, la Grèce et l’Italie n’ont pas augmenté leurs budgets militaires.
Aux Etats-Unis, les dépenses militaires avaient baissé de 2% depuis 2011. Mais cette politique pourrait rapidement changer avec l’élection de Donald Trump: le nouveau président vient d’annoncer une hausse « historique » de 54 milliards de dollars, soit 9% supplémentaires pour le budget militaire afin de «répondre aux menaces d’un monde dangereux ».
«En Afrique subsaharienne, les armes majeures ne sont pas à la portée financière des Etats»
Aude FLEURANT, directrice du programme transferts et production d'armement au Sipri
Les ventes d’armes repartent à la hausse depuis quinze ans. L’industrie de l’armement va-t-elle continuer à croître ou stagner ?
Dans l’industrie de l'armement, les principaux clients sont les ministères de la défense nationale. Aux Etats-Unis, le marché intérieur suffit pour soutenir l’industrie de défense. Ce n'est pas le cas en Europe et en Chine. Il y a des pressions fortes pour vendre à l’étranger, notamment en France, au Royaume-Uni et en Suède, car s’il n’y a pas de nouveau contrat, cela équivaut à fermer une ligne de production. L’année dernière, les nombreuses ventes de Rafales ont sauvé Dassault. Les gouvernements décident de pousser les ventes à l’exportation pour être capable de maintenir la capacité nationale. Reconstruire la capacité de production dans le futur est extrêmement coûteux.
On a vu que les Etats-Unis concentrent la moitié des entreprises d’armement. Pourquoi sont-ils aussi puissants dans le domaine militaire ?
Contrairement à l’Europe, ils sont sortis de la deuxième guerre mondiale relativement indemnes. Ils n’ont pas été bombardés, ils avaient déjà converti des entreprises civiles à de la production militaire. Après guerre, ils ont fait l'inverse. C’est ce qu’ils ont fait après les deux guerres mondiales, jusqu’au durcissement avec l’URSS. A partir de ce moment, ils se sont réarmés avec un investissement massif. Leur PIB a aussi grossi grâce aux Trente glorieuses. Ils ont maintenant le plus gros marché militaire au monde, avec des armes très technologiques et sophistiquées.
Pourquoi les pays en conflit, particulièrement en Afrique, importent si peu d’armes?
Le Sipri ne comptabilise que les systèmes d’armes majeures (on exclut les armes de petits calibres et légères). Les armes majeures sont coûteuses et ne sont pas à la portée financière de plusieurs Etats africains. Mais surtout le capital humain est très important en Afrique subsaharienne, les armées sont sur le terrain. Les Etats achètent des équipements modestes mais qui conviennent à ces pays (hélicoptères, véhicules blindés légers). En Afrique du nord, c’est différent: l’Algérie et l’Egypte achètent des sous-marins, des frégates.
Y a-t-il vraiment un risque, aujourd’hui, qu’un Etat utilise l’arme nucléaire?
C’est difficile de répondre... Il faut comprendre qu’il y a deux armes nucléaires: celles dites stratégiques, qui permettent de frapper un autre pays à une longue distance. Celles-ci n’ont pas vocation à être utilisées, la France n’en a plus. Seuls les Russes et les Américains en ont encore. Les autres armes nucléaires, dites tactiques, sont des missiles à portée courte pour les champs de bataille. La dissuasion, c’est de dire: « Si vous nous frappez, on a une capacité de représailles. » Elle crée la possibilité d’un dialogue. Le pendant de cela, c’est que les armes existent. A partir du moment où une arme existe, elle peut être utilisée. Plusieurs pays sont en train de moderniser leurs arsenaux nucléaires.
LE NUCLÉAIRE, UNE MENACE PERSISTANTE
De la seconde guerre mondiale à aujourd'hui, l'histoire de l'arme atomique
En 2009, Barack Obama faisait une promesse : un monde sans arme nucléaire. Il n’a pas pu la tenir. Depuis la guerre froide, les Etats ont modernisé leurs arsenaux. Le potentiel nucléaire existant aujourd’hui suffit largement pour détruire le monde. Les négociations sur les accords de 2010 n’apportent rien de nouveau et la neuvième conférence du Traité de non-prolifération nucléaire (TNP), qui aura lieu en avril 2017, se contentera de défendre les points principaux du traité, soit le désarmement, l’antiprolifération et l’utilisation pacifique de l’atome.
L’arme nucléaire sert toujours d’élément de dissuasion. Même si, vingt-cinq ans après la guerre froide, les conflits ne sont plus de même nature, le concept s’applique toujours. Exemple le plus évident : le régime nord-coréen veut absolument se doter de l’arme nucléaire, non pas pour faire des ravages parmi ses voisins, mais pour s’aligner sur la Chine et les Etats-Unis. L’atmosphère n’est plus si sereine à la Maison Blanche depuis le changement de président. Donald Trump n’apprécie pas les actions en solitaire de Kim Jong-un et veut mettre l’arsenal nucléaire de l’Amérique à niveau.
Difficile d'évaluer le danger réel que représente la dictature nord-coréenne. Mais ce n’est pas seulement le despote qui inquiète: Donald Trump a refusé d’exclure le recours aux armes atomiques. Lors d’une interview à la chaîne MSNBC, il s’est demandé: « Pourquoi les Etats-Unis fabriquent-ils des armes nucléaires si ce n’est pas pour les utiliser ? » En 2017, aux commandes de l’arsenal le plus puissant du monde, siège un président qui ne se prive pas de la possibilité de lâcher une bombe nucléaire sur l’Europe.
L’armement nucléaire a beaucoup évolué depuis 1945: les bombes sont maintenant bien plus sophistiquées. Alors qu’elles atteignaient 15 kilotonnes, les ogives peuvent maintenant avoir une puissance de plus de 10 mégatonnes. La Russie a même fait exploser une bombe de 50 MT en 1960. A quoi ressemblerait un lancement de « Little Boy », l'arme atomique qui a été lâchée sur Hiroshima en 1945, ou de « Ivy Mike », la première bombe H testée avec succès ? Nous avons visualisé ce scénario à l’aide de Nukemap, un site créé par Alex Wellerstein, qui permet de simuler des attaques nucléaires dans le monde.