Le système universitaire est arrivé à bout de souffle. Alors que les effectifs croissants deviennent ingérables, moins d’un tiers des étudiants obtient sa licence en trois ans. Le 8 mars 2018 a été promulguée la Loi sur l'orientation et la réussite des étudiants pour pallier « la persistance d'un taux d'échec très élevé dans le premier cycle ». Décryptage en chiffres des facteurs qui influencent la réussite en licence.
Plus d'étudiants mais peu de réussite
La plateforme Parcoursup remplace désormais Admission post bac. Les vœux des étudiants, près de huit par candidat en moyenne, ne sont plus hiérarchisés et « lorsque le nombre de candidatures excède les capacités d'accueil d'une formation, les inscriptions sont prononcées […] au regard de la cohérence entre le projet de formation du candidat, les acquis de sa formation antérieure et ses compétences ».
Autrement dit, les filières sous tension pourront classer les candidatures des étudiants. Une décision largement contestée par l’Unef : le syndicat étudiant estime que cette réforme risque d’instaurer une sélection à l’université et ainsi d’accentuer les discriminations à l’entrée dans l’enseignement supérieur.
Selon le syndicat, plus d’un tiers des licences seront sélectives à la rentrée prochaine, dont 71% des premières années de licence en Sciences et techniques des activités physiques et sportives (Staps), une discipline particulièrement demandée.
À Strasbourg, une commission d’examen des vœux aura environ un mois et demi pour effectuer cette sélection en Staps. Aussi, François Sutter, le responsable de la formation, espère que le recrutement « inédit » de deux enseignants et quatre maîtres de conférence pour l’année prochaine sera moteur de réussite.
La filière doit se ré-adapter sans cesse pour compenser la hausse des effectifs. « À la rentrée dernière, on a fait le choix d’accueillir tout le monde, ce qui a demandé beaucoup d’organisation. Il a fallu recruter des enseignants sous forme de vacations et doubler les cours en amphithéâtre », raconte François Sutter. « Un de mes cours magistraux a même été retransmis en direct dans un deuxième amphi. »
« Un professeur nous a raconté qu’il faisait cours debout afin de laisser son bureau à des étudiants qui n’avaient plus de places pour s’asseoir. »
Colin Jude, président de l’Unef à Strasbourg.
Colin Jude, président de l'Unef Strasbourg depuis 2015.
Crédit Photo : Aurélia Abdelbost
Aussi, le président de l'Unef Strasbourg, Colin Jude raconte comment certains étudiants finissent assis sur les escaliers des amphithéâtres car ils n’ont pas de chaises pour s’asseoir. En 2016-2017, 1 623 522 étudiants se sont inscrits à l’université, soit 356 000 de plus qu’en 2010.
À l'échelle nationale, le nombre de nouveaux entrants en Staps a doublé en dix ans et seul un tiers réussit en trois ans. Mais il n’y a pas que dans cette filière que les étudiants rencontrent des difficultés, les chiffres sont inquiétants pour toutes les disciplines ou presque. Le taux de réussite en trois ans n’est que de 24% en Sciences et sciences de l’ingénieur. Et en Lettres, où les résultats sont les meilleurs, ce taux s'établit à 31%.
Un bagage scolaire et social lourd à porter
Tous les étudiants n'arrivent pas égaux à l'université, leur bagage scolaire et social joue un grand rôle. Ainsi, les détenteurs d’un bac professionnel n’ont, statistiquement, presque aucune chance d'obtenir leur licence du premier coup. Leur taux de réussite n’est que de 2%. En Staps, à Strasbourg, sur 104 étudiants possédant un bac professionnel inscrits en 2015-2016, un seul est passé en deuxième année.
Même parmi les filières générales, il y a de grandes disparités. Le taux d’obtention de la licence en trois ans est de 38% pour les détenteurs d’un bac scientifique, mais ce taux tombe à 33% pour les étudiants qui ont un bac littéraire. Et ceux qui ont les meilleurs résultats au bac ont beaucoup plus de chances de réussir en licence. Les lycéens qui ont obtenu la mention Très bien ont un taux d’obtention de la licence en trois ans de 70% alors que ceux qui sont passés par la case rattrapage n’ont que 10% de chances de réussir d'une traite.
Pour l'origine sociale des étudiants, les professions et catégories socioprofessionnelles sont divisées en quatre groupes.
Très favorisé : chefs d’entreprise de dix salariés ou plus, cadres et professions intellectuelles supérieures, instituteurs, professeurs des écoles. Favorisé : professions intermédiaires
(sauf instituteurs et professeurs des écoles), retraités-cadres et des professions intermédiaires. Assez favorisé : agriculteurs exploitants, artisans et commerçants (et retraités correspondants), employés.
Défavorisé : ouvriers, retraités ouvriers et employés, inactifs (chômeurs n’ayant jamais travaillé, personnes sans activité professionnelle).
Le milieu social dont sont issus les étudiants joue aussi un rôle. On remarque que le taux de réussite en licence en trois ans passe de 33% à 21% selon si l’on vient d’un milieu favorisé ou très défavorisé.
Pour expliquer les difficultés des étudiants en Staps à Strasbourg, le responsable de la formation explique : « Certains bacheliers ont une vision erronée de ce que contient cette licence et minimisent l’importance des cours théoriques. Et d’autres ont du mal à faire la bascule entre le lycée et le fait d’être étudiant, parfois dans une nouvelle ville, loin de leurs parents, avec une autonomie à construire ».
À l'université, les étudiants sont peu encadrés
Les études ont un coût non négligeable qui peut peser sur les étudiants. Aussi 46% ont une activité rémunérée selon l'enquête menée en 2016 par l'Observatoire national de la vie étudiante (OVE) auprès de 60 700 étudiants. Parmi ces 46%, 70% travaillent et un tiers sont en stage ou en alternance.
« Un étudiant qui travaille possède 50% de chances en moins de réussir ses études »,
Colin Jude.
« Certains étudiants travaillent quelques heures seulement et d’autres sont à temps plein. Dans les deux cas, travailler demande beaucoup d’énergie et de force mentale », estime le président de l'Unef Strasbourg. Une activité qui peut représenter une entrave aux études dans certains cas : près de 18% des étudiants déclarent que leur activité rémunérée a un impact négatif sur leurs études, selon l’étude de l’OVE.
Un modèle qui réussit : l'IUT
« Le DUT est un peu notre modèle d'inspiration pour la licence pour les taux de réussite, mais surtout pour la qualité de l’enseignement »,
Colin Jude.
Pour le président de l'Unef Strasbourg, c'est plutôt la façon d'enseigner qui pose problème en licence. En Institut universitaire de technologie (IUT), les taux de réussite sont bien plus hauts et bien moins disparates. Ainsi un jeune qui a eu son bac au rattrapage a 40% de chances d’obtenir son diplôme universitaire de technologie (DUT) du premier coup, contre 10% en licence. Et 50 % de chances d’obtenir son DUT du premier coup s'il vient d’un bac technologique, contre moins de 10% en licence.
En DUT, les étudiants sont très encadrés
« En IUT, le volume horaire est beaucoup plus important : 1 800 heures de cours en deux ans contre 1 500 en trois ans en licence. Il y a beaucoup de travail en petits groupes, une trentaine d'étudiants pour les travaux dirigés et une quinzaine pour les travaux pratiques. Quant aux cours magistraux, on les a presque supprimés. On essaie de privilégier les projets concrets », explique Yann Gaudeau, directeur de l’IUT d’Haguenau, au nord de Strasbourg. En IUT, les étudiants sont très encadrés, l’assiduité est étroitement surveillée. Par exemple à l’IUT d’Haguenau, les étudiants sont convoqués au bout de cinq absences et à chaque fin de semestre, ils ont un entretien avec le directeur des études.
Un suivi semblable aux conditions de travail en lycée. À Haguenau, près d’un quart des étudiants de DUT ont effectué une première année de licence ou de classe préparatoire avant de se réorienter : « En licence, la façon de travailler ne leur convenait pas mais en DUT ils réussissent quasi-toujours bien ». Cet accompagnement coûte aussi plus cher.
« Le budget par étudiant en licence est de 3 000 à 4 000 euros, alors qu’en IUT, il est plutôt de 8 000 à 9 000 euros par an »,
Yann Gaudeau, directeur de l'IUT d'Haguenau.
Toutefois, les taux de réussite excellents s’expliquent aussi par la sélection à l’entrée du DUT. Par exemple en Métiers du multimédia et de l’internet, à Haguenau, il y a quatre fois plus de demandes que de places. Une sélection qui se fait « sur les notes académiques, mais il n’est pas nécessaire d’exceller, on peut avoir 10 ou 11 de moyenne en terminale. On leur demande surtout d’être motivés par un projet professionnel », précise le directeur.
De meilleures chances d'insertion avec une licence professionnelle
Les étudiants sortant de DUT, eux, se dirigent très souvent vers la licence professionnelle. Elle accueille environ un tiers d'entre eux. « À Haguenau, 10% s'insèrent directement dans la vie professionnelle après le DUT, parce qu'ils ont une offre d'emploi bien rémunérée par exemple, 40% continuent jusqu'à Bac +5 et l'autre moitié va en licence professionnelle », détaille Yann Gaudeau.
Quant à la grande majorité des diplômés de licence, un cursus non professionnalisant, ils poursuivent en master. On remarque tout de même de grandes disparités selon les disciplines. Par exemple, en Droit-Sciences-Politiques, le taux de poursuite d'études est de 90% mais en langues, il n'est que de 70%.
Même si les taux de réussite et d'insertion en DUT sont bons, le cursus pourrait aussi être concerné par la campagne de réforme des universités. Dans une interview à l’Est Républicain le 16 novembre 2017, Frédérique Vidal, la ministre de l’Enseignement supérieur et de la recherche annonce : « Une réflexion est engagée avec les directeurs d’IUT pour étendre les études sur trois ans au lieu de deux ».
« Le but est de diminuer les volumes horaires, de favoriser l’alternance en deuxième et troisième année et de limiter les poursuites d’études », détaille Yann Gaudeau. « On en sait encore peu sur cette réforme, il y a encore des négociations mais on devrait avoir une réponse officielle fin juin », ajoute-t-il.
En parallèle, il est possible que la licence professionnelle soit rallongée pour devenir un cursus à part entière (en deux ou trois ans). « Une autre possibilité est d’intégrer les licences professionnelles dans le DUT », remarque le directeur de l’IUT d’Haguenau. Actuellement, la licence professionnelle se prépare en un an, après deux ans d'études validés dans le supérieur.
Méthodologie et sources
Pour mesurer la réussite en licence et en DUT, nous avons réuni deux facteurs. D’une part, le taux d’obtention du DUT ou de la licence en 2 ou 3 ans, c’est-à-dire sans redoubler. D’autre part, le taux de passage de la première à la deuxième année. En effet, c’est durant la première année que le taux d’échec des étudiants est le plus fort.
Les données proviennent du ministère de l’Enseignement supérieur pour la grande majorité, mais les années de références varient en fonction des disponibilités. Pour la réussite en licence, nous avons utilisé les cohortes 2012 (pour l’obtention de la licence), et 2014 (pour le passage de la L1 à la L2). En ce qui concerne les DUT et les licences professionnelles, il s’agit des cohortes qui ont obtenu leur diplôme en 2014. Enfin, pour les master, il s’agit de l’année 2015.
Sources :
Ministère de l'Enseignement supérieur : education.gouv.fr, data.enseignementsup-recherche.gouv.fr, iut.fr
Observatoire national de la vie étudiante