Avortement : la croix et la manière
"L'avortement n'est pas un mal mineur, c'est un crime". Ce sont les mots du pape François, prononcés le 18 février 2016 lors d'une visite au Mexique à propos de l'épidémie Zika qui frappe l'Amérique Latine depuis plusieurs mois. Il a fait part de ses préconisations pour mettre fin à ce fléau en exhortant les médecins "à tout faire pour trouver des vaccins". Une déclaration intervenue au moment où l'ONU demandait la légalisation de l'avortement dans plusieurs pays de la région où il est toujours interdit, alors que le virus est soupçonné de provoquer des malformations chez les nouveaux-nés. Une nouvelle attaque portée contre l'avortement par l'Eglise catholique, dont les positions sont restées les mêmes depuis le fameux "tu ne tueras point", gravé dans le marbre durant l'épisode biblique de l'Exode.
Droit inconditionnel chez certains, interdit absolu chez d'autres : le recours à l'avortement divise toujours le monde en 2016. Tour de la question en cartes et en chiffres.
En 2013, les Nations Unies ont établi la liste des conditions sous lesquelles les femmes pouvaient avorter dans près de 200 pays : en cas de danger de mort pour la mère, en cas de viol ou d'inceste, de risque de malformation du fœtus, sur simple demande ou sous aucun prétexte.
Le rapport en PDFA partir du tableau de l'ONU, la carte qui suit permet de faire apparaître, en choisissant les critères, les pays des moins émancipateurs aux plus libéraux.
Un rapide coup d'oeil à ces cartes fait apparaître une première distinction entre les pays les plus religieux et les autres. Pour en avoir le cœur net, cette carte, constituée à partir du World Factbook de la CIA qui inventorie les religions par pays dans le monde entier. Apparaissent à chaque fois la religion majoritaire et son poids en pourcentage.
Ces chiffres sont à prendre avec précaution, ils sont purement indicatifs. Il permettent toutefois de voir apparaître une franche coïncidence entre la carte des pays les moins permissifs et celle des pays les plus catholiques et musulmans (sunnites et chiites confondus).
A partir de la liste de critères fournie par l'ONU, il est possible de rassembler les pays au sein de cinq groupes. Le premier est constitué des pays qui interdisent formellement l'avortement. Le deuxième, du seul critère de danger de mort pour la mère, avec parfois un critère en plus, comme à Oman, où l'avortement est autorisé en cas de malformation du foetus. Le troisième additionne au critère précédent ceux de risque pour la santé psychique ou mentale de la mère, dans presque chacun des cas, avec parfois en plus la possibilité d'avorter en cas de viol ou d'inceste. Le quatrième groupe est plus hétérogène. Il recense des pays qui cumulent cinq ou six critères, parmi lesquels, la possibilité d'invoquer des raisons sociales ou économiques pour demander la procédure. Enfin, les pays du cinquième et dernier groupe permettent l'avortement à la demande de la mère.
Un groupe de 57 pays se distingue par ses conditions d’accès à l’avortement, qui peut s’effectuer sur simple demande. Néanmoins, les contrastes internes à ce groupe sont forts : l’espérance de vie féminine, les décès en couche et le taux de mortalité infantile sont très éloignés entre pays du Sud et du Nord.
On trouve dans ce groupe une grande partie des ex-Républiques Soviétiques, les pays du Nord (Europe et Etats-Unis), l’Australie, l’Afrique du Sud, la Tunisie et quelques pays d’Asie Centrale. On remarque également la présence de Cuba dans ce groupe, seul pays d'Amérique du Sud qui autorise l'avortement sur simple demande. Concernant le taux de fertilité des adolescentes, on constate que plus le pays est développé, moins il est élevé.
C’est l’indicateur de participation des femmes à la population active, créé par la Banque Mondiale, varie moins d’un pays à l’autre : seul sept d’entre eux sont en dessous de 50%. Pour des questions de lisibilité visuelle, douze pays de ce groupe ont été isolés car considérés comme représentatifs de l’ensemble au regard de la participation des femmes à la vie active.
Le premier groupe identifié n'autorise l'avortement sous aucun prétexte, même en cas de danger de mort pour la mère. Au regard des divers indicateurs sociaux et sanitaires pris en compte, ces cinq pays ont des réalités bien différentes. L'espérance de vie à la naissance oscille par exemple entre 73 (Salvador) et 81,7 ans (Chili). On peut noter l'existence de deux sous groupes, classables par leur indice de développement humain : le premier, constitué du Chili (0,832) et de Malte (0,839) et le second, qui compte la République Dominicaine (0,715), le Salvador (0,666) et le Nicaragua (0,631).
On remarque d'importants contrastes en matière de mortalité infantile et maternelle. À titre de comparaison, selon les chiffres de l'Unicef (2008), une mère a une chance sur 9200 de mourir en couche à Malte, contre une sur 300 au Nicaragua. En revanche, le pourcentage de femmes qui accouchent dans des institutions spécialisées est partout plus élevé que la moyenne mondiale.
Si les taux d'alphabétisation et de scolarisation des femmes sont très élevés en moyenne au sein du groupe, d'autres indicateurs permettent d'analyser la place de celles-ci dans la société. Le taux de fertilité chez les adolescentes est particulièrement élevé partout sauf à Malte. La participation des femmes à la population active y est égale ou plus faible à la moyenne mondiale (55,3%). À titre de comparaison, dans l'Union européenne, 66% des femmes travaillent ou sont en recherche d'emploi.
Le principal critère qui différencie ce groupe des autres, c'est le poids de la religion catholique. Dans les cinq pays étudiés, c'est elle qui est très largement majoritaire. Pour un pays qui veut respecter la parole papale à la lettre, difficile d'autoriser ce que l'Église considère toujours comme un "crime" et punit d'excommunication. Résultat : au Salvador, une fausse couche, considérée jusqu'à preuve du contraire comme une tentative d'avortement, peut envoyer une femme en prison pour 40 ans.
La position du pape François dans ses récentes sorties n'est pas nouvelle. Elle est le résultat d'une longue histoire de criminalisation de l'avortement, punissable au mieux d'années de pénitence, au pire d'excommunication. Florilège de déclarations et de règlements de l'Église catholique, des mots de François à la traversée du Sinaï.