En France, près de neuf jeunes sur dix quittent le monde éducatif avec un diplôme en poche. Un bon résultat qui ne suffit pourtant pas à assurer une insertion professionnelle réussie pour tous. Alors que les performances du système scolaire français semblent s'améliorer, la sortie de formation initiale ne s'accompagne pas toujours d'une première embauche. Retour sur les facteurs qui influencent l'accès à l'emploi.
Au fur et à mesure que l'on avance dans la scolarité, le nombre d'élèves, puis d'étudiants, diminue rapidement. À 16 ans, âge jusqu'auquel l'instruction est obligatoire en France, plus de neuf élèves sur dix sont inscrits dans un établissement scolaire. Puis le taux de scolarisation baisse rapidement : 78% chez les jeunes de 18 ans, 53 % à 20 ans et 12 % à 25 ans. Il y a ceux qui peinent à réussir les examens, ceux qui décrochent et ceux qui quittent le système scolaire, diplôme en poche, pour suivre leur vocation et rentrer sur le marché du travail. Dans tous les cas, ces jeunes sortent de formation initiale et passent de l'éducation nationale à la recherche d'emploi.
Chaque année, sur 100 jeunes qui quittent le système scolaire, 45 sont diplômés du supérieur contre 43 du secondaire. Les 12 % restants sont ceux que l'on appelle les « sortants précoces ». Comprendre : ceux qui quittent la formation initiale sans aucun diplôme ou avec le seul brevet des collèges. Pour eux, l'insertion professionnelle s'avère plus difficile que pour les autres. Les chiffres sont formels : plus le niveau de qualification atteint est élevé, plus l'insertion se fait rapidement et dans de bonnes conditions. Sur les quatre premières années, seul 29 % des sortants précoces se trouvent en situation d'emploi, contre près de 85 % des diplômés du supérieur. Un fossé de taille qui peine à s'atténuer avec le temps.
Car faire de longues études n'est pas donné à tout le monde. Plusieurs facteurs s'avèrent décisifs dans la durée de l'instruction : structure familiale, origine sociale, métier des parents. Une enquête réalisée en 2015 sur le devenir des élèves entrés en classe de sixième en 2007 exprime bien cette réalité. Huit ans plus tard, près d'un enfant issu de famille monoparentale sur trois était sorti du système scolaire. Même constat pour les familles nombreuses : à partir de quatre enfants, c'est un élève sur quatre qui était sorti du système scolaire en 2015.
Par ailleurs, l'origine sociale semble déterminer fortement les chances de longévité au sein de l'éducation nationale. Outre un taux de réussite parmi les plus faibles aux grands diplômes nationaux (brevet des collèges et baccalauréat), les enfants d'ouvriers, qui sont les plus nombreux au collège (un élève sur quatre), disparaissent peu à peu pour atteindre les 9 % en master. C'est en lycée professionnel qu'on les retrouve : ils y représentent plus d'un tiers des effectifs. Une trajectoire diamétralement opposée à celle des familles de cadres et professions intellectuelles supérieures, absents des lycées professionnels et première population représentée chez les doctorants.
Qualification exigée
Sans surprise, le diplôme s'avère être le premier critère de réussite dans l'intégration professionnelle. Il conditionne également la stabilité de l'emploi en sortie de formation initiale. Au terme des quatre premières années qui suivent la sortie du système scolaire, à peine plus d'un sortant précoce sur dix a signé un contrat à durée indéterminée, contre un diplômé du secondaire sur trois et plus de la moitié des étudiants diplômés du supérieur. S'il est vrai que l'écart tend à se réduire avec le temps, les sortants précoces ne rattraperont pourtant jamais leurs camarades plus qualifiés.
Examiné sous l'angle de la durée d'accès au premier emploi, le constat reste identique. C'est ce que démontre une étude réalisée en 2015 par le Centre d'études et de recherches sur les qualifications (Céreq) sur la génération 2010. Elle met en évidence les temps bien plus courts d'accès au premier emploi chez les diplômés. Parmi les sortants précoces qui ont trouvé un emploi sur les cinq ans auxquels se cantonne l'étude, le temps moyen avant de décrocher le précieux contrat était de 15 mois. Et il leur a fallu attendre 23 mois pour signer leur premier CDI. Un délai bien plus long que pour les diplômés du supérieur et leurs trois mois d'attente avant la première embauche.
Pour autant, la capacité de l'éducation nationale à garder ses élèves et donc la situation des sortants précoces semblent s'améliorer. Ces derniers sont de moins en moins nombreux et quittent la formation initiale plus tard, ce qui implique un meilleur bagage pour entrer dans la vie professionnelle, même sans diplôme. Chez les 18-24 ans, la part de sortants précoces est en diminution constante depuis 2010, et elle est passée sous la barre des 10 % en 2013. En 2017, elle n'était plus que de 8,9 %. Par ailleurs, les sortants précoces se sont déplacés de la seconde vers la terminale. Avec ou sans baccalauréat, ils restent plus longtemps au lycée et bénéficient plus longtemps des apports de l'enseignement. Parmi ceux qui obtiennent leur diplôme de fin de secondaire, 17% quittent la formation initiale pour rejoindre le monde du travail.
Néanmoins, les modèles sociaux se reproduisent souvent d'une génération à l'autre : il y a peu de mouvement entre la catégorie socio-professionnelle dont sont issus les élèves et celle à laquelle ils appartiendront dans le futur. Sans surprise, les sortants précoces deviennent, pour une écrasante majorité, soit ouvriers soit employés. Sur les quatre premières années qui suivent leur sortie du système scolaire, ils sont 80 % à être soit ouvriers soit employés. À l'inverse, les diplômés du supérieur intègrent rapidement les catégories socio-professionnelles les plus élevées et près de la moitié d'entre eux appartiennent à la catégorie des cadres et des professions intellectuelles supérieures.
En France,
il est difficile d'évoluer au travail
lorsqu'on commence sans diplôme
Anaïk Pian, maître de conférence en sociologie à l'Université de Strasbourg, cite François Dubet pour expliquer cette réalité. « En France, il est difficile d'évoluer au travail lorsqu'on commence sans diplôme, explique-t-elle. C'est dû à la structuration du marché du travail. » Un frein qui bloque l’ascenseur social pour ceux qui commencent à travailler tôt. À l'inverse, les pays qui favorisent la formation continue et la validation des acquis par l'expérience produisent moins d'inégalités sociales. « Il y a aussi le fait que les réseaux de relations sont aux mains des familles les plus aisées », poursuit la sociologue. Ce sont ces réseaux de relations qui bien souvent ouvrent les portes d'un emploi de qualité et rendent l'élévation sociale possible.
Expérience souhaitée
Origine sociale, diplôme, profession des parents, ne sont pas les seuls critères d'influence sur l'intégration professionnelle. Moins évident, pas toujours décisif, un autre élément constitue un atout majeur au moment de chercher un emploi. Il s'agit de l'expérience pratique, soit par la voie de l'apprentissage, soit par la voie des stages, longs de préférence.
Historiquement, l'apprentissage concerne surtout les niveaux inférieurs ou égaux au baccalauréat. Toutefois, il tend à s'imposer dans l'enseignement supérieur. Sur les 412 000 apprentis que compte l'éducation nationale, un tiers le sont dans le supérieur, et cette part est en constante augmentation. « L'apprentissage est toujours source de préjugés, confie une employée du CFA universitaire d'Alsace, structure d'une quarantaine d'années qui réunit actuellement quelque 2400 apprentis pour près de 120 formations. Pourtant, poursuit-elle, c'est une évidence pour nous. » Garantie d'une expérience professionnelle supplémentaire sur le CV c'est aussi une mise en condition efficiente pour affronter le marché du travail. « Les apprentis font eux-mêmes le choix de ce type de formation, et cela renvoie un bon état d'esprit aux employeurs. »
Si le niveau de qualification du diplôme obtenu persiste à conditionner l'insertion professionnelle du jeune sortant, il ne fait aucun doute que la formation par apprentissage s'avère payante. Pour le seul niveau CAP/BEP, le taux d'emploi des apprentis est deux fois supérieur à celui de la totalité des diplômés et la part de CDI trois fois plus importante. En ce qui concerne le baccalauréat professionnel, le constat est sensiblement le même avec un taux d'emploi nettement au dessus chez les apprentis et une part de contrats à durée indéterminée beaucoup plus importante.
Alternative à l'apprentissage : le stage dans le supérieur, de plus de deux mois de préférence. Les filières qui intègrent la possibilité d'effectuer des périodes en entreprise, voire qui y obligent leurs étudiants comme c'est le cas en DUT ou en licence professionnelle, disposent d'excellents résultats en terme d'insertion professionnelle. C'est le cas notamment des diplômes d'ingénieur, des DUT, du système classique licence-master et de la filière reine de l'expérience pratique, la licence professionnelle.
74 % de CDI
deux ans et demi après l'obtention
de la licence professionnelle
À l'échelle nationale, la licence professionnelle est la filière qui donne les meilleurs résultats d'insertion professionnelle. Un an et demi après l'obtention de leur diplôme, neuf étudiants sur dix ont un emploi, pour près de 61 % de CDI. Un meilleur résultat que le master, de niveau pourtant plus élevé, et que le DUT. Le succès ne s'arrête pas là : 30 mois après leur sortie de formation, ce sont trois diplômés sur quatre qui sont embauchés en CDI, bien souvent dans des emplois de niveau intermédiaire, de type technicien ou agent de maîtrise.
Pour la seule Académie de Strasbourg, les chiffres confirment sensiblement la tendance nationale. Si l'on exclut la part d'étudiants ayant poursuivi leurs études, ce sont neuf diplômés sur dix qui ont trouvé un emploi, deux ans et demi après leur sortie de formation.
à la loupe
CDI en vue pour les apprentis opticiens
Des 34 licences professionnelles que recense l'université de Strasbourg, celle des Métiers de l'optique et de la vision (MOV) se distingue par son taux d'insertion professionnel défiant toute concurrence. À l'origine, la filière propose deux parcours et un stage obligatoire mais très vite, le choix de l'alternance s'impose : d'abord en contrat de professionnalisation, puis en apprentissage, depuis cette année.
Nathalie Parizel est maître de conférences en physique. Elle dirige depuis 2008 cette licence qui forme aux métiers de l'optique et de la lunetterie. « En contrat de professionnalisation, le jeune est mieux payé, mais il coûte plus cher à l'employeur, explique-t-elle. C'est pour ça qu'on a élargi notre offre à l'apprentissage, afin de toucher plus d'employeurs potentiels. » Et si, dans le temps, la filière avait du mal à se remplir, faute de maîtres de stage, elle dépasse aujourd'hui l'effectif prévu de 20 élèves.
C'est le meilleur moyen
de faire la différence
Cette année, ils sont 22 à suivre ce cursus : 17 en apprentissage et 5 en contrat de professionnalisation. Des étudiants titulaires d'un BTS d'opticien lunetier qui souhaitent poursuivre leurs études. Grâce à la licence professionnelle, ils pourront prétendre à des activités plus diversifiées et plus intéressantes et se verront confier plus de responsabilités que leurs homologues moins formés. « Notre maquette de formation propose également des cours d'ouverture et de gestion d'entreprise, poursuit Nathalie Parizel. Il arrive souvent que nos étudiants soient embauchés pour gérer un magasin alors que le patron part en ouvrir un autre. »
Inscrite en licence professionnelle MOV, Amandine, 21 ans, fait partie de ceux qui ont signé un contrat de professionnalisation. Pour elle, le choix de la poursuite d'études s'est fait naturellement après son BTS. La formation en alternance lui apporte « des compétences supplémentaires et une possibilité de spécialisation » qu'elle n'aurait pas eu si elle s'était arrêté avant. Et elle se sent plus confiante pour attaquer le monde du travail. « La plupart des étudiants de ce domaine s'arrêtent au BTS, explique-t-elle. Poursuivre en licence professionnelle, c'est le meilleur moyen de faire la différence avec les autres. »
Les employeurs cherchent
quelqu'un qui soit opérationnel
et nos jeunes le sont
Les études statistiques portant sur les diplômés des dernières années sont en cours de réalisation et ne sont pas encore publiées. Toutefois, Nathalie Parizel reste en contact avec ses anciens élèves et raconte : « Les diplômés de 2017 et de 2018 sont tous en emploi et tous en CDI. Même ceux qui poursuivent leurs études sur un DU (diplôme universitaire) travaillent en même temps. » Quand on l'interroge sur ce taux d'insertion de 100%, elle cite la qualité de la formation, bien adaptée pour le métier. « Les employeurs cherchent quelqu'un qui soit opérationnel tout de suite, explique-t-elle, et nos jeunes le sont. »
Pour la maître de conférences, le taux élevé d'insertion des étudiants de licence professionnelle n'est pas une surprise, puisque c'est précisément l'objectif de ces formations : former des jeunes pour leur permettre d'intégrer directement le monde du travail, d'où l'importance accordée à l'expérience professionnelle. « L'objectif n'est pas du tout le même qu'en licence générale, qui prépare les élèves à poursuivre leurs études, conclut-elle. C'est donc normal que l'insertion soit supérieure dans nos formations. »
Méthodologie
Pour des raisons de disponibilité de données, les années auxquelles se rapportent les différents graphiques sont différentes. Les résultats exprimés dans cet article sont toutefois les plus récents disponibles auprès des différentes sources consultées - principalement l'Insee, le ministère de l'éducation nationale (MEN) et le ministère de l'enseignement supérieur, de la recherche et de l'innovation (MESRI). Ils s'appuient, entre autres, sur l'étude Repères et références statistiques, éditée en 2018 par le ministère de l'éducation nationale.